Année politique Suisse 1970 : Chronique générale / Défense nationale
Défense nationale et société
« Il n'est plus possible de croire que la guerre puisse être un prolongement rentable et rationnel de la politique par d'autres moyens»
[1]. Le fait qu'un important groupe d'experts, la Commission Oswald, ait mis en doute la définition classique de Clausewitz — elle introduisait, à titre de référence de presse, notre petite chronique militaire de 1969
[2] — montre à quel point les questions touchant à la défense nationale sont aujourd'hui discutées. La parution du rapport Oswald, les échos prolongés consécutifs à la distribution du livre de la défense civile, le retentissement que suscite l'ampleur croissante de l'objection de conscience, le processus contesté de l'acquisition du futur avion de combat, l'initiative populaire contre l'exportation d'armes, le procès Bührle et l'affaire Hubacher-Varrone
[3], autant d'objets qui sont l'expression ou l'origine en 1970 d'un certain malaise dans l'opinion helvétique. Malaise qui n'a pourtant pas contrarié le développement de la défense totale du pays, marne si le célèbre adage selon lequel il n'y a de paix qu'en préparant la guerre est également de plus en plus contesté de nos jours. La puissance énorme des moyens de destruction stockés dans les arsenaux du globe et les menaces toujours plus graves qu'ils font planer sur les populations civiles expliquent la recherche partout dans le monde d'instruments de sécurité susceptibles d'assurer la paix sans instaurer en même temps la terreur. La Suisse, à sa manière, participe à cet effort, parallèlement à sa politique de paix dans les relations internationales
[4]. A telle enseigne, le projet d'un institut de recherches sur les conflits
[5]. Sur le plan parlementaire, signalons la motion socialiste de la mi-décembre 1970 en faveur de la conception nouvelle d'une défense nationale basée sur une réduction des armements ainsi que sur une conversion au civil de certaines aches assumées jusque-là par l'armée
[6]. Deux événements ont précédé cette dernière initiative: en juin, le vote par le congrès du parti socialiste d'une résolution visant à réduire le budget militaire de 20 %; au début décembre, l'adoption par les Chambres du budget fédéral pour 1971 dans lequel les dépenses de la défense nationale ont crevé pour la première fois le plafond des 2 milliards de francs. Pour les justifier, le gouvernement a déclaré qu'elles représentaient, par rapport au produit national brut, un pourcentage inférieur à celui de certaines années, que leur augmentation en chiffre absolu compensait le renchérissement général de la vie et que leur réduction massive compromettrait les plans à long terme du DMF
[7].
Quelques corps de troupes sont entrés en service actif à partir des événements de Zerka
[8]. Sur requête des cantons de Genève et de Zurich, le Conseil fédéral a décidé de mettre certaines unités à leur disposition pour surveiller les aéroports de Cointrin et de Kloten. Berne a souligné qu'il ne s'agissait pas d'un geste de guerre, mais uniquement d'une nécessité politique
[9]. En fait, la difficulté de définir dans quelle situation réelle se trouvait le pays — état de guerre, de paix ou de troubles intérieurs ? — devant les nouvelles formes d'agression constituées par la piraterie aérienne, les attentats à la sécurité des aéroports et la prise d'otages n'a pas manqué de susciter des divergences quant à l'interprétation de la loi fédérale sur l'organisation militaire, invoquée par le Conseil fédéral pour décréter le service actif
[10]. En outre, le texte du serment prêté par la troupe a été jugé comme dépassé
[11]. Le service accompli revêt d'ailleurs une forme particulière puisqu'il compte comme cours normal de répétition
[12].
Diverses mesures ont concerné la défense nationale économique. Le délégué du Conseil fédéral a rendu public son appui au projet encore officieux d'un vaste entrepôt souterrain de gaz
[13]. De nouvelles dispositions sont à l'étude en ce qui concerne les réserves de combustibles et de carburants
[14]. Afin d'engager aussi judicieusement que possible au service de la défense générale les moyens personnels qui permettent d'assurer en toutes circonstances le ravitaillement de la population et de l'armée en biens d'importance vitale, l'Office fédéral de la protection civile et le délégué à la défense nationale économique sont convenus depuis 1969 déjà d'une réglementation permettant l'appel du personnel dirigeant de l'économie de guerre et son incorporation dans la protection civile
[15]. Mais la mesure la plus importante réside dans la décision du Conseil fédéral de reviser fondamentalement la structure de l'économie de guerre. Contrairement à la conception élaborée dans les années cinquante, le DFEP ne délègue plus ses pouvoirs extraordinaires aux offices de l'économie de guerre, mais centralise la direction dans son propre département, le rôle des offices étant désormais limité à des tâches d'exécution
[16].
Les conditions de la guerre moderne exigent une protection civile très développée
[17]. Les efforts accomplis ces dernières années par de nombreux cantons et communes ont été jugés insuffisants par le DMF
[18]. Bien que la Confédération participe à raison de 60 % aux frais qu'elle entraîne, beaucoup considèrent ce pourcentage comme trop faible. Une motion signée de 27 socialistes et d'un conservateur a demandé une augmentation des subventions fédérales; le Conseil national ne l'a adoptée que sous forme de postulat
[19]. Une façon de limiter les frais consisterait à rationaliser davantage les travaux
[20]. Il conviendrait aussi de simplifier la procédure de subventionnement
[21]. Toutes mesures qui, en définitive, posent des questions de principe que le gouvernement central n'a pas encore élucidées malgré les études entreprises depuis longtemps par le DFJP
[22]. Quant au « livre de la défense civile », rédigé sous la responsabilité de ce département et distribué dès 1969, il a continué de susciter des réactions en 1970. Tandis qu'il a provoqué la démission d'une vingtaine de membres de la Société suisse des écrivains, les défenseurs du petit livre rouge n'ont pas manqué de se féliciter du succès qu'il a remporté à l'étranger, notamment en Angleterre, aux Etats-Unis et au Japon
[23].
[1] Rapport de la commission pour l'étude des problèmes d'éducation et d'instruction de l'armée, 8 juin 1970, s.l., p. 31.
[2] Cf. APS, 1969, p. 52.
[3] Sur l'affaire Hubacher-Varrone, cf. supra, p. 22.
[5] Cf. supra, p. 47 et infra, p. 157.
[6] Motion Arnold (soc., ZH) au CN: Délib. Ass. féd., 1970, IV, p. 17.
[7] Congrès socialiste: cf. infra, p. 188. Adoption du budget 1971: cf. infra, p. 87.
[8] Cf. supra, p. 43 et infra, p. 115.
[10] Il s'agit des articles 195 et 196; RO, 1949, p. 1595 ss. Cf. NZZ, 454, 30.9.70.
[12] Der Fourier, 44/1971, p. 37 ss.
[14] Réponse du CF à une petite question Bratschi (soc., BE): NZZ, 373, 13.8.70.
[16] Rapp. gest., 1970, p. 206.
[17] HANS ENGLER, Die Zivilschutzorganisation in der Schweiz, Berne 1970 (thèse de doctorat). Cf. aussi la première exposition de protection civile à la Foire suisse d'échantillons à Bâle: GdL, 113, 19.5.70.
[18] Déclaration de H. Wanner, directeur de l'Office fédéral de défense totale: NZZ, 203, 4.5.70; Lb, 101, 4.5.70; Documenta Helvetica. 1970, no 2, p. 51 ss.
[19] Motion Riesen (soc., FR): Délib. Ass. féd., 1970, III, p. 32; PS, 223, 30.9.70.
[20] Postulat Albrecht (ces, NW) adopté par le CN: Délib. Ass. féd., 1970, IV, p. 17.
[21] Postulat Kloter (ind., ZH): Délib. Ass. féd., 1970, i, p. 29.
[22] Postulat Schürmann (ccs, SO) adopté par le CN: Dé/ib. Ass. féd., 1970, 1, p. 35; NZ, 440, 25.9.70.
[23] Lb, 117, 25.5.70; cf. infra, p. 158; APS, 1969, p. 53 s.
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