Année politique Suisse 1972 : Chronique générale / Défense nationale / Armement
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Nouvel avion de combat
Au nombre des modernisations dont le besoin se fait sentir dans la défense militaire, celle de l'aviation, qui préoccupe nos autorités depuis de longues années, n'a été marquée en 1972 par aucun progrès décisif, malgré les espoirs que suscitait la perspective de l'achat d'un nouvel avion de combat. Au printemps, en réponse à trois interpellations, le Conseil fédéral s'est prononcé, pour des raisons de temps et des motifs financiers et techniques, contre la prise en considération de l'appareil anglais Harrier. Une pétition, déposée en été et favorable à ce même type d'avion, est restée aussi sans effet. A la même époque, le gouvernement fut saisi d'une proposition formelle du DMF pour l'achat de soixante exemplaires de l'appareil américain Corsair au prix de 1,3 milliard de francs [10]. Une interview du constructeur français Dassault et un mémorandum gouvernemental de Paris protestèrent contre la procédure d'évaluation qui avait abouti à une telle solution. Cette double démarche fut très mal reçue dans l'opinion suisse qui l'estima tendancieuse, intempestive, déplacée voire grotesque. Elle fut également dénoncée, mais avec trop peu d'énergie selon une partie de la presse, par le Conseil fédéral qui remit à la France, par voie diplomatique, un aide-mémoire justifiant la décision du DMF. Une délégation d'outre-Jura fut en outre accueillie à Berne où elle reçut des explications complémentaires. Le chef du DPF, le conseiller fédéral Graber, ayant été pris à parti pour avoir, prétendit-on, organisé cette entrevue de sa propre autorité, un démenti officiel fut publié à ce sujet [11]. La démission du chef de l'armement, Heiner P. Schulthess, survenue à ce moment, ajouta à la confusion. Approuvé par plusieurs journaux, l'acte de ce fervent partisan du Corsair provoqua de nouvelles et parfois acerbes critiques contre l'exécutif, tandis que certains observateurs relevaient les (trop) bonnes relations du démissionnaire avec l'aéronautique américaine, dont il avait été jadis ingénieur [12]. Dans cette atmosphère estivale de passion, le choix de l'un ou l'autre appareil n'eût guère apaisé les esprits, que ce fût en Suisse ou à l'étranger. Le 9 septembre, le Conseil fédéral décida ainsi de n'acquérir ni Corsair ni Milan.
Saluée, par la gauche notamment, comme un jugement de Salomon, la décision était toutefois motivée publiquement par des arguments dits « d'ordre militaire et de politique générale », financiers surtout, qui ne convainquirent pas l'ensemble de l'opinion. De nombreux milieux, politiques et militaires, firent part de leur vive inquiétude face à une situation qui, selon eux, faisait le jeu des ennemis de la défense nationale. En réaction à ce qui fut appelé un « nouveau Marignan », une pétition « pour une armée forte » fut lancée par les sociétés militaires [13]. A la session d'automne des Chambres, onze interventions parmi lesquelles deux motions du National — Baumann (udc, AG) et Chevallaz (prd, VD) — témoignèrent de la volonté des partis du centre et de la droite d'obtenir des éclaircissements et des assurances de la part du gouvernement. Bien qu'elles aient confirmé le maintien des principes de la conception de défense militaire de 1966, très chère aux porte-parole de l'armée, les réponses données par la voix de MM. Celio et Gnägi laissèrent insatisfaits la plupart des interpellateurs. Furent adoptées les deux motions ci-dessus en faveur de la présentation urgente d'un rapport et d'un programme relatifs au renouvellement de notre flotte aérienne [14]. L'exécutif déclara en novembre qu'il envisageait, comme solution transitoire, l'achat en Angleterre de trente Hunter d'occasion. A la même époque, le chef des troupes d'aviation et de DCA, le commandant de corps Eugène Studer, démissionna à son tour, se refusant à devenir, dit-il, le gardien d'un musée d'antiquités. On parla aussi du départ possible du chef du DMF, M. Gnägi, le grand perdant de la décision collégiale du 9 septembre [15].
 
[10] Interpellations : Hubacher (ps, BS) in BO CN, 1972, p. 896 ss. (avec réponse du CF) ; Keller (prd, TG) et Renschler (ps, ZH) in BO CN, 1972, p. 654 ss. (avec réponse du CF). Pétition : NZZ, 189, 16.8.72 ; TA, 378, 15.8.72. Proposition du DMF : JdG, 193, 18.8.72 ; TA, 191, 18.8.72. Cf. aussi APS, 1970, p. 56 ss. ; 1971, p. 61 s.
[11] Dassault : GdL, 194, 19/20.8.72 ; TLM, 233, 20.8.72 ; AT, 195, 21.8.72. Memorandum : NZZ, 387, 21.8.72. Réponse du CF : TA, 193, 21.8.72 ; 195, 23.8.72 ; TG, 133, 21.8.72 ; NZZ, 393, 24.8.72. Opinion publique : Bund, 195, 21.8.72 ; VO, 196, 24.8.72 ; JdG, 196, 22.8.72. Délégation française : NZZ, 410, 3.9.72 ; TG, 206, 3.9.72. CF Graber : GdL, 206, 2/3.9.72 ; JdG, 206, 2/3.9.72. Démenti : NZZ, 410, 3.9.72 ; Tat, 207, 4.9.72.
[12] Démission Schulthess : ensemble de la presse du 1.9.72. Critiques au CF : cf. notamment Ldb, 202, 1.9.72. Après avoir assuré l'interim, Ch. Grossenbacher, directeur de la Division technique au Groupement de l'armement, a succcédé à H. Schulthess en février 1973. Jugement sur Schulthess : Lib., 280, 1.9.72 ; TA, 203, 1.9.72 ; TG, 205, 1.9.72. Des rumeurs ont fait état d'une démission d'Ed. Amstutz, président de la commission extra-parlementaire pour l'acquisition d'avions : Lib., 280, 1.9.72.
[13] Décision du CF et réactions dans le pays : cf. ensemble de la presse à partir du 12.9.72. Pétition : Der Fourier, 46/1973, p. 50. « Marignan » : TG, 234, 6.10.72. Cf. aussi supra, p. 48 s.
[14] Démarches au CN : outre les deux motions (adoption par CE : cf. BO CE, 1972, p. 767), cf. les interpellations Allgöwer (ind., BS), Etter (udc, BE), Schürch (prd, BE), Schwarz (prd, AG) et Wyer (pdc, VS) et la petite question urgente Oehler (pdc, SG), in BO CN, 1972, p. 1743 ss. Démarches au CE : cf. les interpellations Grosjean (prd, NE), Heimann (ind., ZH) et Honegger (prd, ZH), in BO CE, 1972, p. 700 ss. Réponse des CF : ibid. et notamment p. 1757. Sur la conception de 1966, cf. Alfred Ernst, Die Konzeption der schweizerischen Landesverteidigung 1815 bis 1966, Frauenfeld 1971.
[15] Hunter : TLM, 328, 23.11.72 ; NZZ, 552, 25.11.72. Studer : Lib., 39, 16.11.72 ; TA, 268, 16.11.72 ; TG, 213, 12.9.72. CF Gnägi : VO, 211, 12.9.72. Pour une analyse plus étendue des problèmes de l'aviation militaire suisse, cf. notamment Domaine public, 183, 15.6.72 et surtout Paolo Urio, L'affaire des Mirages, Décision administrative et contrôle parlementaire, Genève 1972.