Année politique Suisse 1972 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Aide au développement
L'aide au développement constitue le troisième secteur sur lequel notre exécutif a l'intention de porter ses efforts durant la législature en cours. Humainement intolérable, l'écart entre pays riches et pays pauvres, qui est énorme, représente en outre, déclare le Conseil fédéral, un danger économique et politique réel. Il est de l'intérêt des Etats industrialisés de remédier à cette situation précaire. La stratégie des Nations Unies pour la seconde décennie du développement (1971-1980) vise à accroître l'aide déjà consentie. La Suisse qui, dès 1970, a décidé de s'y associer, devrait parvenir, durant cette période, à porter le montant annuel de ses dons publics et privés à un pour cent du produit national brut (PNB). Il conviendrait aussi de favoriser une division plus judicieuse du travail entre pays nantis et nations défavorisées, d'encourager l'aide non liée et de mieux soutenir financièrement l'aide humanitaire
[40].
Ces objectifs, fixés dans les Grandes lignes de la politique gouvernementale, ont reçu en 1972 un début de réalisation. Au moyen de crédits budgétaires pluriannuels, dénommés crédits de programme, des prestations ont été fournies dans les quatre secteurs primordiaux de l'aide au développement, à savoir la coopération technique et la triple aide alimentaire, humanitaire et financière. Le projet relatif à la coopération technique, d'un montant de 275 millions de francs, a été présenté par le Conseil fédéral en 1971. Valable jusqu'en 1975, il a été voté sans difficultés par les Chambres. A cette occasion, le Conseil national a écarté un amendement Oehen (an, BE) visant à soutenir en priorité les pays poursuivant une politique de stabilisation démographique (contrôle des naissances), ainsi qu'une proposition Schwarzenbach (mna, ZH) consistant à soumettre ce crédit-cadre au verdict du peuple. Sur ce dernier point, le libéral Aubert (NE) a fait valoir que le référendum financier n'existait pas dans la Constitution fédérale
[41]. Dans les domaines alimentaire et humanitaire, une somme totale de 150 millions de francs a également été libérée par le gouvernement sur approbation du législatif
[42]. Quant au secteur financier au sens strict, auquel un montant total de 400 millions de francs a été affecté en 1971 pour une durée de trois ans, un premier train de mesures a été prévu : il est question, notamment, d'adhérer au Fonds africain de développement, d'augmenter le capital de la Banque asiatique de développement et de construire une école hôtelière au Kenya, pays en plein essor touristique
[43]. Ajoutons que le Conseil fédéral a fixé, pour 1974, à 21,8 millions de francs la contribution régulière de notre pays au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ; qu'il a signé, le 9 janvier 1973, l'accord international sur le cacao ; et que le régime des préférences douanières, adopté par les Chambres en 1971, est entré en vigueur le 1er mars 1972. Ces deux dernières mesures sont à mettre au compte de la promotion économique du tiers monde (division du travail). Couronnant le tout et destinée à l'asseoir sur une base juridique plus solide, une loi d'aide au développement a été soumise, sous forme d'avant-projet, à l'habituelle procédure de consultation. L'aide au développement subira ainsi le test du référendum facultatif
[44].
L'opinion publique, en effet, est partagée sur le problème de l'ampleur de l'aide à apporter au tiers monde : faut-il l'accroître, la stabiliser ou la supprimer ?
[45] Les Eglises, les oeuvres d'entraide et la jeunesse sont, dans l'ensemble, de l'avis des autorités fédérales qu'il est impérieux de l'augmenter. Mais de larges couches de la population, choquées par certains événements du tiers monde — troubles politiques, terrorisme, critiques à l'égard des pays donateurs dont la Suisse — ou conduites par un égoïsme plus ou moins conscient voire par de sordides mobiles matériels, comprennent souvent mal l'utilité de la politique actuellement suivie et jugent, en « cartiéristes » (du Français Raymond Cartier), que les dépenses effectuées tombent dans un tonneau des Danaïdes et que l'argent des contribuables devrait plutôt être employé à la mise en valeur de notre propre pays dont certaines régions, souligne-t-on, végètent dans un authentique sous-développement
[46]. La majorité des citoyens toutefois semble avoir adopté une position intermédiaire, comme les sondages d'opinion tendent à le montrer depuis quelque temps. A la question de savoir s'il fallait privilégier nos relations avec le tiers monde ou avec le Marché commun, 9 % des personnes interrogées en 1972 ont donné la priorité au tiers monde, 26 % à la CEE et 56 % à la poursuite conjointe de ces deux types de rapports
[47]. Il est possible d'interpréter ces chiffres comme l'expression de l'idée, fort répandue, selon laquelle l'aide aux pays en développement est conditionnée par la prospérité des nations industrialisées.
La diversité des opinions s'est reflétée dans certaines des décisions concrètes prises au niveau des cantons, des communes et des partis : l'aide au tiers monde y a été tantôt acceptée, tantôt refusée. L'assemblée communale d'Illnau-Effretikon (ZH) par exemple a fixé dans une « fourchette » — 30.000 francs au minimum, un pour cent du produit fiscal au maximum — le montant annuel à porter à ce nouveau poste de son budget. En ville de Zurich, les citoyens ont adopté de justesse un projet d'aide financière qui ira, par moitié, au tiers monde et à des régions défavorisées de Suisse
[48]. Une votation a également été prévue en ville de Berne sur l'inscription au compte des dépenses d'une somme annuelle, proportionnelle au budget, en faveur de l'étranger
[49]. Le législatif du canton d'Argovie a rejeté une motion en faveur d'une aide similaire, tandis qu'en pays neuchâtelois, où le Grand Conseil avait, lui, adopté un projet dont l'idée de base émanait du Parti socialiste, les électeurs ont repoussé, par 12.597 « non » contre 10.452 « oui », une aide annuelle de 50.000 francs au moins mais ne dépassant pas le 1,5 pour mille du produit des impôts directs
[50]. Quant aux formations politiques, signalons que les Jeunesses démochrétiennes de Suisse ont adopté un programme d'aide de portée générale
[51].
En conclusion de ces aperçus sur l'aide au tiers monde, donnons, comme de coutume, quelques chiffres. Ceux de 1972 n'étant pas encore disponibles, nous mentionnerons ceux de 1971, publiés par le DPF et le CAD (Comité d'Aide au développement, organe de l'OCDE). Les prestations totales (Confédération, cantons, communes, organismes privés) de la Suisse en faveur des pays en développement ont sensiblement augmenté par rapport à 1970, passant de 0,67 % à 1 % du produit national brut (PNB). Mais, dans ce volume, l'aide publique a accusé une nouvelle baisse, soit de 0,14 % en 1970 à 0,11 % en 1971, tandis qu'elle a augmenté, légèrement il est vrai, au sein du CAD, organisation dont notre pays fait partie aux côtés de quinze autres puissances industrielles occidentales. Bien que la Suisse figure parmi les membres dont les contributions ont le plus fortement augmenté en 1971, elle continue d'occuper, en ce qui concerne l'aide publique calculée en pourcentage du PNB (0,11 %), l'avant-dernier rang du classement
[52].
Par certains de ses aspects, l'aide au développement participe de cette pièce maîtresse de la politique étrangère helvétique qu'est la vocation humanitaire. Celle-ci est partie composante de ce que nous appelons les missions traditionnelles de la Suisse, qui comprennent encore hospitalité et oeuvre médiatrice et pacificatrice. Nous examinerons succinctement chacun des trois volets de ce tryptique.
[40] Cf. Grandes lignes, in FF, 1972, I, no 15, p. 1035 ss. Cf. aussi exposé du CF Graber (Documenta, 1972, no 4, p. 46 ss.) et déclaration de l'ambassadeur F. Rothenbühler (ibid., no 3, p. 6 ss.). Cf. aussi APS, 1970, p. 45 ; 1971, p. 51 s.
[41] CE : BO CE, 1972, p. 188 s. CN : BO CN, 1972, p. 1100 ss. Arrêté : FF, 1972, I, no 27, p. 1793 ss. Ordonnance : RO, 1972, no 42, p. 2480 ss. APS, 1971, p. 51 s.
[42] Message du CF : FF, 1972, p. 1677 ss. CN : BO CN, 1972, p. 1709 ss. CE : BO CE, 1972, p. 780 ss. Cf. infra, p. 45 s.
[43] Entwicklung — Développement, no 17, janv. 73, p. 5. Cf. APS, 1971, p. 52.
[44] PNUD : NZZ, 514, 3.11.72. Cacao : Entwicklung — Développement, no 16, déc. 72, p. 5 ; JdG, 7, 10.1.73. Préférences : NZZ, 44, 27.1.72 ; TG, 22, 27.1.72 ; APS, 1970, p. 45 ; APS, 1971, p. 52 et 81. Projet de loi : GdL, 127, 2.6.72 ; NZZ, 477, 12.10.72.
[45] Parmi les publications, cf. notamment Entwicklungshilfe als Gesellschaftskritik, in IPZ-Information, janv. 73 ; Suisse-Afrique du Sud, relations économiques et politiques, publ. par le Centre Europe-tiers monde, Genève 1972 ; Hans Vogel, Prinzipien der Verteilung schweizerischer Entwicklungshilfe 1962-1970, Zürich 1972 (Kleine Studien zur Politischen Wissenschaft, 4, multigr.) ; Die Schweizerische Entwicklungshilfe, ihre Organisation, Bern s.d. Cf. aussi une série d'articles in Civitas, 28/1972-73, p. 14 ss.
[46] Cartiérisme : GdL, 278, 27.11.72.
[47] Sondages 1972: L'attitude des Suisses..., tabl. 11. Pour 1971, cf. APS, 1971, p. 51, note 50.
[48] Illnau-Effretikon : NZZ, 301, 30.6.72. Zurich : NZZ, 111, 6.3.72 ; Ldb, 54, 6.3.72 ; Tw, 55, 6.3.72. Cf. aussi APS, 1971, p. 52 et 67.
[49] NBZ, 241, 14/15.10.72 ; Tw, 232, 3.10.72. Le projet a été rejeté le 4 mars 19'73 : Bund, 53, 5.3.73.
[50] AG : NZZ, 549, 23.11.72. NE : TG, 224, 25.9.72 ; Tat, 225, 26.9.72.
[51] Sechs Punkte schweizerischer Entwicklungspolitik, publ. par les Jeunesses démo-chrétiennes de Suisse (1972).
[52] Entwicklung — Développement, no 14, juillet 1972, p. 1 ; no 15, août 1972, p. 7 ; no 17, janv. 73, p. 1 ss. (contient mémorandum suisse et rapport du CAD).
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