Année politique Suisse 1972 : Chronique générale / Défense nationale
 
Service civil
L'idéalisme et le pacifisme, politiques ou religieux, qui ont largement inspiré, à travers la jeunesse en particulier, l'action menée dans l'initiative contre l'exportation d'armes se retrouvent dans l'initiative de Münchenstein en faveur de l'institution d'un service civil, de même que dans le mouvement plus général de l'objection de conscience. Ce dernier n'a cessé de s'amplifier ces dernières années : par rapport à 1971, le nombre des condamnations d'objecteurs s'est accru de plus de 50 %, passant de 227 à 352. Ces chiffres, quoique faibles, sont l'expression d'une crise dont les autorités ne méconnaissent ni la gravité ni le danger. Fait très rare pour une initiative, le Conseil fédéral a décidé d'accepter — non sans s'attirer d'ailleurs les critiques des adversaires d'un service civil — celle déposée en janvier, revêtue de 62.343 signatures valables. Ce faisant, il a tenu compte de l'évolution des moeurs et revu sa position négative de 1924. Quant au rapport de Forum Helveticum demandé en 1971, il a été présenté en juin. Il préconise aussi la création d'un service civil, mais en le limitant aux cas de grave conflit de conscience. Cette conception restrictive est rejetée par divers milieux ecclésiastiques et politiques et surtout par les groupements pacifistes. Certains de ces derniers, tel le Rassemblement des objecteurs de conscience (ROC), attaquent également l'initiative, à leur avis trop complaisante envers le système actuel (primat de l'armée dans la défense nationale). Particularité à signaler car peu courante, celle-ci est conçue en termes généraux, ce qui permet aux instances qui en sont saisies d'en déterminer elles-mêmes les modalités légales [22].
Parmi les multiples manifestations d'objection de conscience dont 1972 a été le spectacle, la « lettre des 32 » compte sans conteste parmi celles qui ont suscité le plus d'émoi et de réactions. En février, trente-deux ecclésiastiques catholiques et protestants de Suisse romande, appuyés par quarante-trois autres confrères, annoncèrent au chef du DMF leur « refus à l'armée » (cours de répétition, tirs obligatoires, taxe militaire, etc.), institution devenue selon eux la dévoreuse insatiable des fonds publics, cela au détriment de l'aide au tiers monde, et surtout un instrument de répression au service du capitalisme. A ce refus, M. Gnägi opposa aussitôt le sien de façon catégorique : il menaça les signataires de la lettre de poursuites judiciaires et condamna avec sévérité, en invoquant l'existence de l'initiative de Münchenstein, le caractère antidémocratique de leur procédé [23]. Cette prise de position, égale en netteté à celle des « 32 », en suscita à son tour de très nombreuses. Favorables ou défavorables aux hardis ecclésiastiques, elles émanèrent de milieux fort différents religieux, politiques, militaires, culturels, etc. [24]. Des pétitions de solidarité ou de désapprobation furent lancées qui contribuèrent à accentuer le clivage entre partisans et adversaires d'une réforme en profondeur de la défense nationale [25].
 
[22] Objecteurs condamnés : Rapp. gest., 1972, p. 173 ; APS, 1971, p. 62. Initiative : Rapp. gest., 1972, p. 151 ; NZZ, 512, 2.11.72 ; APS, 1971, p. 63. Critiques au CF : GdL, 68, 22.3.73. Forum Helveticum : Rapp. gest., 1972, p. 151 ; JdG, 162, 13.7.72 ; TA, 161, 13.7.72 ; APS, 1971, p. 63. Eglises : cf. L'objection de conscience, Rapport de la Commission théologique de la Fédération des Eglises protestantes de la Suisse, Berne 1972 (Etudes et rapports de l'Institut d'éthique sociale de la FEPS, 4). Milieux politiques (gauche) : Domaine public, 202, 9.11.72. ROC : VO, 260, 1.12.72.
[23] Lettre : cf. l'ensemble de la presse depuis le 12.2.72, notamment Bund, 58, 9.3.72 (version allemande du texte) et Lib., 113, 12/13.2.72 (version française). CF Gnägi : TLM, 47, 16.2.72 NZZ, 78, 16.2.72.
[24] Soutien aux a 32 x : cf. entre autres 26 pasteurs zurichois (NZZ, 117, 9.3.72) ; PS jurassien (TG, 43, 21.2.72) et valaisan (TLM, 79, 19.3.72) ; Conseil suisse de la paix (NZZ, 91, 23.2.72 TG, 45, 23.2.72) ; Ecrivains du Groupe d'Olten (GdL, 84, 11.4.72 ; NZZ, 167, 11.4.72). Hostilité ou critique aux « 32 » : cf. notamment Conférence des évêques suisses (Lib., 141, 16.3.72 ; Vat., 64, 16.3.72) ; Fédération des Eglises protestantes (GdL, 55, 6.3.72 ; NZZ, 110, 6.3.72) ; Directions militaires de Romandie (GdL, 44, 22.2.72) ; Conseil d'Etat du VS (TLM, 75, 15.3.72) ; Conseil communal de Sierre, contre un prêtre sierrois signataire de la lettre (GdL, 57, 8.3.72) ; Bourgeoisie de Romont, contre deux capucins signataires (Lib., 233, 7.7.72 ; TG, 153, 3.7.72 ; TLM, 205, 23.7.72).
[25] Pétitions en faveur des « 32 » : Comité de soutien (Lib., 131, 4/5.3.72) ; Comité d'action (GdL, 82, 8/9.4.72 ; TLM, 99, 8.4.72 ; 185, 3.7.72 ; VO, 27, 8.7.72). Pétitions contre les « 32 » : clergé zurichois (GdL, 82, 8/9.4.72) ; Ligue des citoyens genevois (GdL, 106, 6/7.5.72).