Année politique Suisse 1973 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Aide au développement
Solidarité ou rentabilité ? Simplifiés, c'est en ces termes, parmi d'autres, que s'est déroulée en 1973 la controverse sur l'aide au développement, opposant d'un côté les tenants d'une conception hautement désintéressée de notre coopération avec le tiers monde, de l'autre les partisans d'un réalisme plus immédiat, centré sur des considérations d'ordre surtout économique où priment tantôt la nécessaire promotion du pays bénéficiaire (comme futur partenaire commercial mieux doté et donc meilleur client potentiel), tantôt celle du pays donateur (encore aux prises avec ses propres régions sous-développées)
[37].
Il est intéressant d'observer dans quelle mesure ces diverses options sont assumées au niveau de la politique fédérale. Expression de la démocratie consensuelle, la loi sur la coopération au développement et l'aide humanitaire internationales constitue un exemple assez typique de ces compromis ou essais de compromis chers aux moeurs politiques suisses. Sans prévoir un accroissement des prestations en faveur du tiers monde — concession à une opinion publique en partie hostile — le texte lie étroitement leurs diverses modalités actuelles : coopération technique et triple aide financière, alimentaire et humanitaire. Justification en est fournie par le gouvernement qui, dans son message aux Chambres, fait de la coopération au développement à la fois un volet de sa politique de coopération européenne et universelle s, une matérialisation du principe fondamental de solidarité, mais aussi une expression plus générale de la politique étrangère helvétique dont le but principal, souligne-t-il, est d'assurer le bien-être de la population de notre pays. Sur un plan moins abstrait, on relèvera le principal mérite de la loi,qui est d'asseoir la coopération au développement sur une base légale expresse, inexistante jusque-là. Quant aux nouveautés qu'elle introduit, elles consistent essentiellement dans le mandat confié au DPF d'élaborer, de concert avec le DFEP et le DFFD, une politique globale de l'aide au tiers monde, ainsi que dans la création d'une Commission consultative destinée à prendre la relève de la Commission de coopération technique
[38].
Présenté au printemps, le document a été adopté l'année même par le parlement qui n'y a apporté aucune modification d'importance. Le Conseil national, qui l'a voté par 123 voix contre 11, a cependant vu se lever certaines oppositions. Après avoir refusé l'entrée en matière, J. Schwarzenbach (mna, ZH) est revenu à la charge en demandant de soumettre la loi au référendum obligatoire. Sa proposition a été repoussée par 117 voix contre 15. Par la suite, le Conseil des Etats ayant entériné la décision du National par 28 voix sans opposition, le parti de J. Schwarzenbach, réuni en congrès extraordinaire, a décidé le lancement de la procédure référendaire. L'Action nationale a prévu son soutien au Mouvement
[39].
En l'absence de chiffres pour 1973, ceux de 1972 serviront à illustrer l'ampleur de l'aide suisse au tiers monde. Par rapport à 1971, les prestations totales de notre pays ont sensiblement baissé. Après avoir atteint 1 % du produit national brut (PNB) l'année précédente, ce taux est tombé à 0,58 % en 1972. Fléchissement imputable au secteur de l'économie privée dont les performances se sont révélées nettement inférieures (0,83 % du PNB en 1971 ; 0,30 % en 1972). En revanche, l'aide publique (à des conditions de faveur) a doublé d'une année à l'autre, passant de 0,11 % du PNB en 1971 à 0,22 % en 1972. Les fluctuations monétaires rendent difficiles la comparaison de ces données avec celles des autres Etats membres du Comité d'aide aù développement, mais les chiffres publiés placent toujours la Suisse dans la partie inférieure du classement
[40].
Dans l'aide publique au développement, il est réjouissant de constater, à côté de la Confédération, la part sans cesse croissante, bien que modeste, 'des autres collectivités publiques. Si la loi fédérale adoptée en 1973 ne fait qu'envisager la possibilité d'une collaboration des cantons et communes, il reste évident que celle-ci est grandement souhaitée par Berne, d'autant plus que le volume et la diversité de l'aide ne cessent d'augmenter — en dépit de l'hostilité mentionnée plus haut — et qu'en conséquence une coordination de plus en plus étroite va se faire sentir, par mesure d'efficacité. Un champ d'action nouveau s'ouvre donc au fédéralisme, appelé à participer davantage désormais à la conduite de la politique étrangère suisse
[41].
[37] Cf. notamment R. Buchi, K. Matter (éd.), Schweiz-Dritte Welt, Solidarität oder Rentabilität, Zürich 1973 ; Suisse-Portugal. De l'Europe d l'Afrique, publ. par le Centre Europe-tiers monde, Grand-Saconnex ; Civitas, 28/1972-73, p. 545 as. ; 29/1973-74, p. 51 ss. et 172 ss. ; « Entwicklungshilfe als Gesellschaftskritik », in IPZ-Information, janv. 73 ; Schweizer Monatshefte, 53/1973-74, p. 599 ss. ; Schweizer Rundschau, 72/1973, p. 187 ss. ; Domaine public, 228, 24.5.73 ; 246, 25.10.73 ; 247, 1.11.73 ; 252, 6.12.73. Cf. aussi APS, 1972, p. 43 s. ; Sigismond Marcuard, « Die Schweiz und die Entwicklungszusammenarbeit », in Orientierungen der Schweizerischen Volksbank, 58, oct. 1973 ; Pierre Luisoni, Les jeunes Suisses romands de vingt ans face au Tiers Monde, Fribourg 1973 (multigr.).
[38] Message du CF : FF, 1973, I, no 14, p. 835 ss. et notamment p. 856 s., 874 ss., 887 ss. et 895. Commentaires : ensemble de la presse du 4.4.73.
[39] CN : BO CN, 1973, p. 648 ss. et 668 ss. CE : BO CE, 1973, p. 557 ss. MNA : GdL, 228, 1.10.73 ; NZZ, 453, 1.10.73. Commentaires : ensemble de la presse des 16 et 19.6.73 et du 27.9.73. Des divergences de forme ont renvoyé la loi au CN, mais celui-ci n'en a pas traité à la session d'hiver. La crise de l'énergie est peut-être à l'origine de cette anomalie.
[40] Entwicklung — Développement, no 20, juil. 1973, p. 1. Cf. APS, 1972, p. 44 s. Parmi les prestations fournies en 1973 signalons, au titre de l'aide financière, 4 accords passés avec l'Inde (2), l'Indonésie (1) et la Banque interaméricaine de développement (1) : FF, 1973, II, no 42, p. 607 ss. (message du CF) et 1323 s. (arrêté) ; BO CE, 1973, p. 630 ss. et 810 ; BO CN, 1973, p. 1639 ss. et 1837 s.
[41] Chiffres : Entwicklung — Développement, op. cit., p. 3. Loi : FF, 1973, I, no 14, p. 886 s. et 901. Fédéralisme : cf. Le fédéralisme réexaminé, op. cit., t. 3, p. 944 ss.
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