Année politique Suisse 1968 : Economie / Politique économique générale
Situation conjoncturelle
L'évolution de la conjoncture a été placée en 1968, dans la plupart des pays industriels, sous le signe de l'expansion. Cela vaut avant tout pour l'économie de l'Europe occidentale, alors que celle des Etats-Unis ralentissait son développement. Le fort rythme de croissance noté en Europe et le bond en avant du commerce mondial survenu dans la seconde moitié de l'année ont été déterminants pour l'évolution de la croissance en Suisse. Les prévisions pessimistes n'ont pas été corroborées par les faits. Les mesures que l'OCDE avait recommandé à la Suisse de prendre pour augmenter la croissance, soit de stimuler la demande intérieure et de pratiquer une politique déficitaire de dépenses publiques, n'ont pas eu à être appliquées. Le Conseil fédéral, dont la politique n'avait pas, pour la première fois, été entièrement approuvée par les experts de l'OCDE, avait repoussé l'idée d'une action sur l'expansion intérieure, dont il jugeait les effets trop inflationnistes, pour estimer que la stimulation provenant du commerce extérieur serait suffisante. Certes, l'objectif de croissance économique fixé par l'OCDE, soit 4,5 % par an, n'a pas été atteint
[13]. Toutefois, le produit national brut a dépassé le montant de 73 milliards en 1968, ce qui implique un taux de croissance nominal de 6,2 % et un taux réel de 3,5 % environ (1967: 2 %). Ce taux doit sa hausse réjouissante, entre autres facteurs, à la faiblesse du renchérissement: l'index des prix de détail n'a augmenté que de 2,4 %, soit la plus faible augmentation depuis 1961. Les prix de gros sont en moyenne restés stables. Le facteur le plus important de renchérissement a été les loyers, qui ont augmenté de 6,7 % en 1968, après la fin du contrôle des loyers sur les immeubles anciens; le taux a été influencé aussi par le plus grand nombre d'immeubles modernes à loyers relativement plus élevés dont la statistique a tenu compte. Les transports (+ 4,6 %), à cause de la hausse des tarifs, ainsi que l'hygiène et la santé (+ 4,3 %), à cause de la hausse des frais médicaux et hospitaliers, ont marqué une augmentation supérieure à la moyenne: le renchérissement a donc été principalement limité au secteur des services, loyers exceptés. Les biens d'équipement sont même devenus meilleur marché (- 1,2 %)
[14]. L'évolution des prix de détail a confirmé le fait qu'il faut une période assez longue pour que l'équilibre économique général se répercute jusqu'aux prix des biens de consommation. Le calme qui régnait sur le plan de la politique conjoncturelle a permis au délégué du Conseil fédéral aux questions conjoncturelles de retravailler la doctrine présidant à la lutte contre les crises, pour libérer celle-ci de l'influence trop forte des souvenirs de la crise des années trente. Le délégué accorda à l'encouragement de la recherche appliquée le rôle d'un nouvel instrument préventif
[15].
Toutes les branches de l'économie n'ont pas participé également à la reprise conjoncturelle. L'industrie chimique a marqué le plus fort taux de croissance, alors que la construction, malgré une animation plus forte dans le secteur du logement, avait à souffrir du sous-emploi de ses capacités dans le secteur du génie civil. Le volume des affaires de l'horlogerie n'a dépassé celui de l'année précédente que de peu: la fabrication et les exportations n'ont augmenté. que de 4 %. Le commerce de détail est resté encore en dehors de la reprise de la croissance. Le
tourisme a stagné à un haut niveau: selon les résultats provisoires connus, 30,58 millions de nuitées ont été enregistrées dans l'hôtellerie, soit 1 % de plus que l'année précédente. Le nombre des nuitées d'hôtes étrangers n'a pas augmenté, à cause des limitations de devises et des difficultés politiques intervenues dans certains pays. Les nuitées des touristes britanniques (— 13 %) et français (— 5,5 %) diminuèrent le plus fortement, alors qu'augmentaient celles de touristes d'outre-mer (+ 18 %) à l'exception des Etats-Unis
[16]. Diverses mesures favorisèrent ce résultat. On répondit à la politique d'austérité des Etats-Unis par une grande campagne publicitaire
[17]. Le président central de la Société suisse des hôteliers, E. Scherz, lors de l'ouverture du nouveau siège de la Société à Berne, annonça une réorganisation complète et l'extension des services de celle-ci
[18]. Deux innovations de l'hôtellerie furent discutées: l'introduction de la carte de crédit comme moyen de paiement et l'abolition des pourboires, qui ont toutes deux de la peine à s'imposer
[19]. L'assemblée de l'Office national suisse du tourisme prit connaissance avec satisfaction de ce que le Conseil fédéral, dans son rapport sur les « grandes lignes », range la promotion du tourisme parmi les tâches de la Confédération. Alors que le rapport ne fait qu'effleurer la question d'un article constitutionnel, deux conseillers nationaux valaisans en firent l'objet d'interventions concrètes: cet article devrait donner à la Confédération la compétence de subventionner certains investissements touristiques
[20]. Une aide sérieuse de la Confédération serait aussi nécessaire à l'organisation de Jeux olympiques en Suisse, tels que les Grisons (Saint-Moritz, Davos), la ville de Zurich et l'Oberland bernois les envisagent. Le Conseil fédéral exprima l'opinion que cette aide ne pourrait être envisagée avec quelque chance de succès que pour l'organisation de Jeux d'hiver, et encore dans un cadre très simple. La question du Conseil-exécutif bernois qui demanda si la Confédération pourrait mettre des troupes à la disposition des organisateurs, ne reçut pas de réponse en 1968 encore
[21].
[13] Rapport de la Commission de recherches économiques, 194, supplément de La Vie économique, 42/1969, février; NZZ, 75, 4.2.68; 117, 22.2.68; Tw, 19, 24.1.68; Vat., 47, 24.2.68; PS, 133, 13.6.68; Ostschw.. 45, 22.2.68; GdL, 95, 24.4.68; MAX WEBER, «La Suisse dans l'optique de l'OCDE », in Revue syndicale suisse, 60/1968, p. 47 ss.
[14] Crédit suisse, Bulletin, 74/1968, p. 231 ss.; NZZ, 60, 29.1.69; La Vie économique, 42/1969, p. 49 et 79 ss.
[15] Bulletin d'information du délégué aux questions conjoncturelles, 24/1968, p. 25 ss.; cf. aussi plus bas, p. 126.
[16] Cf. NZZ, 116, 21.2.69; Rapport de la Commission de recherches économiques, 194, supplément de La Vie économique, 42/1969, février.
[17] Cf. GdL, 4, 5.1.68; Vat., 21, 25.1.68.
[18] Cf. NZZ, 312, 22.5.68.
[19] Cf. Tat, 234, 5.10.68; PS, 238, 16.10.68; TdL, 26, 26.1.68; 298, 24.10.68; TdG, 263, 8.11.68; NZZ, 770, 12.12.68.
[20] Cf. FF, 1968, I, p. 1243; NZZ, 337, 5.6.68; motion Copt (rad., VS) et postulat Tissières (ces, VS) (TdG, 157, 6./7.7.68).
[21] Petite question Lampert (ces, VS) Bund, 134, 11.6.68; Lb, 262, 7.11.68; JdG, 292, 13.12.68; Bund, 283, 2.12.68 (question du gouvernement bernois); NBüZ, 324, 4.12.68; TdG, 287, 6.12.68.
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