Année politique Suisse 1970 : Chronique générale / Défense nationale
 
Organisation
L'organisation globale de la défense a été marquée d'une part par la mise en place, commencée précédemment, des nouvelles structures prévues et planifiées depuis plusieurs années, d'autre part par divers projets de réforme. Le Conseil de la défense, composé de diverses personnalités de la vie publique, a été constitué en septembre; il a élu à sa présidence le conseiller aux Etats Louis Guisan (VD) [24]. Malgré l'opposition des communistes, le Conseil national, suivi du Conseil des Etats, a adopté la réorganisation d'une partie de l'artillerie, mesure rendue nécessaire par l'introduction dans les divisions mécanisées du char automoteur M-109 [25]. L'ordonnance de 1964 sur le service territorial a été revisée dans le sens d'une meilleure définition des activités exercées dans le cadre de la collaboration entre autorités civiles et militaires [26]. Pour ce qui est des réformes postulées, qui sont nombreuses, citons celles qui consistent à supprimer les cours de landsturm [27] et l'école de sous-officiers [28], à modifier le système de promotion des officiers [29], à compléter le code pénal militaire pour protéger la presse dans sa liberté de relater certains débats publics [30], à réviser de fond en comble le règlement de service [31], à faire du corps des gardes-fortifications (CGF) un service civil [32], à refondre le système d'équipement des troupes alpines [33], enfin à introduire le service obligatoire pour les femmes. Sur ce dernier point, il convient de noter la prise de position négative de l'Association pour le suffrage féminin qui a revendiqué l'institution préalable du droit de vote sur le plan fédéral [34].
La publication du rapport Oswald ne constitue pas seulement le principal objet relatif à l'instruction, mais représente l'événement dominant de l'année militaire 1970. Le « Rapport de la commission pour l'étude des problèmes d'éducation et d'instruction de l'armée », daté du 8 juin, a paru le 4 décembre [35]. Mené avec célérité par une commission instituée en 1969 et placée sous la présidence de M. Oswald, le travail renferme des recommandations qui se répartissent en mesures à court et long termes [36]. Parmi les mesures à court terme, le Conseil fédéral en a adopté un certain nombre à titre d'urgence: elles sont entrées en vigueur le ler janvier 1971 et figurent comme supplément au règlement de service de l'armée [37]. Elles concernent diverses formes militaires, principalement la simplification de la manière de s'annoncer, de saluer, de monter la garde et de prendre le garde-à-vous, la prolongation du temps de sortie, l'autorisation de se vêtir en civil et la suppression du « mon » devant le grade. Autre innovation remarquée et révélatrice de la volonté d'actualiser l'aspect extérieur de la troupe: la coiffure qu'il est permis maintenant de porter plus longue. A lointaine échéance, le rapport a prévu toute une série de réformes dont la nomenclature serait fastidieuse, mais parmi lesquelles il faut relever celles que voici: meilleure utilisation des compétences exercées au civil, distinctions pour performances exceptionnelles, création d'un organisme permanent de recherche et de planification, renforcement de la camaraderie et. de la cohésion, intensification de l'instruction technique et de la ' formation physique, amélioration du statut des instructeurs, aménagement de places d'exercice spécialisées, réorganisation du recrutement, redéfinition du concept d'aptitude au service, refonte complète du règlement de service, uniformisation de la tenue de sortie [38]. La commission a enfin recommandé l'examen de certains problèmes qu'elle n'a pas étudiés, entre autres l'objection de conscience, l'organisation de la justice militaire, l'utilisation de places d'exercice et de tir à l'étranger, l'augmentation du nombre des appointés, l'introduction d'un examen annuel d'aptitude physique (analogue à celui de l'aptitude au tir), la scission de l'école de recrues en une période de formation de base (école de soldat) et une période de formation technique et tactique [39]. L'idée directrice qui a inspiré les travaux de la commission est celle de la nécessité, pour une armée qui n'a plus fait le coup de feu depuis le siècle dernier, d'une adaptation aux modes de vie, d'action et de pensée de la société d'aujourd'hui [40]. L'ensemble des questions traitées ou seulement évoquées a été réparti en trois séries distinctes, chacune étant le propre d'un groupe de travail: tenue morale et état d'esprit, instruction, formes militaires [41].
Les réactions les plus diverses ont été enregistrées à la parution du rapport. Certains commentateurs ont souligné la soudaineté des mesures, leur aspect révolutionnaire [42], d'autres au contraire l'évolution qui a conduit peu à peu aux dernières réformes (par exemple, suppression du pas cadencé en 1946, du maniement d'armes en 1958, du garde-à-vous individuel en 1970) [43]. L'affrontement des partisans et adversaires des nouveautés a été interprété comme un conflit entre modernistes et intégristes, l'assouplissement des rapports d'autorité comme une victoire des « colombes » sur les « faucons » [44]. Les termes de démocratisation et de libéralisation sont revenus très fréquemment sous la plume des journalistes, notions également exprimées à profusion par le crayon des humoristes tant il est vrai que les formes militaires, par leur rigidité, prêtent facilement le flanc à la caricature et à l'ironie. La plupart des « revues de presse » ont insisté sur la différence d'attitudes entre Suisse romande et Suisse alémanique [45]. Chose curieuse, la modification des formes extérieures a été beau plus critiquée à l'ouest de la Sarine qu'à l'est, alors qu'il est difficile d'accuser les Romands d'apprécier particulièrement une conception prussienne de la discipline. Le point de vue de M. Chaudet, ancien président de la Confédération et ex-chef du DMF, a été très remarqué: estimant judicieuses les réformes de l'instruction, il a par contre stigmatisé les autres mesures — discipline et esprit — comme autant de signes de relâchement [46]. D'autres Romands ont considéré que les réformes étaient imposées par les Alémaniques, l'esprit fédéraliste traditionnellement opposé au centralisme de Berne s'alarmant de l'atteinte portée au prestige des unités militaires cantonales [47]. Abstraction faite des disparités régionales de jugement, les adversaires les plus résolus de l'ensemble du plan de réforme l'ont jugé à la fois inutile et dangereux, ses défenseurs bienvenu voire indispensable [48].
top
 
print
Instruction
D'autres objets se rapportent encore au domaine de l'instruction. Un nouveau règlement tactique de conduite des troupes, « CT 69 », a été publié; sa teneur essentielle consiste à donner à la défense un caractère toujours plus offensif [49]. En septembre, le peuple et les cantons ont adopté l'article constitutionnel sur l'encouragement à la, gymnastique et au sport, disciplines qui faisaient partie jusque-là de l'entralnement militaire et qui en sont désormais indépendantes, bien que l'armée soit appelée à bénéficier indirectement de l'amélioration de la santé publique [50]. L'aménagement de plusieurs places d'armes et de tir — citons celles d'Aarau (AG), Drognens (FR), Monte-Ceneri (TI) et Thoune (BE) — s'est poursuivi tandis que dans les Franches-Montagnes les communes qui avaient décidé en 1969 le rachat des terrains acquis par l'armée cherchent à y implanter une vaste station touristique [51]. Dix-neuf officiers tués — il y eut aussi des victimes civiles — quatorze millions de francs de dégâts, tel est le bilan pour l'armée de la catastrophe de Reckingen (VS) où la place de tir et une partie du village ont été emportées par une avalanche, imprévisible selon les autorités responsables [52]. Il est question non seulement de reconstruire, mais encore de développer la place, comme il ressort du programme de construction 1970 [53]. Ce dernier, d'un montant de 203 millions de francs, a été voté par les Chambres en même temps que le programme d'armement [54].
 
[24] NZZ, 464, 6.10.70; 514, 4.11.70; Bund, 233, 6.10.70. Cf. APS., 1969, p. 54.
[25] Message et projet d'arrêté du CF: FF, 1970, I, p. 363 ss. Délibérations des Chambres, Bull. stén. CN, 1970, p. 398 ss.; Bull. stén. CE, 1970, p. 255 ss.; RO, 1970, p. 1257 s.
[26] Ordonnance du 21.10.70: NZZ, 491, 22.10.70.
[27] Motion Riesen (soc., FR): Délib. Ass. féd., 1970, IV, p. 32 s.
[28] Proposition du chef du Département militaire du canton de Fribourg, le conseiller d'Etat Ducotterd, reprenant le postulat Hayoz (ccs, FR) de mars 1969: JdG, 228, 1.10.70. Cf. APS, 1969, p. 55.
[29] Postulat Baumann (PAB, AG) en faveur d'une réduction du délai de promotion: Délib. Ass. féd., 1970, II, p. 19. Adoption par le CN: NZN, 127, 4.6.70.
[30] Motion Gerwig (soc., BS): Délib. Ass. féd., 1970, II, p. 26.
[31] Postulat Allgöwer (ind., BS): Délib. Ass. féd., 1970, III, p. 17.
[32] Postulat Weisskopf (rad., BE): Délib. Ass. féd., 1970, IV, p. 37.
[33] GdL, 36, 13.2.70.
[34] Réplique à une suggestion émise par la Société suisse des officiers: TdG, 16, 20.1.70; NZZ, 30, 20.1.70.
[35] Cf. l'ensemble de la presse à partir du 5 décembre. Cf. supra, note 1.
[36] Op. cit., p. 158 ss.
[37] Entre autres Ostschw., 285, 5.12.70; NZ, 562, 5.12.70; Tat, 286, 5.12.70.
[38] Op. cit., p. 167 ss.
[39] Ibidem, p. 173 ss.
[40] Ibidem, p. 19 ss.
[41] Ibidem, p. 35 s.
[42] Entre autres NZ, 561, 4.12.70; NZN, 285, 5.12.70; JdG, 284, 5./6.12.70.
[43] Bund, 285, 6.12.70; BN, 514, 5./6.12.70.
[44] BN, 514, 5./6.12.70.
[45] NZZ, 575, 10.12.70; TAW, 50, 15.12.70; Tat, 300, 22.12.70; Bund, 302, 28.12.70.
[46] GdL, 285, 7.12.70; TdG, 286, 7.12.70; NZZ, 571, 8.12.70.
[47] Bund, 302, 28.12.70 (revue de presse). Onze directeurs de départements militaires cantonaux ont exprimé des réserves sur le rapport Oswald (TLM, 339, 5.12.70).
[48] Adversaires: GdL, 284, 5.12.70; 287, 9.12.70; TdG. 288, 9.12.70 (colonel Chouet).
[49] GdL, 218, 18.9.70; Bund, 218, 18.9.70; Lb, 217, 18.9.70; NZZ, 434, 18.9.70.
[50] Cf. infra, p. 148. Cf. aussi APS, 1969, p. 56
[51] Lib., 227, 6.7.70. Cf. APS, 1969, p. 56 s.
[52] Der Fourier, 44/1971, p. 37 ss.; Bull. stén. CN, 1970, p. 398.
[53] FF, 1970, I, p. 585.
[54] Message du CF: FF, 1970, I, p. 561 ss. Arrêté: FF, 1970, II, p. 1018 s. Adoption par le CN : Bull. stén. CN, 1970, p. 398 ss.; Vat., 138, 18.6.70. Adoption par le CE: Délib. Ass. féd., 1970, Ill, p. 12.