Année politique Suisse 1966 : Economie / Crédit et monnaie / Politique monétaire
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Banque nationale
Le projet de révision des statuts de la Banque nationale a occupé le devant de l'actualité politique au cours de l'année. Conçu en vue de doter l'institut d'émission de pouvoirs lui permettant d'influencer la conjoncture, il fait partie du « programme complémentaire » destiné à succéder aux arrêtés conjoncturels d'urgence et à élargir leur portée. En fait, il en constitue le volet consacré à la monnaie et au crédit. Les autorités fédérales avaient espéré qu'il pourrait déployer ses effets dès la fin de la validité de l'arrêté sur le crédit. Cependant les très longs pour-parlers menés entre le DFD, la Banque nationale et l'Association suisse des banquiers au cours de 1965 et au début de 1966 n'ont pu aboutir qu'en mai à la présentation d'un projet à l'avis des cantons, des associations et des partis [11]. Et encore, le projet ne reflétait pas un accord entre les trois partenaires, l'Association s'opposant à certaines des mesures proposées. Les banques, soucieuses d'éviter des entraves, avaient voulu en effet promouvoir le système des conventions volontaires, déclarées ensuite de portée généràle et obligatoire par le Conseil fédéral; ni le DFD, ni la Banque nationale n'ont retenu ce mode de procéder, faute selon eux de bases constitutionnelles. Il n'a pas été question de créer celles-ci [12]. Le projet soumis à la consultation préalable accorde à la Banque nationale les compétences d'agir sur la monnaie et le crédit de trois façons différentes: tout d'abord, par la plus grande latitude de pratiquer une politique d'« open market », puis par la possibilité d'obliger les banques à constituer des réserves minimales afin de restreindre leurs possibilités d'accorder du crédit, enfin par le pouvoir de contrôler et de limiter momentanément le crédit lui-même. Aussi bien les réserves minimales que la limitation du crédit ne peuvent être décidées par la Banque nationale sans l'avis d'une commission composée de représentants des banques; en cas de désaccord, le comité de la Banque nationale tranche [13].
Les premières réactions au projet ont été assez critiques. Alors que le caractère technique des mesures proposées était mis en lumière, on n'a pas manqué de souligner que le compromis présenté aboutirait à une politisation de l'institut d'émission. Loin de voir son indépendance assurée, la Banque nationale deviendrait le jouet des influences politiques et le lieu d'affrontement des intérêts privés représentés en proportion de leur force [14]. L'extension de l'« open market » ne donna lieu à aucune désapprobation. Mais une controverse très vive s'instaura au sujet de la limitation du crédit, ainsi que sur la procédure de décision. La limitation du crédit a été refusée par tous les groupes, à l'exception des socialistes qui y voient une mesure efficace et qui voudraient introduire le contröle des émissions et du capital étranger [15]. Cette mesure, héritée du programme d'urgence, a paru dirigiste, contraire aux principes libéraux de l'économie suisse; elle pourrait être remplacée par un système d'accords de limitation volontaires [16]. Les réserves minimales ont eu un succès apparent plus grand; elles ont été défendues par des économistes autorisés [17] et approuvées par tous les grands partis politiques [18]. La procédure de décision a fait l'objet de fort nombreuses propositions d'amendement significatives de la politisation que le compromis susciterait. Cependant, alors que le projet, amputé des mesures sur la limitation du crédit, paraissait encore réunir des partisans décidés à renforcer les moyens d'intervention de la Banque nationale, les prises de position des grandes associations patronales en ont retardé l'adoption. En soulevant la question de la constitutionnalité de l'ensemble des mesures proposées, le Vorort et l'Union centrale des associations patronales ont donné un coup d'arrêt sérieux [19], reprenant un des arguments invoqués par l'Association suisse des banquiers; celle-ci ne s'opposait pas à la constitution de réserves minimales prélevées sur les augmentations des dépôts. Ces avis ont plus retardé l'adoption du projet que l'opposition globale de l'artisanat et de petites formations politiques [20].
 
[11] Cf. NZZ, 2110, 13.5.66.
[12] Voir cependant NZZ, 3268, 30.7.66.
[13] Cf. NZZ, 1343, 28.3.66; 2190, 17.5.66; 2198, 17.5.66; Bund, 192, 18.5.66; GdL, 115, 18.5.66.
[14] Cf. Bund, 193, 19.5.66 (la procédure envisagée est trop ouverte aux intérêts et à la politique); Tw, 117, 20.5.66 (les banques auraient un pouvoir prépondérant et le Comité de la Banque nationale n'est pas représentatif de l'économie entière); BN, 211, 21.5.66 (triomphe du « Proporzdenken »); NZZ, 2312, 25.5.66 (donner la compétence dernière au Comité de la Banque revient à faire de celui-ci l'enjeu des intérêts politiques et économiques). Dans le même ordre d'idées, voir Bund, 380, 29.9.66; 381, 30.9.66.
[15] Pour le Parti socialiste suisse, le projet est insuffisant; cf. Tw, 224, 23.9.66. Du côté syndical, l'opinion est analogue; cf. TdG, 206, 3.9.66 pour l'Union syndicale suisse; GdL, 192, 18.8.66 et 217, 16.9.66 pour la Fédération des sociétés suisses d'employés; NZZ, 3855, 14.9.66, et GdL, 216, 15.9.66 pour la Confédération des syndicats chrétiens.
[16] C'est le point principal de l'opposition émanant de l'Association suisse des banquiers; cf. GdL, 171, 25.7.66; NZZ, 3210, 25.7.66, et BN, 406, 26.9.66.
[17] Cf. professeur Böhler in NZZ, 3347, 7.8.66, qui considère le projet comme un minimum tout en déplorant l'institutionnalisation des rapports d'intérêts privés; professeur Sieber in NZZ, 3889, 15.9.66. Voir aussi TdG, 204-208, 1.-6.9.66.
[18] Parti socialiste suisse, cf. plus haut, note 15; Parti radical-démocratique, cf. NZZ, 3924, 17.9.66; Parti conservateur chrétien-social, cf. NZZ, 3957, 30.9.66; PAB, cf. NZZ, 3489, 19.8.66.
[19] Cf. NZZ, 4702, 2.11.66.
[20] Union suisse des Arts et Métiers, cf. NZZ, 3719, 5.9.66; Alliance des indépendants, cf. NZZ, 3943, 19.9.66; Union libérale-démocratique, cf. TdG, 235, 8.10.66.