Année politique Suisse 1971 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
 
Aide au développement
Pour la Suisse, l'aide au développement constitue l'expression dominante du principe de solidarité envers les pays du monde extra-européen. Si la conception de cette aide est encore, pour la majorité des citoyens, essentiellement caritative, comme un sondage l'a montré [50], la politique suivie et à suivre en ce domaine est en fait beaucoup plus complexe. La création, envisagée par le Conseil fédéral, d'une centrale d'information et de documentation aura pour but, non seulement de sensibiliser davantage l'opinion, mais encore et surtout de définir scientifiquement les problèmes du tiers monde [51]. II convient aussi, selon certains, d'élaborer un « projet social » ou des « options politiques », visant à dénoncer l'oppression de certains régimes et à orienter l'aide vers les pays à structures démocratiques ou en voie de démocratisation [52]. Sur le plan juridique, l'aide au développement devrait faire l'objet d'un article constitutionnel et d'une loi: une motion Akeret (PAB, ZH) dans ce sens a d'ores et déjà été adoptée par le Conseil national sous forme de postulat. Le conseiller fédéral Graber a annoncé la préparation d'une telle loi. En outre, le gouvernement s'est proposé de créer un comité interdépartemental dont le but sera de coordonner les tâches et les services de la Confédération dans le secteur de l'aide au développement [53].
En 1970 l'aide totale, publique et privée, de la Suisse au tiers monde a diminué, en chiffres relatifs, par rapport à 1969: de 0,64%, le taux du produit national brut qui lui est affecté a passé à 0,62 %. Tandis qu'en 1969 ce fléchissement était à imputer au seul secteur privé, en 1970 les deux formes d'aide sont en cause: l'aide publique, qui était de 0,16 % en 1969, est tombée à 0,14 %; l'aide privée, de 0,51 % en 1969, a régressé à 0,50 %. Le recul de l'aide publique suisse ne fait que confirmer la tendance générale enregistrée dans les pays membres du Comité d'aide au développement (CAD). Il reste vrai que le taux helvétique demeure très inférieur à la moyenne du CAD, qui est de 0,33 % (0,35 % en 1969) [54]. Le Conseil fédéral a l'intention d'améliorer les prestations publiques de notre pays et de les amener à 0,27 % du PNB à la fin de 1974. Quant à l'aide totale, publique et privée, elle devrait atteindre 0,8 % à la même époque. Dans ce but, un crédit-cadre de 275 millions de francs sera affecté à l'assistance technique pour les trois prochaines années (1972-74) [55]. Deux autres projets, annoncés en 1970, se sont concrétisés en 1971. L'un concerne l'institution d'un système généralisé de préférences douanières en faveur des pays en développement. Les Chambres l'ont adopté sans opposition [56]. Le second l'a été avec plus de difficultés. Il s'est agi d'octroyer un crédit de programme, le premier du genre, à titre d'aide économique et financière au tiers monde. S'élevant à 400 millions, il était valable pour une durée de trois ans au moins. Le gouvernement était habilité, selon ses propres vues, à utiliser cette somme à des activités bilatérales et multilatérales en signant des accords pouvant dépasser quinze ans. Ce dernier point a soulevé la question du référendum: n'allait-on pas, par le biais d'un arrêté, escamoter la démocratie directe, puisque tout traité d'une durée supérieure à quinze ans doit être soumis au verdict populaire? Le Conseil national a d'abord écarté l'objection, puis est revenu sur sa décision et a finalement approuvé le Conseil des Etats après que ce dernier se fit prononcé en faveur du référendum facultatif. En conséquence, le crédit global a été adopté, mais le Conseil fédéral s'est vu soustraire un mandat de portée générale qui lui aurait permis de disposer librement de cette somme [57].
Une série de faits et de mesures, complètent ce tableau de l'aide au développement. La Suisse a signé le nouvel accord international sur le blé qui, entre autres, permettra à la Suisse, à raison de 12 millions de francs par an, de poursuivre son aide alimentaire aux populations de la faim. Une subvention de 1,3 million de francs a été accordée à l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI). Des accords de coopération technique ont été passés avec la Bolivie et le Paraguay, avec le Burundi et le Sénégal, avec l'Inde et l'Indonésie. L'Ecole polytechnique fédérale de Zurich a inauguré, fin 1970, des cours de formation postuniversitaire pour les volontaires de la coopération technique. Le gouvernement de Bâle-Ville a institué une commission d'Etat pour l'aide au développement. Enfin la Ville de Zurich a proposé l'octroi régulier de crédits dont le montant correspondrait à un certain pourcentage des dépenses budgétaires annuelles et qui seraient affectés par moitié à des pays du tiers monde, par moitié à des régions suisses économiquement défavorisées [58].
A la différence de l'aide au développement, l'aide humanitaire d'urgence combat non pas.les causes, mais les effets les plus immédiats de la misère. La Confédération, qui possède ses propres moyens d'action dans le domaine de l'aide au tiers monde, devrait aussi se munir d'un instrument spécifique pour intervenir promptement en cas de catastrophes [59]. Donnant suite, après une longue attente, à la motion Furgler (pdc, SG) de 1967, le gouvernement a effectivement proposé la création dans ce but d'un corps de volontaires. Hautement qualifié, il serait dirigé par un responsable désigné par le Conseil fédéral. Le gouvernement seul déciderait, en chaque cas, de l'engagement proprement dit de l'unité d'intervention. Celle-ci collaborerait avec la Croix-Rouge et le CICR. L'imputation des missions accomplies sur le service militaire serait encore à examiner. Saisi du projet, le Conseil national l'a approuvé [60]. Une autre motion, déposée par l'indépendant zurichois Schmid et revêtue de 76 signatures, a encore reçu l'approbation des autorités. Il s'agit de préparer la conclusion d'une convention internationale pour la protection des détenus politiques. Le Conseil fédéral a déclaré qu'il convoquerait au moment opportun une conférence diplomatique pour traiter de la question et qu'il soutiendrait, comme il le fait déjà, les efforts du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour élargir et parfaire le droit humanitaire en vigueur [61]. Une expression concrète de l'appui fourni par la Confédération aux activités de la grande institution genevoise a été la proposition de l'exécutif de tripler la contribution annuelle dont elle bénéficie: jusqu'ici de 2,5 millions de francs, elle passera à 7,5 millions. Il s'agira en outre de transformer en subvention l'avance de 10 millions de francs consentie en 1968 et d'allouer au besoin une contribution complémentaire jusqu'à concurrence de 5 millions de francs par an. Selon un voeu exprimé par le CICR, le montant des prestations régulières des Etats étrangers devrait aussi s'accroître du triple, ce qui permettrait de maintenir la parité actuelle des parts versées, la moitié l'étant par ces derniers; l'autre par la Suisse [62].
Quoi qu'il en soit, la dépendance financière du CICR vis-à-vis des instances gouvernementales ne doit pas nuire à son autonomie et à sa liberté d'action. Selon le Conseil fédéral, le meilleur moyen de parer à ce danger permanent est de conserver au Comité sa composition exclusivement suisse [63]. Néanmoins les conditions dans lesquelles l'institution a été engagée en 1970 dans la crise de Zerka ont laissé l'impression qu'elle n'avait pas su éviter d'être alors un instrument du gouvernement fédéral. La démission retentissante de J. Freymond, vice-président du Comité, est apparue comme une désapprobation de la ligne suivie en cette affaire [64]. Ces difficultés internes, inévitables pour toute institution dynamique, n'ont cependant pas entravé les activités sans cesse croissantes du CICR. Une conférence, réunissant des experts gouvernementaux de trente-sept pays, s'est tenue dans la ville d'Henri Dunant pour adapter le droit humanitaire aux nouvelles formes de guerre, notamment la guérilla. Elle a permis de mettre en évidence la diversité des points de vue et surtout la multiplicité et la complexité des problèmes à résoudre. Décision a été prise de convoquer une seconde session en 1972 [65]. D'autre part le CICR, tout en poursuivant les nombreuses missions dont il est déjà investi dans le monde, a obtenu des puissances intéressées l'autorisation d'oeuvrer en faveur du retour dans leur pays des réfugiés bengalis [66].
Les souffrances indicibles qu'a endurées la population du Bengale oriental — de l'automne 1970 à l'hiver 1971, elle a enduré coup sur coup cyclone, guerre civile et conflit armé — n'ont attiré que tardivement l'attention des gouvernements et des peuples. La même indifférence initiale a été observée en Suisse. Des appels répétés à l'opinion et une grève de la faim que s'est imposée le fondateur de Terre des hommes, E. Kaiser, ont fini par réveiller la traditionnelle générosité helvétique [67]. Parmi la multitude des actions de secours qui ont été lancées, il convient de mentionner spécialement celle, conjuguée, des cinq principales oeuvres d'entraide du pays — Croix-Rouge suisse, Caritas, Entraide des Eglises protestantes, Entraide ouvrière suisse et Enfants du monde — et intitulée « Sauvez les enfants du Bengale ». Deux motions parlementaires, acceptées à l'unanimité, ont permis à la Confédération de doubler le montant des dons privés récoltés au nom de cette action [68]. De plus, le Conseil fédéral a accepté de patronner une journée nationale, fixée au dimanche 6 novembre, en faveur des réfugiés bengalis [69]. Le conflit armé indopakistanais qui a éclaté en décembre a incité les responsables des actions de secours à poursuivre leurs collectes au-delà de 1971. Les fonds publics et privés rassemblés environ 67 millions de francs jusqu'en février 1972 — ont été et seront affectés à l'aide sur place. Les suggestions faites d'un accueil massif de réfugiés en Suisse — le chiffre de 300.000 enfants a été articulé — se sont heurtées, à l'étranger, au refus des parents et Etats concernés et, en Suisse, à des objections de caractère démographique et social [70].
 
[50] Cf. GERHARD SCHMIDTCHEN, Schweizer und Entwicklungshilfe, Innenansichten der Aussenpolitik, Bern 1971. Selon cette enquête, 48 % des personnes interrogées sont favorables au maintien de l'aide à son niveau actuel, 34 % souhaitent une augmentation et 13 % une diminution. Cf. aussi GdL, 109, 12.5.71; NZZ, 352, 1.8.71.'
[51] Réponse du CF à la petite question Broger (pdc, AI): NZZ, 241, 27.5.71.
[52] Projet social: cf. intervention Ziegler (pss, GE) au CN (Bull. stén. CN, 1971, p. 343 s.). Options politiques: cf. Déclaration de Berne, selon JdG, 241, 16./17.10.71. Ce mouvement, qui compte 10 000 membres, s'est constitué en association.
[53] Motion: Bull. stén. CN, 1971, p. 972 ss. Loi: NZZ, 579, 12.12.71. Comité interdépartemental: NZZ, 257, 7.6.71.
[54] Mémorandum de la Suisse au CAD, octobre 1971, in Entwicklung — Développement, no 10, janv. 1972, p. 3 ss. Cf. aussi JdG, 281, 2.12.71.
[55] Message du CF concernant la continuation de la coopération technique: FF, 1971, II, p. 1657 ss. Cf. aussi NZ, 521, 11.11.71; 579, 12.12.71; TdG, 266, 15.11.71.
[56] Cf. infra, p. 81.
[57] Message du CF: FF, 1971, 1, p. 253 ss. CN: Bull. stén. CN, p. 325 ss.; 360 ss.; 963 ss. et 1117. CE: Bull. stén. CE, p. 451 ss. et 525.
[58] Blé: cf. infra, p. 82. ONUDI: NZZ, 145, 28.3.71. Accords de coopération: NZZ, 437, 20.9.71 (Bolivie); RO, 1971, 1651 ss. (Paraguay); NZZ, 268, 13.6.71 (Burundi et Sénégal); NZZ, 278, 18.6.71 (Inde); NZZ, 35, 22.1.71 (Indonésie). Volontaires: NZZ, 294, 28.6.70. Bâle-Ville: NZ, 76, 16.2.71. Zurich: cf. infra, p. 67.
[59] PDC, Programme d'action 71, thèse 153, p. 53 s.
[60] Motion: cf. APS, 1967, p. 35; 1970, p. 48. Rapport du CF: FF, 1971, II, p. 489 s. Commentaires: Bund, 186, 12.8.71; NZ, 365, 12.8.71; TdG, 186, 12.8.71; Vat., 185, 12.8.71. CN: Bull. stén. CN, 1971, p. 1467 ss., 1490 ; BN, 511, 3.12.71; JdG, 282, 3.12.71. La motion Ziegler (pss, GE) en faveur d'un état-major international pour l'aide en cas de catastrophe a été adoptée comme postulat: Bull. stén. CN, 1971, p. 301 ss.; cf. APS, 1970, p. 48.
[61] Motion: Délib. Ass. féd., 1971, I/II, p. 41. CN: Bull. stén. CN, 1971, p. 298 ss.; CE: Bull. stén. CE, 1971, p. 408 ss.
[62] Message du CF: FF, 1971, II, p. 957 ss. Commentaires: GdL, 231, 5.10.71; NZ, 456, 5.10.71; Tat, 233, 5.10.71; Vat., 231, 5.10.71.
[63] FF, 1971, II, p. 959.
[64] GdL, 80, 6.4.71. Cf. aussi JdG, 80, 6.4.71. Avant même sa démission, J. Freymond s'était publiquement opposé à l'utilisation du CICR comme « substitut de la politique étrangère nationale »: cf. entre autres TLM, 85, 26.3.71.
[65] GdL, 110, 13.5.71; 134, 12./13.6.71; NZZ, 237, 25.5.71; 269, 14.6.71.
[66] NZZ, 345, 28.7.71.
[67] Grève: GdL, 218-219, 18/19.-20.9.71; TdG, 218-220, 20-22.9.71; NZZ, 441, 22.9.71; 454, 30.9.71; NZ, 448, 30.9.71; TdG, 227, 30.9.71. Entre autres appels, cf. les petites questions Ziegler (pss, GE) et Schmitt (rad., GE) au CN: TdG, 220, 22.9.71; GdL, 225, 28.9.71; NZZ, 451, 28.9.71; Bund, 246, 21.10.71.
[68] Motions Franzoni (pdc, TI) au CN et Hofmann (pdc, SG) au CE: Délib. Ass. féd., 1971, V, p. 30 et 46; Bull. stén. CN, 1971, p. 1617 s.; Bull. stén. CE, 1971, p. 834 s.
[69] GdL, 251, 28.10.71; NZZ, 502, 28.10.71.
[70] Bilan (fév. 1972): NZ, 91, 25.2.72. Suggestions: NZZ, 334, 21.7.71; 413, 6.9.71. Objections: Lb, 204, 3.9.71; GdL, 205, 3.9.71.