Année politique Suisse 1967 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Principes directeurs
Une politique étrangère plus active s'est développée, telle qu'on l'espérait déjà en 1966 pour échapper à l'isolement en apparence croissant de la Suisse. Les signes extérieurs de cette modification sont nombreux: les voyages à l'étranger de personnalités gouvernementales se sont multipliés, la place donnée aux débats parlementaires sur des sujets de politique étrangère a été plus grande, la discussion sur les problèmes posés par la neutralité et les limites de l'engagement que cette «activation » entraînerait a été largement répandue et animée. On ne peut encore en apprécier les résultats en ce qui concerne l'isolement allégué du pays. Mais le style a changé, est devenu plus spectaculaire; les responsables de la conduite de nos relations extérieures ont voulu mettre l'accent sur les contacts personnels
[1]. De même, les partis politiques se sont plus souciés des objectifs à atteindre et des résultats obtenus.
L'activité, pour beaucoup, consiste à faire oublier les singularités de l'attitude suisse traditionnelle dans un monde où la société internationale croit à une certaine homogénéité des vocations et des destins; elle peut donc être le prétéxte, pour l'opinion, à extérioriser des sentiments, à porter des jugements moraux sur les événements ou les nations, dans une mesure d'autant plus apparente que l'attitude officielle est réservée. L'efficacité des appuis et des condamnations est très variable; ces moyens d'« action » sont cependant entrés dans les moeurs et paraissent souvent devoir compléter l'action diplomatique. L'accroissement des manifestations et des protestations collectives a été élevé en 1967. Leur effet sur la position du pays dans le concert international n'a pas été négligeable; il a pu contribuer à renforcer, ou à affaiblir, la politique pratiquée par le Conseil fédéral. La neutralité doit être digne de crédit, et de l'extérieur on a tendance à la juger autant sur l'état d'esprit qui règne dans le pays que sur l'action proprement dite des autorités. Au sujet de la guerre du Vietnam, par exemple, la contestation de la politique menée par les USA a été plus générale, suivant en cela la tendance de l'opinion en Europe occidentale. Mais elle n'a pas, et de loin, atteint le point où la politique de disponibilité, à l'égard de toutes les parties, en vue de bons offices ou d'une médiation éventuels, politique affirmée en 1966 par le Conseil fédéral et poursuivie en 1967, pourrait être compromise
[2]. La guerre entre Israël et ses voisins arabes a entraîné de plus vives répercussions. La quasi-totalité de la population a accordé ses sympathies au petit Etat menacé dans son existence, entouré d'ennemis, placé dans une situation analogue à celle où la Suisse pourrait se trouver un jour. Des manifestations, des collectes ont eu lieu; des communes ont voté des crédits pour Israël; des pressions ont été exercées sur le Conseil fédéral pour qu'il condamne les «agresseurs» ou qu'il soumette le cas à l'ONU, pour qu'il soit plus libéral dans les autorisations données à des étrangers de s'exprimer en public
[3]. L'aide au développement, l'aide à l'Algérie notamment, a été discutée et contestée. Le Conseil fédéral ne s'est pas laissé emporter par ce mouvement; ses déclarations, qui condamnaient la violence et posaient en principe le droit des petits Etats à l'existence, n'ont rien contenu qui ne pût s'appliquer à toutes les parties au conflit
[4]. Le chef du DPF, M. Spühler, a dû néanmoins rappeler aux ambassadeurs des Etats arabes, qui étaient venus lui exposer le point de vue de leurs gouvernements, les fondements de la neutralité suisse et les règles de la liberté d'opinion
[5]. L'attitude du Conseil fédéral a été plus tard reconnue raisonnable par la presse, mais on peut se demander si l'opinion publique en a compris tous les mobiles
[6]. Une situation analogue, quoique moins extrême, s'est développée au sujet de la Grèce, après le coup d'Etat militaire d'avril; plusieurs déclarations et manifestations ont réclamé la restauration de la démocratie
[7]. Dans le débat provoqué sur ce sujet à l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe, les députés suisses n'ont pas pris la parole; mais ils ne se sont pas opposés à la résolution condamnant la Grèce et la menaçant d'exclusion. A cet égard, il s'est trouvé des voix en Suisse pour déplorer que le Conseil fédéral n'appuie pas le mouvement lancé par les pays scandinaves notamment et pour craindre que cette abstention ne fasse perdre du crédit à la réputation démocratique du pays
[8]. Enfin, la question des sanctions contre la Rhodésie du Sud, que nous reprendrons plus bas, a vu elle aussi une partie de l'opinion mettre en cause la neutralité, ou du moins la politique très stricte et respectueuse du droit des neutres pratiquée par les autorités
[9].
Le problème des limites de la solidarité a été posé de telle façon, qu'on a vu au cours de l'année s'affronter deux conceptions de l'activité. Ceux qui estiment que la politique étrangère du pays doit être plus active, le font souvent pour «amollir ce que la neutralité a encore de dur dans son principe »
[10], en réaction contre la rigidité de la politique officielle. Ils désirent que le pays participe plus au concert international, y fasse plus entendre sa voix: la Suisse n'est plus un cas spécial; elle n'a pas de rôle particulier à jouer; sa neutralité, qui resterait pourtant nécessaire en cas de guerre, peut être définie de façon plus flexible, de manière à donner au pays plus de liberté de manoeuvre en politique étrangère et à lui permettre de s'engager plus profondément au profit de la communauté internationale. L'aspect moral de ces thèses n'est pas à négliger: il s'agit bien d'engagement, avec ce que cela implique d'appuis et de condamnations, effectifs ou non
[11], car la Suisse reste un petit pays dépourvu de grands moyens d'action. Face à cela, la conception traditionnelle, défendue par les autorités et les plus larges milieux politiques, a consisté à faire respecter l'indépendance et la neutralité, à participer aux actions visant au maintien de la paix par des initiatives humanitaires indépendantes, par la mise à disposition de bons offices ou de personnel; elle s'est enrichie, au cours de 1967, de ces facteurs que sont les contacts personnels et un soutien accru aux organisations humanitaires
[12]. Plus que d'engagement dans un concert inter-étatique, il s'est agi d'étendre les frontières de la solidarité envers les individus: ouverture décidée vers l'aide au développement et l'aide humanitaire.
Entre ces deux courants, le souci s'est fait jour d'éviter à la population d'être privée de son droit de contrôle sur les décisions. Face au pragmatisme discret des autorités, comme aux enthousiasmes plus bruyants des partisans de l'activité à tout prix, le Redressement national a poursuivi sa revendication visant à étendre le référendum à tous les traités internationaux. L'écho qu'il a rencontré a été assez négatif au sein des partis, qui pourtant ont tous reconnu nécessaire de soumettre au verdict populaire les grandes options de politique étrangère
[13]. Face à ce mouvement, des personnalités ont songé à créer une société suisse de politique étrangère dont le but serait d'informer les citoyens et de les intéresser à un domaine dans lequel ils sont fort mal renseignés
[14].
[1] Les voyages de personnalités officielles, sans compter les déplacements motivés par les séances d'organisations internationales, ont été nombreux. Le chef du DPF a été en Suède, en Autriche, au Canada et aux USA; M. Schaffner, quant à lui, au Japon, à Hong Kong et aux USA; M. Gnägi en URSS; M. Tschudi en Italie. Il faut ajouter à cela le voyage du chef de I'Etat-major général, le commandant de corps Gygli, en Pologne, celui de M. Jolies, directeur de la division du commerce, à Bruxelles.
[2] Cf. APS, 1966, p. 30.
[3] Cf. entre autres TdG, 129, 5.6.67; NZZ, 2502, 8.6.67; NZ, 402, 1.9.67.
[4] Cf. NZZ, 2465, 6.6.67; TdG, 130, 6.6.67; cf. aussi NZZ, 2798, 27.6.67.
[5] Cf. NZZ, 2527, 9.6.67.
[6] Dans certaines parties du pays, et dans les milieux catholiques, la réaction a été plus modérée qu'ailleurs: cf. GdL, 129, 6.6.67; 130, 7.6.67; 135, 13.6.67; 138, 16.6.67; 139, 17.6.67; BN, 246, 14.6.67; NZZ, 2730, 22.6.67. Sur les prises.de position des groupes parlementaires et des partis politiques, cf. NZZ, 2500, 8.6.67; Bund, 167, 9.6.67; Ostschw., 133, 10.6.67; NBZ, 134, 12.6.67.
[7] Manifestations à Genève, à Zurich: PS, 96, 28.6.67; NZZ, 2342, 29.5.67; manifestes et appels de: la Jeunesse socialiste suisse (NZZ, 2051, 10.5.67), de l'Union syndicale suisse (NZZ, 2080, 12.5.67), de parlementaires et de personnalités diverses (GdL, 116, 22.5.67; JdG, 118, 24.6.67; 199, 26.8.67; NZZ, 2269, 24.5.67); constitution d'un comité suisse pour le rétablissement de la démocratie en Grèce (TdL, 205, 24.7.67); etc.
[8] Sur les débats au Conseil de l'Europe, cf. JdG, 224, 26.9.67; NZZ, 4016, 26.9.67; 4020, 27.9.67; 4076, 29.9.67; NZ, 451, 30.9.67; 452, 1.10.67; 501, 30.10.67; Europa, 34/1967, no 12, p. 10.
[9] Cf. PS, 2, 4.1.67; Weltwoche, 1733, 27.1.67, etc., et plus bas, p. 36 s.
[10] Cf. ROLAND RUFFIEUX in Schweizer Rundschau, « Aktivere Schweizerische Aussenpolitik », 66/1967, Nr 4/5, April/Mai. Voir encore les contributions à ce cahier spécial de F. T. Wahlen, Ed. Zellweger, P. Béguin, K. Furgler et Henri Schmitt, ainsi que DIETRICH SCHINDLER in Europa, 35/1968, no 1, p. 16 ss.; NZZ, 403, 30.1.67.
[11] Cf. Weltwoche, 1733, 27.1.67; NZZ, 1831, 26.4.67; NZ, 240, 29.5.67; PS, 205, 6.9.67; 206, 7.9.67.
[12] Cf. Rapport du Conseil fédéral sur sa gestion en 1966, p. 3 ss., et les déclarations de. M. Spühler au CN, le 15 juin: NZZ, 2613, 15.6.67; Tat, 140, 16.6.67; GdL, 138, 16.6.67; JdG, 138,1 6.6.67; Tw, 138, 16.6.67; NZ, 271, 16.6.67; Vat., 138, 17.6.67. — Voir aussi la prise de position du PAB suisse in NBZ, 52, 3.3.67; l'attitude du Parti radical-démocratique suisse in Bund, 190, 6.7.67; celle du Parti conservateur chrétien-social suisse in JdG, 158, 10.7.67; en outre, BN, 187, 6.5.67; 229, 3.6.67; 338, 12.8.67; NZZ, 403, 30.1.67.
[13] NZZ, 2051, 10.5.67; 2866, 1.7.67; Bund, 148, 18.5.67; 190, 6.7.67; JdG, 158, 10.7.67.
[14] NZZ, 2313, 27.5.67; JdG, 121, 27.5.67; Bund, 156, 28.5.67.
Copyright 2014 by Année politique suisse
Ce texte a été scanné à partir de la version papier et peut par conséquent contenir des erreurs.