Année politique Suisse 1968 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
 
Europe
Dans le domaine de l'intégration européenne, 1968 a été une année de réflexion. Les Communautés européennes sont devenues le 1er juillet une union douanière; elles ont réalisé des progrès sur le plan du marché agricole commun. Elles n'ont pu réaliser les conditions qui leur auraient permis d'ouvrir la porte aux Etats candidats à l'adhésion. Face aux opinions maximalistes défendues essentiellement par le Benelux, une nouvelle tendance s'est dessinée, soutenue par la France et l'Allemagne notamment, qui prévoit la négociation d'arrangements commerciaux et d'accords sur des points particuliers avec tous les Etats européens intéressés, qu'ils soient candidats à l'admission ou non [63]. Au sein de I'AELE, l'unité a été maintenue, malgré les efforts britanniques et danois visant à forcer la porte de Bruxelles, et un accord a été envisagé pour coordonner les démarches destinées à combler le fossé séparant les deux zones européennes [64].
Cette évolution politique n'a pas laissé la Suisse indifférente et ne lui a pas été défavorable à long terme, quoique les effets économiques de la division de l'Europe se soient fait sentir plus durement (navigation sur le Rhin, statut des transports) [65]. L'objectif lointain de la politique suisse est resté le même: surmonter la division de l'Europe économique, parvenir au libre-échange des biens et des services et à la coopération économique [66]. Cet objectif peut être complété par un second, au sujet duquel la discussion est restée non seulement ouverte, mais aussi sans réponse précise: la participation à l'aménagement politique de l'Europe [67]. Le débat sur les « grandes lignes » a montré, plus que les déclarations faites lors du Congrès du Parti radical où l'on semble s'être contenté de justifications a posteriori [68], l'impatience de certains députés et l'inquiétude d'autres devant une politique où le pragmatisme et le besoin impérieux de garder une totale liberté d'action diplomatique masquent les objectifs intermédiaires, les moyens à utiliser et les sacrifices à consentir [69]. Dans sa réponse, M. Spühler a mis l'accent sur la longueur du processus, l'incertitude de son issue, l'absence de modèle préconçu de la part du Conseil fédéral; celui-ci préférerait des arrangements multilatéraux, mais s'en tiendra si cela est nécessaire à une procédure bilatérale [70]. Une motion Furgler (ccs, SG) avait pour but d'obtenir du Conseil fédéral un rapport sur les relations de la Suisse avec les Communautés, sur les difficultés politiques, juridiques et économiques qui s'opposent à un rapprochement, sur les avantages que présenterait un tel rapprochement, sur les schémas de rapprochement possibles et sur la conception générale du Conseil fédéral à cet égard. Cette motion a été adoptée par le Conseil national après que M. Schaffner, le chef du DFEP, l'eut acceptée mais avec de,5 réserves considérables touchant aux rapports de force existants, à la liberté d'action, à la nécessité de ne pas créer des foyers d'opposition populaire, et que le motionnaire eut dü insister pour que la forme juridique de la motion fût respectée [71]. La manière de voir et d'agir du Conseil fédéral a trouvé un appui très large dans les milieux économiques [72]. Par ailleurs, l'idée fédéraliste, conçue en vue de surmonter la stagnation actuelle, a repris son élan ; elle s'appuie dorénavant plus sur la notion de collaboration régionale que sur la construction fédéraliste d'un ensemble supranational [73]. Les travaux du Conseil de l'Europe ont été dominés par l'attitude à prendre face à la Grèce et face à l'Europe orientale, l'état de l'intégration européenne ne permettant pas de grands progrès [74]. L'« Année des droits de l'homme » a été l'une des raisons pour lesquelles le Conseil fédéral a proposé aux Chambres de signer la Convention européenne des droits de l'homme, après s'être assuré que les réserves nécessaires ne soulèveraient pas d'objections de la part des autres parties à la Convention; il s'est agi là à la fois d'une manifestation de solidarité et d'un engagement à réaliser les objectifs de la Convention [75].
 
[63] Cf. Rapp. gest., 1968, p. 251 s.; APS, 1967, p. 38; Europa, 35/1968, n° 7/8; NZZ, 686, 6.11.68; 761, 9.12.68; GdL, 51, 1.3.68.
[64] Cf. BN, 494, 22.11.68; NZZ, 286, 10.5.68; EFTA Bulletin, 9/1968, n« 5 et 9; voir aussi plus bas, p. 000.
[65] Cf. plus bas, p. 62 s; NZ, 352, 2.8.68.
[66] Cf. P. JOLLES in Die Schweiz und die europäische Integration, Berichte und Dokumente eines Seminars der Schweizerischen Kreditanstalt, 1968, p. 35.
[67] Cf. FF, 1968, I, p. 1226 s. Rapport sur les « grandes lignes ».
[68] Cf. P. JOLLES in Politische Rundschau, 47/1968, p. 58 ss., ainsi que les thèses du parti, ibid., p. 96 s.; critique in NZZ, 320, 27.5.68.
[69] Cf. Bull. stén. CN, 1968: interventions Furgler (ccs, SG) pour un rapprochement rapide avec les Communautés, p. 248 s., Tschanz (PAB, BE) contre la supranationalité, p. 252, Reverdin (lib., GE) pour la patience, p. 257 s., Baechtold (soc., VD) inquiet devant le manque de précisions, p. 266, Chevallaz (rad., VD) pour une démarche réaliste et indépendante, p. 267 s.
[70] Cf. ibid., p. 312 s.
[71] Cf. Bull. stén. CN, 1968, p. 634 ss.; Europa, 36/1969, n° 1; M. Furgler s'est déjà prononcé pour un rapprochement rapide avec les Communautés, cf. plus haut, note 69, ainsi que Ostschw., 88, 13.4.68. Commentaires in Ostschw., 287, 11.12.68; NZ, 573, 10.12.68; JdG, 291, 12.12.68.
[72] C'est ce qui ressort des avis exprimés lors d'un séminaire organisé par le Crédit suisse, le 10 janvier 1968, à Zurich, auquel prirent part une centaine de personnalités de la finance, de l'industrie, des associations professionnelles, de la recherche et de la politique; cf. Die Schweiz und die europäische Integration (cf. plus haut, note 66), ainsi que NZZ, 24, 12.1.68; Vat., 10, 12.1.68; Vr, 14, 18.1.68 ; TdG, 17, 20.1.68.
[73] Cf. notamment Louis ARMAND et MICHEL DIANCOURT, Le Pari européen, Paris, 1968; Denis de Rougemont, in Europa, 35/1968, no 5; GdL, 34, 10.2.68; 56, 7.3.68; 233, 5.10.68; Lb, 38, 14.2.68; ALOIS RIKLIN, «Schumanns oder de Gaulles Europa?» in Schweizer Rundschau, 67/1968, p. 1 as.
[74] Cf. Rapp. gest., 1968, p. 43 s.; Europa, 35/1968, no 2, 4, 5, 10, 11, 12; NZZ, 589, 24.9.68; 591, 25.9.68; 776, 16.12.68; voir aussi plus haut, p 33 et p. 35.
[75] Cf. FF, 1968, II, p. 1069 ss., ainsi que plus haut, p. 23 s.