Année politique Suisse 1966 : Chronique générale / Finances publiques
 
Recettes
La nécessité d'adapter les recettes aux dépenses a été déjà soulignée à fin mai par le DFD qui a repris l'idée de percevoir des péages pour les tunnels routiers alpestres [26]. En même temps, il annonçait la formation d'une commission chargée de rechercher des ressources nouvelles, composée de professeurs, de directeurs cantonaux des finances, de représentants des groupes économiques et politiques. Cette commission, présidée par M. Rohner, député de Saint-Gall au Conseil des Etats, se réunit en septembre et fut saisie des rapports Jöhr et Stocker. Elle réagit plus en commission parlementaire qu'en groupe d'experts et réclama du Conseil fédéral un programme défini [27]. Le 26 septembre, celui-ci fit lire aux Chambres une lettre annonçant un programme fiscal d'urgence, sur lequel. les deux conseils devraient délibérer à la session de décembre, de façon à ce que le projet puisse être soumis au peuple au printemps 1967. D'emblée, le Conseil des Etats a refusé de se plier à cette procédure, préférant attendre les conclusions du Conseil national [28]. Deux semaines plus tard, désirant profiter de l'atmosphère créée par la publication des rapports Jöhr et Stocker, le Conseil fédéral soumettait un programme fiscal immédiat à la consultation des cantons et des milieux intéressés. II proposa de renoncer à la réduction de 10 % accordée sur l'impôt sur le chiffre d'affaires (ICHA), de biffer les médicaments, les livres, les savons et produits de lessives de la liste franche de l'ICHA, de hausser le taux de l'ICHA pour les travaux professionnels du bâtiment à 4 %, avec un stade provisoire à 3 %, de supprimer le rabais de 10 % accordé sur l'impôt pour la défense nationale (IDN). Il demanda en outre la modification de la Constitution de façon à introduire un taux maximum plus élevé que le taux actuel pour 1'IDN, avec la compétence pour le parlement de fixer ce taux, dans la norme établie, au moyen d'un arrêté fédéral de portée générale; il s'agissait là d'une innovation de grande portée, qui permettrait d'assouplir la législation fiscale actuellement entièrement tributaire du jugement référendaire. Enfin, le Conseil fédéral suggérait de prolonger de un à deux ans la levée de l'impôt sur les coupons aboli par la loi du 13 octobre 1965 sur l'impôt anticipé [29]. Le rapport probable des nouvelles mesures, impôt sur les coupons mis à part, serait de 70 millions en 1967 (entrée en vigueur au ler juillet), de 389 millions en 1968, 357 en 1969, 546 en 1970 et 540 en 1971 [30]; ce ne serait pas suffisant pour couvrir les déficits annoncés, mais permettrait au moins de mener une révision des tâches de la Confédération et de ses recettes sans trop forte pression. La consultation fut défavorable en général et révéla un désaccord profond. Sur un point seulement, tous se trouvèrent d'accord, à savoir pour condamner la modification constitutionnelle, question de principe à régler isolément et non dans le cadre d'un programme immédiat. Les cantons s'opposèrent pour la plupart à la suppression du rabais sur l'IDN, alors que les organisations de gauche protestaient contre la hausse de l'ICHA, supportée selon elles uniquement par les consommateurs, et que les milieux d'affaires prêchaient la prudence et la circonspection, en attendant les résultats des propositions de compression des dépenses [31].
Résolu à pousser l'effort jusque dans ses dernières conséquences, le Conseil fédéral décida de proposer le programme immédiat aux Chambres, par un message du 7 novembre; il abandonnait la modification du système de l'IDN et ramenait le taux de l'ICHA pour les travaux professionnels du bâtiment à 3 %. Il suggérait encore, sans la proposer formellement, la prolongation de l'impôt sur les coupons [32]. La controverse continua à se développer, autant sur les principes que sur des prétextes à temporiser. Le Parti socialiste, appuyé par les organisations de salariés et de consommateurs, érige en pétition de principes la répartition égale de la charge entre l'impôt direct et l'impôt indirect; l'impôt direct fédéral devrait aussi fournir les moyens de redistribuer les revenus, d'où la nécessité de frapper plus les gros contribuables. Pour la gauche, donc, le projet devait être allégé quant à l'ICHA (intégralité de la liste franche, maintien du rabais) et renforcé quant à l'IDN (hausse du taux maximum et de la progression) [33]. Les autres partis gouvernementaux, en opposition fondamentale avec les socialistes sur ce terrain, acceptaient le projet avec beaucoup de réserve, résolus cependant à refuser la hausse du taux maximum de l'IDN et la prolongation de l'impôt sur les coupons; pour eux, l'impôt direct doit être réservé, autant que possible, aux cantons et aux communes qui n'ont pas d'autres ressources fiscales d'importance. Pour des raisons politiques, ils ne tenaient pas à s'exposer trop en faveur d'un programme que l'opposition d'un groupe nombreux ferait presque à coup sflr échouer à la votation populaire. Ce sont les radicaux qui firent preuve du plus de retenue, posant la condition de l'unité des quatre partis gouvernementaux comme préalable [34]. Les milieux patronaux, quant à eux, soucieux de ne pas trop accorder à l'Etat, souhaitaient que les mesures de hausse se limitent à l'ICHA et s'opposaient aux thèses socialistes sur l'IDN au nom de la nocivité d'une fiscalité directe trop lourde pour l'économie [35].
Au Conseil national, une motion socialiste demandant la prolongation de l'impôt sur les coupons échoua tout d'abord, malgré l'appui du Conseil fédéral, devant les objections juridiques de la majorité [36]. Puis, les 19 et 20 décembre, après un long débat d'entrée en matière, à laquelle communistes et indépendants s'opposèrent, les thèses diverses s'affrontèrent sous forme d'amendements; les indépendants, opposés à la hausse de l'ICHA, échouèrent; les socialistes tentèrent d'augmenter le taux maximum de l'IDN à 10 % pour les revenus, assorti d'une progression jusqu'à 170.000, sans succès; une seconde proposition, conciliatrice, socialiste, de porter le taux à 9 % connut le même sort; les libéraux essayèrent en vain d'empêcher la suppression du rabais de 10 % sur l'IDN. Seule la proposition de maintenir la liste franche de l'ICHA dans son état actuel fut admise. L'ensemble du projet fut voté en définitive par 115 voix contre 38, le groupe socialiste s'étant divisé; les non provenaient aussi bien de libéraux, d'indépendants que de socialistes [37]. Les tentatives préliminaires de conciliation avaient échoué, et le Parti radical, notamment, ne manifestait plus une volonté bien ferme de porter la responsabilité d'un programme par essence impopulaire; les élections de l'automne 1967 paraissent avoir eu raison de la volonté gouvernementale, dont beaucoup d'observateurs ont estimé qu'elle s'était manifestée trop vite après avoir fait trop longtemps défaut, dans un climat d'urgence où les problèmes fondamentaux de la répartition des charges et des recettes entre les différents pouvoirs publics étaient escamotés [38].
Il faut noter enfin, dans le domaine fiscal encore, la hausse des suppléments de prix sur les huiles et graisses comestibles, décidée par le Conseil fédéral pour aligner les prix de ces denrées sur ceux des produits laitiers libérés, et approuvée avec le budget [39]. Par ailleurs, un projet de hausse des droits de douane pour le carburant Diesel a été soumis à la consultation le ler novembre; le Conseil fédéral a décidé l'entrée en vigueur, dès le 5 décembre, des nouveaux droits, légèrement diminués par rapport au premier projet, sous réserve de l'approbation parlementaire [40]. En outre, le Conseil fédéral a relevé les droits frappant les céréales panifiables importées, dès le 1er octobre [41]. Enfin, la question des amnisties fiscales a occupé les esprits. En réponse à une motion Mäder, approuvée par les Chambres, le Conseil fédéral a proposé d'étendre à l'IDN le bénéfice des amnisties fiscales cantonales, selon deux variantes, l'une prévoyant, l'amnistie totale, liée à l'amnistie cantonale, la seconde la simple suppression des pénalités en cas de dénonciation spontanée. Le Conseil des Etats a adopté la première variante en la modifiant un peu [42].
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R.F.
 
[26] Cf. plus bas. p. 81.
[27] Cf. GdL, 210, 8.9.66; 218, 17.9.66; NZ, 414, 8.9.66; 469, 11.10.66; NZZ, 3971, 21.9.66.
[28] Cf. GdL, 225, 27.9.66; 227, 29.9.66; NZZ, 4077, 27.9.66; 4099, 28.9.66. La Commission Rohner, de son côté, refusa aussi la procédure d'urgence, cf. note 27.
[29] Cf. NZZ, 4361, 13.10.66; GdL, 240, 14.10.66. Sur la loi du 13 octobre 1965, cf. RO, 1966, p. 385 ss.
[30] Les chiffres indiqués sont ceux des recettes nettes, part des cantons à l'IDN déduite. Le poids principal des ressources nouvelles repose sur I'ICHA, au début du moins.
[31] Cf. GdL, 261, 8.11.66; NZZ, 4744, 4.11.66. — Voir aussi NZZ, 4492, 21.10.66 (Union centrale des associations patronales); 4727, 4.11.66 (Union suisse des Arts et Métiers, qui accepte un taux de 3 % pour l'ICHA sur les travaux professionnels du bâtiment); TdG, 247, 22.10.66 (Union syndicale suisse). Critique générale in NZZ, 4481, 20.10.66.
[32] FF, 1966, Il, p. 657 ss.
[33] Cf. NZZ, 5173, 29.11.66; TdL, 335, 1.12.66. — Voir aussi Tw, 21, 26.1.66; 266, 11.11.66; 270, 16.11.66; 281, 29.11.66; 282, 30.11.66; PS, 264, 15.11.66; NZZ, 4913, 15.11.66; 5173, 29.11.66.
[34] Cf. NZZ, 5078, 24.11.66; 5138, 28.11.66.
[35] Cf. NZZ, 4757, 5.11.66; 4857, 11.11.66; 5195, 30.11.66; JdG, 298, 21.12.66.
[36] Motion Eggenberger (soc., SG), repoussée le 6 décembre par le CN, par 98 non (en majorité radicaux, libéraux, indépendants et conservateurs) contre 61 oui et 13 abstentions à l'appel nominal. Cf. Bull. stén. CN, 1966, p. 595 ss.
[37] Cf. NZZ, 5528 et 5529, 20.12.66: 5538, 21.12.66; GdL, 297, 20.12.66; 298, 21.12.66; Tgv, 299, 20.12.66; 300, 21.12.66; PS, 300-302, 28.-30.12.66.
[38] On sait que, depuis lors, le CN est revenu sur sa décision après celle, positive, du CE. Sur les jugements généraux, et l'attitude du Parti radical, cf. BN. 482, 12.11.66; 493, 19.11.66; 526,10.12.66; Bund, 492, 17.12.66; NZZ, 5569, 23.12.66; GdL, 305 31.12.66.
[39] Voir plus haut, p. 59 s., et RO, 1966, p. 1738. Cette hausse rapportera 40 millions par an.
[40] Cf. Message du 16 décembre 1966, in FF. 1966, Il, p. 935 ss., ainsi que TdG, 256, 2.11.66; GdL, 285, 6.12.66. Cette mesure doit rapporter 30 à 35 millions par an.
[41] Cf. CdL. 231, 4.10.66. Rétablissement du droit à 3 francs par 100 kg, qui devrait rapporter 12 millions par an.
[42] Message du 6 juin 1966, in FF, 1966,1, p. 955 ss., ainsi que Bull. stén. CE, 1966, p. 270 ss.