Année politique Suisse 1972 : Chronique générale / Défense nationale
 
Organisation
Assuré dans le train, l'avenir du cheval ne l'est plus dans la cavalerie. Réduite à 30 escadrons en 1948, puis à 18 en 1961, elle est appelée à disparaître dans un très proche avenir. Ce qui a été considéré par de larges couches de la population comme une brutale mise à mort résulte des décisions prises par les instances fédérales en 1972. La vive résistance rencontrée explique les tergiversations qui en ont cependant jalonné le processus. En mars, le gouvernement préconisait la suppression de la troupe montée pour combler les effectifs des formations blindées, devenus insuffisants par l'introduction du char 68. Le choix des troupes de dragons était justifié par la faiblesse de leur puissance de feu et de combat ainsi que par leur coût, très élevé en regard de leur rendement tactique. Presque aussitôt, un mouvement se créa en faveur de leur maintien ; Romands et Bernois s'y montrèrent particulièrement actifs. Une pétition, lancée par la Fédération des sociétés suisses de cavalerie, récolta en peu de temps plus de 430.000 signatures, non contrôlées toutefois. Vraisemblablement impressionné par cette vague de fond, le Conseil national, dans sa session d'automne, décida par 120 voix contre 41 le maintien de douze escadrons, comme le proposait la majorité de sa commission. Cette demi-victoire des partisans de la cavalerie allait être cependant anéantie à la session d'hiver par la décision surprenante du Conseil des Etats qui, réputé pourtant plus traditionaliste que la Chambre du peuple, vota par 26 voix contre 15 la suppression totale des unités de dragons en faisant prévaloir des arguments d'ordre surtout financier, tandis que le National s'était montré sensible à des considérations moins matérielles, comme la discipline indéniable de cette troupe et l'attachement sentimental de la population à « la plus belle conquête de l'homme ». Quelques jours plus tard, par 91 voix contre 71, la Chambre basse revenait sur son premier vote pour se ranger au côté de la Chambre haute. Comme ce second débat le fit ressortir, les conseillers nationaux avaient constaté entretemps que l'option énergique et réaliste du Conseil des Etats avait rencontré, la surprise passée, une approbation non déguisée dans la partie de l'opinion qui soutenait sans fracas — majorité silencieuse ? — le projet du Conseil fédéral. Les tenants de la cavalerie ne l'entendirent pas de cette oreille. Un groupe d'entre eux annonça le lancement d'une initiative constitutionnelle sans clause de retrait en vue d'inscrire le maintien de la troupe montée dans la Constitution fédérale. Entreprise qui a été jugée cependant discutable sur le triple plan juridique, politique et militaire [6].
A en croire un sondage d'opinion, la moitié de la population jugerait exagérées les dépenses militaires du pays, alors que le gouvernement et les experts estiment, chiffres à l'appui, relativement bas le coût de la défense dans l'ensemble du budget national [7]. Cette vieille querelle a resurgi çà et là dans la presse, mais aussi au Conseil national lors des délibérations relatives au compte d'Etat, au programme d'armement 1972 et aux crédits de constructions militaires, notamment. Des députés libéraux, indépendants, socialistes et communistes ont stigmatisé soit des dépassements de crédit, soit le montant, selon eux excessif, des sommes demandées par le DMF. Ils ont cependant été désavoués par la grande majorité de la Chambre qui a repoussé les propositions de rejet et voté, à une large majorité, les objets contestés, adoptés également par le Conseil des Etats [8]. Par rapport à celle des Chambres, il convient toutefois de relever l'attitude beaucoup plus critique de maints cantons, régions et communes face aux essais d'implantation ou à l'implantation effective de l'armée sur leur territoire (places d'armes, d'exercice et de tir). Attitude qui a suscité des controverses parfois très vives et même donné naissance à des campagnes d'opposition à l'armée, du fait de l'emprise qu'elle serait, dit-on, en mesure d'exercer [9].
 
[6] Avant 1972: cf. APS, 1970, p. 58. Message et projet d'arrêté du CF : FF, 1972, I, no 14, p. 1005 ss. CN : BO CN, 1972, p. 1600 ss., 2051 ss. et 2353. CE : BO CE, 1972, p. 750 ss. et 927. Commission CN : Bund, 114, 17.5.72 ; TG, 114, 17.5.72 ; 210, 7/8.9.72 ; NZZ, 417, 4.9.72 ; 569, 5.12.72. Mouvement de soutien : création d'un comité national d'action, présidé par le CN Thévoz (lib., VD), in NZZ, 165, 10.4.72 ; Lib., 161, 11.4.72 ; Conseil d'Etat FR (Lib., 153, 30/31.3.72) ; assemblée à Guin (FR), in NZZ, 180, 18.4.72. Pétition : TG, 73, 27.3.72 ; TA, 74, 28.3.72 ; NZ, 211, 10.5.72 ; Bund, 110, 12.5.72 ; Lib., 187, 12.5.72. Initiative constitutionnelle : TG, 277, 9/10.12.72 ; 285, 15.12.72 ; TLM, 345, 10.12.72 ; NZZ, 585, 14.12.72 ; 604, 28.12.72 ; NZ, 464, 20.12.72 ; GdL, 300, 22.12.72.
[7] Cf. GdL, 21, 21.9.72, article de Hans Ulrich Ernst, du DFFD. Cf. aussi Paul Rickenmann, Untersuchungen über die Rüstungsaufwendungen der Schweiz 1950 bis 1970, Zürich 1972 (Kleine Studien zur Politischen Wissenschaft, 5).
[8] Compte d'Etat 1971 : BO CN, 1972, p. 687 ss. ; BO CE, 1972, p. 437. Programme d'armement : message et projet d'arrêté in FF, 1972, I, no 10, p. 736 ss. ; débats in BO CE, 1972, p. 481 s. ; BO CN, 1972, p. 1591 ss. Installations militaires : message et projet d'arrêté in FF, 1972, I, no 9, p. 630 ss. ; débats in BO CE, 1972, p. 477 ss. et 720 ; BO CN, 1972, p. 1580 ss.
[9] Parmi les cantons concernés, citons AG (Tat, 45, 22.2.72 ; NZZ, 90, 23.2.72 ; 117, 9.3.72 ; 170, 12.4.72), AI (NZZ, 61, 6.2.72 ; 313, 7.7.72 ; TA, 32, 8.3.72), FR (TLM, 243, 30.8.72), GE (JdG, 143, 21.6.72 ; 144, 22.6.72), SO (NZZ, 439, 20.9.72) et ZH (TA, 72, 25.3.72 ; 102, 3.5.72 ; 120, 26.5.72 ; Ldb, 78, 5.4.72 ; 119, 26.5.72 ; NZZ, 90, 23.2.72 ; 117, 9.3.72).