Année politique Suisse 1972 : Eléments du système politique / Droits, ordre public et juridique
Ordre public
L'ordre public a paru moins menacé par les manifestations sur la voie publique que par les tentatives secrètes de subversion. Si, en 1971, la police de Genève avait découvert un dépôt d'armes rassemblées par des anarchistes, la police de Zurich arrêta en mai 1972 un noyau d'activistes qui s'étaient procuré des explosifs et des armes et qui projetaient toutes sortes d'actes de violence ; groupement qui avait encore entretenu des contacts avec la bande anarchiste Baader-Meinhof sévissant en République fédérale allemande. En août, le Conseil fédéral confia l'affaire aux autorités judiciaires zurichoises
[32]. Peu de temps auparavant, la Cour pénale fédérale avait prononcé des peines d'emprisonnement contre les propriétaires du dépôt d'armes de Genève : condamnation par contumace du principal responsable ; avec sursis seulement pour son complice
[33].
La découverte
d'activités terroristes secrètes et certains attentats politiques — en particulier de la part des extrémistes jurassiens — ainsi que le, protestations continuelles contre les conditions faites par l'armée, l'école et l'économie étaient à même de renforcer le sentiment d'insécurité et de menace qui pèse sur de larges couches de la population. Des défenseurs de l'ordre public soulignèrent le danger que représentaient les forces subversives ; mais il leur arriva souvent de ramener au même dénominateur toutes les tendances de la contestation
[34]. La campagne anti-subversive et plusieurs mesures prises par certains responsables trop zélés du maintien de l'ordre incitèrent par contrecoup les promoteurs de la plus large liberté d'expression à dénoncer le danger qui venait de l'autre bord
[35]. Ainsi, la détention à caractère préventif appliquée par la police zurichoise fut critiquée même par certains milieux bourgeois, et le Parti socialiste alla jusqu'à créer une commission dont le but était d'examiner sous l'angle juridique et politique l'activité du Ministère public de la Confédération
[36].
Les deux tendances se concrétisèrent sous la forme de nombreuses interventions parlementaires. Les unes aboutirent au développement des prescriptions dans le domaine de la protection de la Constitution ainsi qu'au renforcement du contrôle exercé sur les extrémistes étrangers ; les autres furent des protestations contre l'interdiction faite à des personnalités étrangères et à des réfugiés opposés au régime de leurs pays de s'exprimer en public. Dans ses réponses, le conseiller fédéral Furgler rejeta un renforcement des dispositions de droit pénal et déclara que l'on n'avait aucun intérêt à pousser les organisations d'étrangers dans la clandestinité. Il se fit l'avocat de la constitutionnalité de l'ordonnance de 1948 qui soumet à une autorisation préalable les discours politiques prononcés par des étrangers ne résidant pas en Suisse. Fort de l'avis des gouvernements cantonaux qu'il avait consultés, il déconseilla la suppression de cette ordonnance, mais en proposa la revision et rappela l'application plus libérale qu'on en avait faite depuis son entrée au gouvernement. Il n'annonça pas de nouvelles mesures, sinon pour combattre plus efficacement le terrorisme
[37]. Comme les réglementations cantonales et fédérale actuelles semblent insuffisantes, le DFJP prépare une loi générale sur les explosifs
[38]. La vente et la détention d'armes, qui ne tombent pas sous le coup des prescriptions fédérales, demeurent en revanche l'affaire des cantons; malgré le concordat signé en 1969, elles sont encore appliquées de manière très diverse
[39]. Au parlement cantonal de Zurich, on a proposé une réglementation fédérale : pour sa part, le Conseil de l'Europe s'est penché sur l'uniformisation internationale des prescriptions
[40].
Les grandes villes ont été à nouveau le théâtre de
nombreuses manifestations. Des heurts avec la police se produisirent, principalement à Genève, lors de la visite du schah d'Iran ; et à Berne, lors des manifestations du « Bélier », organisation de jeunesse jurassienne
[41]. Comme ce fut le cas au cours de l'année précédente, les manifestants se heurtèrent à des contre-manifestants : il en fut ainsi lors d'une proclamation qui eut lieu à Genève en faveur du régime sud-vietnamien, lors d'une marche sur Berne des Béliers, et au cours d'un défilé à Neuchâtel. La police se vit reprocher d'avoir favorisé à Genève et à Berne les contre-manifestants de droite
[42].
[32] NZZ, 238, 25.5.72 ; 255, 4.6.72 ; 327, 16.7.72 ; NZZ (ats), 367, 9.8.72. A. Chanson, qui s'était présenté comme candidat au conseil municipal zurichois, figurait au nombre des inculpés (cf. APS, 1970, p. 33, 193).
[33] TLM, 197, 15.7.72. Cf. APS, 1971, p. 17.
[34] Mises en garde : Conférence du CF Gnägi devant la section argovienne de la Société suisse des officiers, in Documenta, 1972, no 2, p. 6 ss. ; Bund, 84, 11.4.72 (causerie du procureur de la Confédération Walder à Berne) ; 159-161, 10-12.7.72 ; Ldb, 201, 31.8.72 (conférences du major E. Cincera) ; Bund, 207, 4.9.72 (conférence de P. Sager devant l'Union suisse de la presse technique et professionnelle) ; Vat., 261, 9.11.72 (conférence de R. Vögeli à Lucerne) ; NZZ, 527, 10.11.72 (assemblée de la Société de l'état fondé sur le droit). Cf. aussi infra, p. 27 s. (attentats du FLJ), 56 (troubles dans les écoles de recrues), 129 (occupations d'immeubles) et 131 (troubles dans un collège).
[35] Cf. Hans Tschäni, Die Diktatur des Patriotismus, Basel 1972 ; NZ, 122, 14.3.72 ; Tw, 167, 19:7.72 ; TA, 202, 31.8.72 ; VO (ats), 285, 7.12.72.
[36] Détention préventive : Ldb, 12, 15.1.72 ; NZZ, 28, 18.1.72. — Ministère public de la Confédération : Tw, 49, 28.2.72. Vers la fin de l'année, des bruits circulèrent sur la démission de M. Walder (Vat., 275, 27.11.72), survenue effectivement en février 1973 (GdL, 46, 24/25.2.73).
[37] Cf. interpellation Masoni (prd, TI) sur la protection de la Constitution, interpellation Hofer (udc, BE) sur les ramifications de partis politiques étrangers, interpellation Villard (ps, BE) et motion Ziegler (ps, GE) sur l'interdiction aux étrangers de s'exprimer publiquement (BO CN, 1972, p. 1717 ss.) ; la motion Ziegler fut rejetée par le CN (cf. APS, 1971, p. 57). Cf. aussi petites questions Hubacher (ps, BS) sur les activités politiques des étrangers (BO CN, 1972, p. 1860 s. et 1887) et petite question Chopard (ps, AG) sur l'activité du major Cincera au service du Schweiz. Aufklärungsdienst (BO CN, 1972, p. 1872 s.).
[38] Cf. réponse du CF Furgler à la motion Nauer (ps, ZH), adoptée comme postulat par le CN (BO CN, 1972, p. 1982 ss.).
[39] Cf. Tat, 149, 27.6.72. Concordat : RO, 1970, no 13, p. 448 ss. ; 1973, no 5, p. 202.
[40] Zurich : NZZ, 472, 10.10.72. Conseil de l'Europe : NZZ, 36, 22.1.72.
[41] Genève : cf. infra, p. 41. Berne : cf. infra, p. 27.
[42] Genève : VO, 121, 29.5.72 ; TG, 124, 30.5.72. Berne : cf. infra, p. 27, et petite question Villard (ps, BE) (BO CN, 1972, p. 2473 s.). Neuchâtel : TG, 3.11.72. Cf. APS, 1971, p. 17.
Copyright 2014 by Année politique suisse
Ce texte a été scanné à partir de la version papier et peut par conséquent contenir des erreurs.