Année politique Suisse 1973 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Missions traditionnelles
Comme chaque année
[42], les missions traditionnelles de la Suisse (
paix, action humanitaire, hospitalité) ont amené leur long cortège d'événements et de réalisations. Nous ferons ici état des faits les plus marquants ou les plus significatifs.
Au titre de l'oeuvre de paix, de médiation et de bons offices, l'actualité a surtout retenu certaines incidences liées au conflit du Proche-Orient. Les voyages de M. Graber dans cette région du monde ont déjà été évoqués. Le chef du DPF a souligné à cette occasion, et à plusieurs reprises, que la Suisse n'entendait pas y jouer les médiateurs, un tel rôle étant de préférence réservé aux grandes puissances. Il a en revanche laissé clairement entendre que la pratique des bons offices, qui se situe à un niveau beaucoup plus modeste, correspondait parfaitement aux possibilités de notre diplomatie
[43]. Nous l'avons dit, l'ouverture sur sol suisse de négociations de paix entre des belligérants qui, depuis vingt-cinq ans, n'y parvenaient pas, constitue un succès auquel notre pays n'est probablement pas étranger. Mais, comme l'a montré l'affaire des pilotes libyens — un contrat avait été signé avec la société aéronautique Heliswiss en vue de leur formation — Berne a dû faire acte d'autorité (suspension de l'activité en cause) pour prévenir tout danger, même indirect, d'ingérence et de parti pris dans ce même conflit israélo-arabe
[44]. Pour revenir aux bons offices, notre pays, très sollicité en ce domaine, a accepté sept nouveaux mandats de puissance protectrice d'intérêts étrangers : pour le compte d'Israël (3), du Chili (2), de la Côte-d'Ivoire (1) et de la Pologne (1), ce qui porte actuellement leur nombre à vingt-sept
[45]. A la demande de l'Inde, du Pakistan et du Bangla-Desh, signataires d'un accord en date du 28 août 1973, la Suisse a accepté une mission de rapatriement dans le sous-continent indien
[46]. En ce qui concerne la politique de paix proprement dite, deux accords de désarmement ont été ratifiés par les autorités fédérales
[47]. En revanche, la ratification du traité de non-prolifération des armes nucléaires est restée pendante. Quant à l'Institut suisse pour l'étude des conflits, il en est question ailleurs
[48],
L'année 1973 a largement contribué à l'affirmation sinon au renforcement de la tradition humanitaire de la Suisse. La multiplication et la complexité croissantes des tâches dévolues au
Comité international de la Croix-Rouge (CICR), loin de constituer des obstacles insurmontables, ont été l'occasion pour lui de repenser ses moyens d'action et de réformer son organisation. Le processus, engagé en 1972 par un mandat confié au professeur R. Probst, a débouché sur l'inauguration, le 1er juillet 1973, de nouvelles structures, calquées sur le modèle d'entreprises modernes (« management »), mais aussi sur celui, éprouvé, des institutions politiques fédérales (séparation des pouvoirs, collégialité de l'exécutif). Les tâches de l'institution sont désormais réparties entre deux organes distincts : l'Assemblée, législatif souverain, composée de quinze à vingt-cinq membres, qui fixe la doctrine et la politique générale de l'institution et exerce la haute surveillance sur l'ensemble de ses activités ; le Conseil exécutif, comprenant sept membres au plus à choisir au sein ou en dehors du CICR, qui est chargé de la conduite générale des affaires et de la surveillance directe de l'administration. Comme précédemment, les membres du Comité sont tous de nationalité suisse — une internationalisation n'offrirait pas les mêmes garanties de neutralité — mais, élément nouveau de grande portée, ne sont plus indéfiniment rééligibles, la durée des mandats étant désormais limitée à douze ans (au maximum trois périodes de quatre ans). Cette dernière mesure est destinée à favoriser un rajeunissement permanent et une dynamisation constante de l'organisme. Ces innovations ont été accompagnées de l'élection d'un nouveau président en la personne d'E. Martin, dirigeant de la Croix-Rouge suisse pendant de longues années. Quant à la présidence du Conseil exécutif, elle est assurée par R. Gallopin, ancien directeur général de l'organisation
[49].
Au plan des actions sur le terrain, il convient de signaler les missions particulièrement importantes de rapatriement accomplies par le CICR au Proche-Orient et dans le sous-continent indien. L'oeuvre caritative suisse a été également appréciée au Vietnam, très touché par la guerre. Les principales oeuvres d'entraide de notre pays y ont déployé conjointement leurs efforts au sein d'une Aide suisse au Vietnam. De son côté, le Conseil fédéral a affirmé son intention de participer à la reconstruction des régions dévastées et de planifier sa politique d'aide à l'Indochine en général. Notre exécutif a dfl toutefois expliquer, face à certaines critiques, la lenteur de l'engagement des opérations prévues
[50]. Parmi les principaux autres points géographiques d'intervention humanitaire, citons l'Islande (éruption volcanique), le Nicaragua (tremblement de terre et raz de marée) et l'Afrique (sécheresse et famine en Ethiopie et dans les pays du Sahel)
[51]. L'ampleur des besoins a été l'occasion pour le Conseil national d'adopter un postulat Rüttimann (pdc, AG) visant à augmenter le crédit de programme, actuellement de 50 millions de francs, en faveur de livraisons de produits laitiers aux pays déshérités. Enfin, en ce qui concerne le corps suisse d'intervention en cas de catastrophe, signalons le beau succès remporté par la campagne de recrutement de volontaires. Sur les 2700 personnes intéressées, 1500 ont été retenues, dont un premier groupe sera probablement opérationnel en 1974
[52].
Les tendances positives et négatives qui s'opposent, en Suisse comme ailleurs, en matière d'accueil et d'hospitalité se sont notamment manifestées en 1973 à propos de l'attitude à observer envers les réfugiés politiques chiliens, victimes du coup d'Etat militaire contre le régime socialiste Allende. Aux tenants de la gauche, favorables à un large accueil se sont opposés ceux de la droite, très réservés voire franchement hostiles
[53]. Critiqué de part et d'autre, le Conseil fédéral s'est appliqué à demeurer dans la ligne de sa politique de neutralité et d'humanité. S'il a rappelé que la Suisse ne reconnaissait que les Etats et non les gouvernements, et qu'il n'avait donc pas à se prononcer sur le nouveau régime de Santiago, il a aussi accordé l'asile à plus de deux cents réfugiés, plaçant ainsi notre pays parmi ceux qui en ont accueilli les plus forts contingents
[54]. Ajoutons que sur 1043 demandes d'asile présentées en 1973 par des ressortissants de toute nationalité, la plupart ont été acceptées. Mentionnons enfin l'adoption par les Chambres d'une motion Hofer (udc, BE) relative à la création, au profit du droit d'asile, de bases juridiques plus solides, ainsi que le dépôt par le conseiller national Ziegler (ps, GE) d'une motion également, celle-ci en faveur d'une redéfinition de notre politique d'asile et d'une adhésion à la Convention de Montevideo sur l'asile diplomatique
[55].
[42] Cf. APS, 1970, p. 46 ss. ; 1971, p. 52 ss. ; 1972, p. 45 s.
[43] BO CN, 1973, p. 879. Cf. supra, p. 37.
[44] Cf. l'ensemble de la presse à partir du 25.10.73. Le Conseil fédéral a motivé sa décision sur la base de l'art. 102, chiffre 9 de la Constitution (maintien de la neutralité notamment). Cf. aussi petite question urgente Generali (prd, TI) et réponse du CF : BO CN, 1973, p. 1844 ss. Signalons que la Confédération possède des parts dans la société en question.
[45] Israël : GdL, 256, 2.11.73 ; 280, 30.11.73 ; NZZ, 525, 12.11.73 ; 557, 30.11.73. Chili : GdL, 238, 12.10.73. Côte-d'Ivoire : NZZ, 557, 30.11.73. Pologne : NZZ, 474, 12.10.73.
[46] NZZ, 402, 31.8.73 ; 421, 11.9.73 ; 455, 2.10.73.
[47] Il s'agit d'une part du traité interdisant de placer des armes de destruction massive sur le fond des mers et dans leur sous-sol, du 11.2.71, d'autre part de la convention sur l'interdiction des armes biologiques ou à toxines, du 10.4.72: cf. message du CF et textes officiels in FF, 1973, I, no 7, p. 290 ss. CN : BO CN, 1973, p. 633 as. CE : BO CE, 1973, p. 434 s.
[48] Cf. infra, p. 44 et 136.
[49] Cf. ensemble de la presse à partir du 7.7.73 et du 12.9.73. Cf. aussi interpellation Chevallaz (prd, VD) : BO CN, 1973, p. 1064 s., ainsi que les petites questions Grosjean (prd, NE) et Hofer (udc, BE) : BO CN, 1973, p. 999: BO CE, 1973, p. 453. Cf. en outre Domaine public, 221, 29.3.73. Parmi les publications, cf. notamment Jacques Freymond et Thierry Hentsch, Limites a la violence. Mouvements politiques armés et principes humanitaires, Genève 1973 ; Monika Weber, Die Unterstützung des Roten Kreuzes durch die Schweizer Bevölkerung (1952-1971), Zürich 1973 (Kleine Studien zur Politischen Wissenschaft, 9, multigr.).
[50] CICR : NZZ, 532, 15.11.73 ; TG, 261, 8.11.73 ; GdL, 275, 24/25.11.73 (Proche-Orient) ; petite question Aider (ind., BL) : BO CN, 1973, p. 416 s. ; TLM, 254, 12.9.73 (sous-continent indien). Vietnam : NZZ, 42, 26.1.73 ; GdL, 27, 2.2.73. Cf. aussi interpellation Oehler (pdc, SG) et réponse du CF : BO CN, 1973, p. 645 ss., ainsi que petite question Ziegler (ps, GE) et réponse du CF : BO CN, 1973, p. 415.
[51] Islande : JdG, 300, 24/26.12.73. Nicaragua : GdL, 12, 16.1.73 ; NZZ, 25, 17.1.73 ; 36, 23.1.73 ; petite question Thévoz (lib., VD) et réponse du CF : BO CN, 1973, p. 415 s. Afrique : petites questions Butty (pdc, FR), Cantieni (pdc, GR) et Rüttimann (pdc, AG) avec réponses du CF : BO CN, 1973, p. 1006 s., 1860 s. et 1871 s.
[52] Postulat Rüttimann : BO CN, 1973, p. 1069 s. Cf. aussi intervention Ziegler au CN et réponse du CF Celio : BO CN, 1973, p. 978 s. Catastrophe : cf. ensemble de la presse à partir du 15.5.73, ainsi que TG, 214, 14.9.73.
[53] Le courant favorable s'est exprimé en particulier par des manifestations de rue, pétitions, collectes et mise sur pied d'organisations de secours : cf. supra, p. 33 et note 6. Comme expression du courant hostile, cf. entre autres l'interpellation Breny (an, VD) du 12.12.73: Délib. Ass. féd., 1973, IV, p. 43.
[54] Cf. entre autres réponse du CF à 4 petites questions Dafflon (pdt, GE), Müller (pdc, LU), Renschler (ps, ZH) et Ziegler (ps, GE) : BO CN, 1973, p. 1415 s. Cf. aussi interpellation Sahlfeld (ps, SG) : Délib. Ass. féd., 1973, IV, p. 50. Accueil de 200 réfugiés : GdL, 243, 18.10.73 ; NZZ, 484, 18.10.73 ; TG, 243, 18.10.73 ; VO, 242, 19.10.73.
[55] 1043 demandes : GdL (ats), 41, 19.2.73. Motion Hofer : BO CN, 1973, p. 1073 ss. ; BO CE, 1973, p. 757 s. Motion Ziegler : Délib. Ass. féd. 1973, p. 42. Parmi les publications, citons Viktor Lieber, Die neuere Entwicklung des Asylrechts im Völkerrecht und Staatsrecht unter besonderer Berücksichtigung der schweizerischen Asylpraxis, Zürich 1973.
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