Année politique Suisse 1970 : Chronique générale / Défense nationale
 
Armement
Le programme d'armement, devisé à 200 millions de francs par le gouvernement, n'a subi aucune réduction malgré la demande formulée par le conseiller national Riesen (soc., FR) qui estimait trop élevées certaines dépenses. Les groupes conservateur et indépendant ont déclaré accepter, mais sans enthousiasme, le projet. Quant au communiste Forel (VD), il a proposé de ne pas entrer en matière. Pour lui, de tels crédits — il parlait, aussi du programme de construction — sont exorbitants et superflus. Sa proposition a été rejetée par 92 voix contre 3, celle du député fribourgeois par 76 contre 14 et le crédit d'armement finalement adopté par 86 voix contre 3 [55]. Le Conseil des Etats, par 32 voix sans opposition, a voté dans le même sens que le Conseil national [56].
L'aviation et la défense contre avions (DCA) retiennent spécialement l'attention par la diversité et l'importance des affaires qui les ont concernées. Le gouvernement a présenté son onzième rapport sur l'acquisition des Mirage III [57]. Les Chambres en ont pris acte et ont délié le Conseil fédéral de l'obligation de rapporter davantage sur une question qui semble maintenant liquidée mais qui avait eu, il y a quelques années, le retentissement que l'on sait [58]. Des doutes cependant s'élèvent sur l'efficacité de l'appareil, comme le montre une pétition présentée à l'Assemblée fédérale en vue d'instituer une commission neutre d'experts qui serait chargée d'examiner les aptitudes du Mirage III-S comme appareil d'intervention au sol [59]. Le système Florida, destiné à la surveillance de l'espace aérien, a été livré à la troupe sans frais supplémentaires — son prix était fixé à 203 millions de francs — malgré dix-sept mois de retard causé par certaines difficultés techniques [60]. Un accord passé avec la Grande-Bretagne a permis d'effectuer des tirs de contrôle avec des fusées sol-air Bloodhound MK II; les essais, qui ont eu lieu sur une base britannique, ont été qualifiés de concluants [61]. D'autres essais, en Suisse cette fois, ont porté sur les possibilités qu'offrent nos autoroutes comme pistes d'atterrissage et de décollage pour les avions à réaction [62].
L'ampleur des dépenses prévues — plus d'un milliard de francs — et les péripéties auxquelles il a été donné d'assister ont désigné comme affaire capitale l'acquisition du futur avion de combat. Au printemps, deux faits sont constatés: la procédure d'acquisition engagée depuis plusieurs années s'avère trop longue (on pensait en 1966 qu'une décision pourrait intervenir en 1969 [63]) et le montant inscrit dans le plan financier à long terme de 1967 est en voie d'être largement dépassé [64]. La psychose de l'affaire « Mirage » aidant [65], les quatre partis gouvernementaux et l'Alliance des indépendants, pour éviter une nouvelle aventure, interviennent à la session d'été du Conseil national [66]. La question tourne autour du processus d'évaluation de l'appareil. Malgré l'utilisation de l'ordinateur, l'examen préalable d'une vingtaine d'avions, l'ampleur et le sérieux des informations recueillies et traitées — un million de questions posées à chaque type analysé [67] — la préférence avouée du DMF pour l'avion américain Corsair est rejetée par la commission militaire du Conseil national à cause du dépassement des dépenses que son achat entraînerait: 1800 millions de francs au lieu de 1300 millions. La Chambre faisant écho à la commission, M. Gnägi adopte le postulat Schürmann (ces, SO), invitant le Conseil fédéral à étendre l'évaluation à d'autres appareils [68].
Les critères d'appréciation des techniciens ainsi remis en cause par ceux des hommes politiques, le gouvernement décide, en juillet, de faire examiner ou réexaminer les types Fiat G 91 (italien), Saab 105 (suédois), Skyhawk (américain) et Mirage-Milan (français) [69]. Mais cette solution ne faisant que retarder la décision finale d'acquisition et augmenter par le fait même — renchérissement, études nouvelles — le prix d'achat du futur avion, il étudie encore, en août, la proposition d'une firme britannique de vendre sans délai trente Hunter d'occasion [70]. Equipant déjà partiellement notre aviation, les Hunter combleraient provisoirement et pour le coût modeste de 120 millions de francs, les pertes subies par les escadrilles durant la longue phase d'évaluation. Le projet, qui permet au Conseil fédéral de sortir de l'impasse dans laquelle il s'était engagé, est effectivement annoncé de façon officielle en novembre par le DMF [71]. Des le mois de juillet à vrai dire, il en était question. Partisans et adversaires s'opposaient, les uns et les autres invoquant des raisons d'économie, les premiers parce qu'un tel achat représenterait la possibilité d'acquérir un nombre élevé d'appareils, les seconds parce que le vieillissement précoce de ces engins d'occasion entraînerait de nouvelles dépenses dans peu d'années [72]. Un crédit d'engagement de 13 millions est nécessaire à l'acquisition, somme qui devra recevoir l'approbation préalable des commissions parlementaires des finances [73]. Indépendamment de la solution transitoire des Hunter, diverses prises de position ont été exprimées durant l'année sur le choix du futur avion de combat. Tandis que les socialistes se sont déclarés en faveur du Saab suédois, l'Alliance des indépendants a rejeté le Corsair subsonique américain au profit d'une formule plus récente d'appareil, tel le Milan supersonique français ou le Harrier anglais à décollage vertical [74].
S'agissant de l'armement, un dernier objet d'importance doit être signalé, l'aboutissement de l'initiative populaire lancée en 1969 et visant à interdire l'exportation d'armes et à nationaliser leur fabrication [75]. Nul doute que la collecte des signatures n'ait contribué à préciser les clivages de l'opinion publique. C'est ainsi que le Parti socialiste s'est déclaré favorable à l'initiative, de même que le comité genevois de la Déclaration de Berne [76]. Un sondage identique à celui opéré en 1969 a montré que le nombre de personnes sans opinion avait baissé, que les adversaires d'une nationalisation avaient augmenté et que les partisans d'une industrie suisse d'armement étaient toujours majoritaires [77]. De son côté la commission Weber, chargée de l'examen de la question [78], a proposé l'élaboration d'une loi d'exécution, encore inexistante, de l'article 41 de la Constitution fédérale. A titre transitoire, le Conseil fédéral a pris un arrêté qui est une adaptation de celui de 1949 sur le matériel de guerre et qui consiste à renforcer le contrôle des exportations. Un bureau dépendant du Ministère public de la Confédération doit contribuer à la lutte contre les exportations illégales [79]. Ces mesures répondent ainsi aux nécessités apparues lors du procès Bührle, tenu en automne devant le Tribunal fédéral à Lausanne. Les peines prononcées contre les coupables ont été jugées diversement: conformes à la logique et à l'équité pour ceux qui ont estimé qu'elles étaient relativement sévères, elles sont apparues aux autres, c'est-à-dire surtout la gauche et les partisans de l'initiative populaire, comme absolument scandaleuses parce que beaucoup trop clémentes [80].
Deux débats parlementaires ont porté sur l'équipement de l'armée. Alors que l'octroi de subsides pour les véhicules à moteur utilisables par l'armée n'a suscité que très peu d'intérêt et a été adopté sans opposition [81], l'arrêté fédéral pour le maintien d'un nombre suffisant de chevaux du train et de mulets aptes au service n'a pas été sans soulever certaines objections présentées principalement par l'Alliance des indépendants qui a estimé ce moyen de transport dépassé et a plaidé pour son abolition pure et simple. Le fait que ce soient les défenseurs du cheval en général qui aient appuyé le projet a fait dire qu'il ne s'agissait là que d'un combat d'avant-garde autour du problème de la cavalerie, laquelle serait prochainement supprimée comme dénuée; dit-on, de valeur combattante [82],
 
[55] Message du CF: FF, 1970, I, p. 349 ss. Arrêté: FF, 1970, p. 1016 s. Adoption par le CN: NZZ, 277, 18.6.70; Bund, 139, 18.6.70; NZN, 139, 18.6.70; PS, 135, 18.6.70; VO, 135, 18.6.70. Adoption par le CE: GdL, 223, 25.9.70; Vat., 222, 25.9.70.
[56] GdL, 233, 25.9.70; Vat., 222, 25.9.70.
[57] FF, 1970, I, p. 113 ss.; GdL, 54, 6.3.70.
[58] CE: GdL, 52, 4.3.70. CN: Délib. Ass. féd., 1970, I, p. 11.
[59] Pétition Jaquemet à l'Assemblée fédérale: AZ, 265, 14.11.70; NZZ, 534, 16.11.70.
[60] TdG, 100, 30.4.70; TLM, 120, 30.4.70; NZZ, 197, 30.4.70; Vat., 99, 30.4.70.
[61] NZZ (ats), 263, 10.6.70; 541, 20.11.70.
[62] Der Fourier, 44/1971, p. 37 ss.
[63] Cf. APS, 1966, p. 38.
[64] Prise de position du chef de l'aviation et de la DCA, le commandant de corps Studer: TdG, 87, 15.4.70; NZZ, 174, 16.4.70.
[65] Lb, 97, 29.4.70; NZN, 145, 25.6.70; VO, 142, 26.6.70; Weltwoche, 26, 26.6.70.
[66] Interpellations Allgöwer (ind., BS), Bieri (rad., ZH), Fischer (PAB, TG) et Muheim (soc., LU) ainsi que postulat Schürmann (ccs, SO): Délib. Ass. féd., 1970, II, p. 36 s., 45 s., 47, 48 et 52. Réponse du CF (M. Gnägi): Bull. stén. CN, 1970, p. 467 ss.; TLM, 175, 24.6.70; VO, 138, 22.6.70; Bund, 144, 24.6.70; NZZ, 287, 24.6.70.
[67] TdG, 87, 15.4.70; NZZ, 271, 15.6.70. Cf. aussi PAOLO URIO, Processus de décision et défense nationale en Suisse, rapport présenté au VIII. Congres mondial de science politique, Munich, sept. 1970 (multigr.). Remarquons que la minutie avec laquelle est conduite la procédure d'évaluation résulte elle-même de la préoccupation de ne pas répéter l'expérience fâcheuse du Mirage.
[68] Bull. stén. CN, 1970, p. 459 ss.
[69] Bund, 163, 16.7.70; NZZ, 325, 16.7.70; TdG, 164, 16.7.70; La Gruyère, 82, 18.7.70. '
[70] GdL, 189, 15./16.8.70; NZZ, 377, 16.8.70; Vat., 188, 17.8.70.
[71] TdG, 269, 17.11.70; JdG, 269, 18.11.70; Bund, 270, 18.11.70; NZZ, 538, 18.11.70.
[72]JdG, 154, 6.7.70. Articles favorables: Sonntags-Journal, 28, 11./12.7.70; NZZ, 541, 20.11.70; Lb, 279, 30.11.70 (Aero-Dienst). Prise de position négative du Parti socialiste genevois: TLM, 328, 24.11.70.
[73] JdG, 270, 19.11.70.
[74] Socialistes: JdG, 154, 6.7.70; AZ, 84, 14.4.70; 263, 12.11.70; Tw, 141, 20./21.6.70. Indépendants: Tat, 277, 25.11.70; 279, 27.11.70.
[75] NZZ, 547, 24.11.70; Tw, 272, 20.11.70.
[76] TdG, 99; 29.4.70.
[77] TdG, 55, 6.3.70; APS, 1969, p. 57.
[78] Cf. APS, 1969, p. 46.
[79] Der Fourier, 44/1971, p. 37 ss.
[80] Approbation du verdict: JdG, 278, 28./29.11.70; TdG, 279, 28./29.11.70; NZZ, 556, 29.11.70; Bund, 279, 29.11.70; Lib., 252, 30.11.70. Désapprobation: PS, 275, 30.11.70; 276, 1.12.70; VO, 277, 2.12.70; Nouvelle Revue de Lausanne, 27.11.70; 28.11.70. Revues de presse: NZZ, 558, 30.11.70; NZN, 280, 30.11.70; Tat, 281, 30.11.70.
[81] Arrêté. fédéral: FF, 1970, I, p. 530 s. Débats: Bull. stén. CE, 1969, p. 311 ss.; 1970, p. 110; Bull. stén. CN, 1970, p. 39 ss. et 244.
[82] Arrêté fédéral: FF, 1970, I, p. 523 s. Débats: Bull. stén. CN, 1970, p. 63 ss.; Bull. stén. CE, 1970, p. 110.