Année politique Suisse 1966 : Economie / Politique économique générale
 
Situation conjoncturelle
Le tassement conjoncturel s'est poursuivi au cours de l'année, de façon générale. Les principaux facteurs de ralentissement ont été constitués par la tension du marché du travail et de celui des capitaux. Si, dans la politique de l'emploi, la poursuite du double plafonnement imposé par l'Etat à l'économie privée a rendu le marché particulièrement rigide et a évité l'explosion des salaires, dans celle des capitaux, l'intervention de l'Etat a été dépassée par l'évolution de la situation elle-même: la tension générale du marché de l'argent, l'exportation des capitaux ont eu plus d'effets sur les investissements que les mesures prises pour comprimer la demande. Considérés sur l'ensemble de l'année, les compressions de la demande intérieure de biens et de services, le manque de moyens disponibles, l'accroissement de la charge fiscale en raison de la progression à froid des revenus ont entraîné une hausse moindre du produit national brut. Celui-ci, selon les résultats provisoires publiés au début de 1967, s'est placé à 64 milliards de francs environ, en augmentation nominale de 7,2 % sur 1965 (7,8 % en 1965, 10,3 % en 1964) [1]. De même, la balance commerciale s'est améliorée, et le solde des opérations en biens et en services avec l'étranger est redevenu excédentaire.
Cependant, les forces d'expansion, mal contenues, ont repris de la vigueur dans la seconde moitié de l'année: les importations se sont remises à progresser rapidement, les pressions sur les salaires et les prix ont augmenté. La Suisse n'a pas pu résoudre en 1966 les problèmes posés par l'inflation intérieure, dont l'évolution déficitaire des finances publiques, la demande croissante d'investissements pour l'infrastructure (routes, énergie, höpitaux, écoles, recherche), la hausse rapide des prix et des salaires nominaux représentent les éléments les plus importants. Certes, elle a subi les conséquences du renchérissement intervenu en Europe occidentale, dans de larges proportions, mais la hausse des prix à la consommation, calculée selon la moyenne des indices mensuels, s'est élevée à 4,7 % (3,4 % en 1965, 3,1 % en 1964), ce qui constitue un record. Par là même, la hausse réelle du produit national brut n'a été que de 2,3 % (4,2 % en 1965, 5,1 % en 1964), et celle des revenus a été moins importante que les années précédentes [2].
Ces chiffres n'ont qu'une valeur relative et ne reflètent pas la situation politique, qui dépend de leur interprétation par les groupes sociaux. Il faut noter, à cet égard, la satisfaction qu'ont exprimée certains porte-parole du Conseil fédéral ou de l'administration à diverses reprises: le pays est dans une phase de consolidation, le plein-emploi est maintenu, les coûts de construction et les prix fonciers sont stabilisés, la balance des revenus redevient active, la production de logements suffit à la demande, la productivité est meilleure [3]. La question de l'équilibre entre une expansion normale et les courants inflationnistes restait cependant inquiétante, d'où la nécessité de continuer à agir sur le crédit et de comprimer les dépenses publiques. D'autres avis ont toutefois fait valoir des interprétations plus pessimistes, fondées entre autres sur la constatation que de nombreux milieux croient à la poursuite de l'expansion à un rythme rapide, sans estimer à leur juste valeur les conséquences inflationnistes de cette croissance [4]. L'accalmie actuelle serait trompeuse, du moment que la compression de la demande n'est que temporaire, obtenue grâce au renoncement momentané à certaines tâches, et qu'elle pourrait par conséquent donner lieu à une explosion incontrôlable lorsque les conditions seront meilleures.
 
[1] Sur l'augmentation du produit national brut, nominale et réelle, cf. La Vie économique, 40/1967, p. 57.
[2] Sur l'évolution conjoncturelle en 1966, cf. les rapports trimestriels de la Commission de recherches économiques, suppléments de La Vie économique, 39/1966, mai, août, novembre et 40/1967 février, ainsi que le 180' rapport de la meme commission, La situation économique en 1966, supplément à La Vie économique, 40/1967, janvier. Voir aussi Ostschw., 300, 29.12.66; TdL, 364, 30.12.66; BN, 557, 31.12.66; NZZ, 5628, 30.12.66.
[3] Cf. Rapport du Conseil fédéra! sur sa gestion en 1965, Introduction, p. 10 ss.; déclarations du président de la Confédération, Hans Schaffner, au congres de l'Union syndicale suisse, le 13 octobre, in NZZ, 4368, 14.10.66; GdL, 240, 14.10.66. Voir aussi NZZ, 5628, 30.12.66.
[4] Cf. professeur Sieber, in Bund, 32, 24.1.66; 36, 26.1.66; 40, 29.1.66; professeur Böhler in NZZ, 4743, 4.11.66. Voir aussi les jugements de l'Economist Intelligence Unit, in TdG, 54, 5.3.66.