Année politique Suisse 1971 : Eléments du système politique / Droits, ordre public et juridique
Ordre public
L'ordre public fut plus fréquemment troublé qu'au cours de l'année précédente et ceci par toutes sortes de provocations. Mis à part le Jura bernois
[32], les centres d'agitation se localisèrent à
Zurich comme auparavant, mais aussi à Genève et à Lausanne. A Zurich, la jeunesse du «Bunker», qui avait proclamé une république autonome au centre de jeunesse du Lindenhof, constitua un noyau d'activistes qui, à maintes reprises, attirèrent l'attention en organisant des démonstrations interdites, en endommageant des bâtiments et en occupant des immeubles inhabités, ce qui provoqua l'intervention de la police. En plus de la revendication d'un centre de jeunesse autonome, ce fut surtout la pénurie de logements qui donna matière à contestation. A plusieurs reprises, des bagarres éclatèrent qui firent des blessés, notamment à l'occasion de la fête du 1er mai et le 31 décembre
[33]. Une expédition fut lancée contre la maison de rééducation d'Uitikon, ce qui permit à plusieurs pensionnaires de s'échapper pour quelque temps
[34].
A
Genève, un conflit éclata lorsque la police intervint contre certaines représentations théâtrales d'avant-garde qui n'avaient pas été autorisées, et lorsque des manifestants occupèrent la Maison des jeunes et de la culture en vue de la transformer en un centre autonome. Les démonstrations se poursuivirent durant un mois, ce qui provoqua l'intervention de la police et l'amena à déloger par deux fois les occupants de la maison. Après des heurts violents qui firent, le 11 juin, quelques blessés, M. Schmitt, directeur de la police, annonça qu'à l'avenir toute manifestation interdite sur la place publique serait instantanément dispersée; là-dessus, les manifestants se contentèrent de monter des pièces de théâtre dans la rue
[35]. En août, la découverte d'un dépôt d'armes chez des étudiants d'extrême-gauche suscita une vive émotion; toutefois, les promoteurs du centre autonome de jeunesse se désolidarisèrent de ce groupement
[36]. Le Conseil fédéral confia l'examen de cette affaire à la justice fédérale
[37]. L'exemple donné par les jeunes gens de la cité de Calvin fut suivi par leurs aînés, qui se manifestèrent à plusieurs reprises dans la rue pour protester, soit contre la pénurie de logements soit contre l'abattage d'arbres et la suppression de zones de verdure
[38].
Lausanne, qui ne connaissait point les bagarres de rue, eut aussi sa nuit chaude, le 25 mai; ce fut le résultat d'un ultimatum lancé par un Comité d'action cinéma en faveur de la création d'un centre de jeunesse autonome. Les désordres continuèrent et l'on décida en conséquence de renoncer à organiser la Fête à Lausanne qui a lieu chaque année dans les ruelles de la vieille ville. L'intervention à la fois ferme et souple des autorités permit d'orienter le mouvement dans des voies plus pacifiques
[39]. Etant donné l'agitation croissante, l'opinion publique s'est durcie; parfois des civils s'en prirent aux jeunes manifestants
[40]. Du côté bourgeois, les appels au maintien du droit et de l'ordre se firent plus pressants; on songeait aux élections fédérales et cantonales
[41]. A Zurich, un « Institut für politologische Zeitfragen » a commencé à diffuser des cahiers d'information consacrés à l'agitation et à la subversion, dans lesquels on invite à combattre les tendances extrémistes
[42]. Mais les appels à la lutte à outrance contre les contestataires furent aussi critiqués
[43]. C'est ainsi que de nombreuses personnalités du monde culturel et politique tinrent à faire une mise en garde contre un durcissement de la société à l'égard des manifestants guidés souvent par de nobles motifs, et reprochèrent à la police un style d'intervention parfois inapproprié
[44]. Les représentants du PdT genevois se désolidarisèrent toutefois nettement des «libertins» de l'extrême gauche
[45].
Aux yeux des autorités, l'ordre public ne fut pas seulement menacé par des manifestations de rue, mais encore par des activités antimilitaristes et des publications qualifiées de pornographiques. On reprocha sa rigueùr au procureur de la Confédération Walder et on l'accusa de contrarier la liberté d'expression et la production artistique
[46]. La découverte à Genève de tables d'écoute téléphonique privées mit en évidence un aspect peu commun de l'activité de la police: il était possible à des fonctionnaires qui en avaient fait partie de remettre des renseignements à des particuliers
[47].
[32] Cf. infra, p. 26 ss.
[33] Proclamation de la République du Bunker: cf. APS, 1970, p. 148. Evacuation du Bunker: NZZ, 27, 18.1.71; GdL, 15, 20.1.71. Dommages causés aux immeubles: NZZ, 26, 18.1.71; 87, 22.2.71; 98, 1.3.71; 201, 3.5.71; 2, 3.1.72. Occupation d'appartements vides et d'un chantier: NZZ, 26, 18.1.71; 170, 14.4.71; 448, 27.9.71; NZN, 74, 2.4.71.
[34] NZZ, 452 et 453, 29.9.71; 460, 4.10.71; 476, 13.10.71.
[35] PS, 85, 5.5.71; TdG, 113, 17.5.71; 116, 21.5.71; 128, 5./6.6.71; 135, 14.6.71; JdG, 116, 21.5.71; 137, 16.6.71; 154, 6.7.71. Représentations théâtrales: cf. infra, p. 151.
[36] TdG, 198, 26.8.71; JdG, 201, 30.8.71. On a trouvé notamment 22 fusils d'assaut, 24.000 cartouches, des cartes topographiques et un fichier sur la police genevoise.
[38] Pénurie de logements: TLM (ats), 317, 14.11.71; TdG, 291, 14.12.71. Sauvegarde de zones de verdure: TdG, 134, 12./13.6.71; 215, 16.9.71; 258, 5.11.71; 298, 22.12.71; JdG (ats), 151, 2.7.71. Cf. infra, p. 118.
[39] TLM, 146, 26.5.71; GdL, 121, 27.5.71; 142, 22.6.71; 251, 28.10.71; Bund. 149, 30.6.71; 150, 1.7.71; 152, 4.7.71. L'Action cinéma était dirigée contre une hausse des prix d'entrée dans les salles de spectacle (TLM, 120, 30.4.71; GdL, 112, 15./16.5.71).
[40] Zurich: NZZ, 88, 23.2.71; 450, 28.9.71. Genève: TdG, 116, 21.5.71; 141, 21.6.71.
[41] NZZ (ats), 95, 26.2.71; NZZ, 185, 23.4.71 (annonce); 205, 5.5.71; 206, 6.5.71; 234, 23.5.71; 545, 22.11.71; TdG, 116, 21.5.71 (petite annonce); Schweizerische Gewerbe-Zeitung, 38, 17.9.71.
[42] ipz-Information (multigr.). Cf. NZ, 173, 18.4.71.
[43] Cf. appel in Allgemeine Schweizerische Militärzeitschrift, 137/1971, p. 548; NZ, 362, 10.8.71; Tw, 184, 10.8.71; SJ, 34, 21./22.8.71; Der Feldweibe!, 19/1971, p. 290.
[44] Genève: TdG, 121, 27.5.71; Lausanne: TLM, 154, 3.6.71. Cf. aussi NZ, 196, 3.5.71; 298, 4.7.71.
[45] VO, 114, 21.5.71; 125, 4.6.71.
[46] NZ, 18, 13.1.71; 24, 17.1.71; 53, 3.2.71; 132, 22.3.71; 521, 11.11.71; AZ, 11, 15.1.71. Cf. aussi infra, p. 58.
[47] TdG, 301, 24./25.12.70; 12, 16./17.1.71; GdL, 6, 9./10.1.71; Lb, 12, 15.1.71; JdG, 43, 21.2.71.
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