Année politique Suisse 1973 : Economie / Agriculture
 
Revenu
Zurichois ou non, les paysans de montagne souffrent surtout de la dégradation de leur revenu, évolution qui affecte aussi l'ensemble de l'agriculture suisse. L'uniformité des prix des principaux produits agricoles d'une part, la disparité des conditions d'exploitation entre le plateau et la montagne d'autre part, créent une différenciation de revenu dont pâtissent évidemment les agriculteurs et éleveurs moins bien servis du point de vue de la topographie et de la richesse des sols. En outre, la représentativité des grandes associations paysannes prête à discussion : reproche leur est fait de mal défendre les intérêts des couches modestes de la paysannerie [10]. Les méthodes commerciales des grandes sociétés de distribution alimentaire ne sont pas non plus pour plaire toujours aux producteurs. Ils l'ont montré en occupant, à Fribourg, Moutier et Yverdon, les succursales de la maison Denner où les prix de certaines marchandises étaient de 30 % inférieurs à ceux pratiqués dans le pays [11]. Quant à la politique agricole fédérale, en proie à un conflit d'objectifs — assurer au paysan un revenu décent d'un côté, procurer au consommateur des produits de base à des prix populaires et participer à la lutte contre l'inflation de l'autre — ils ne cessent d'en dénoncer ce qu'ils considèrent comme des carences : insuffisance de la rémunération ; déficience des mesures de soutien à la production ; importations massives, de fromage notamment [12].
Le 15 novembre, une « marche sur Berne », organisée par l'Union des producteurs suisses (UPS), a été l'occasion pour les intéressés d'exposer leurs griefs et, par la même occasion, de revendiquer une majoration de revenu de 20 %, représentant une dépense supplémentaire de quelque 500 millions de francs pour la Confédération [13]. Tout en désapprouvant la manifestation, l'Union suisse des paysans (USP) a présenté une demande de même ampleur, justifiée par la double nécessité de compenser le renchérissement et d'améliorer le revenu réel de l'agriculture de plaine et surtout de montagne [14]. Comme à l'ordinaire, le Conseil fédéral n'a accédé qu'en partie à ces revendications : s'il a consenti, en date du 17 décembre, des augmentations sur les cultures et le bétail de boucherie, il est resté chiche sur le lait : il s'est contenté de promettre, pour mai 1974, un centime de plus par litre (voir plus bas) et d'élever la quantité de base de 26 à 26,5 millions de quintaux, ce qui lui a permis toutefois de baisser la retenue de 3,5 à 2,4 centimes par kilo [15]. Le monde rural se montra très déçu des maigres concessions gouvernementales. Certaines organisations, en Suisse romande en particulier, déclarèrent ne pas rester impassibles devant une situation devenue selon eux intenable [16]. En effet, un fort et soudain renchérissement, intervenu à la fin de l'année, avait durement touché certains biens de production : engrais, fourrages, carburants notamment. Or les décisions fédérales reposaient sur des estimations encore incomplètes du revenu paysan de 1972 et sur une analyse de données reflétant la conjoncture telle qu'elle existait en août et septembre 1973. En conséquence, l'USP a réagi en présentant, avant même la fin de l'année, un catalogue de nouvelles revendications [17].
Coincé entre le marteau des continuelles et grandissantes réclamations de producteurs désormais acquis à l'idée de l'indexation automatique, et l'enclume des protestations systématiques des consommateurs, le Conseil fédéral étudie depuis quelque temps les moyens de maîtriser une évolution qui risque de conduire à l'impasse. Un projet séduisant, présenté en décembre 1972, consisterait à dissocier la politique des prix de celle des revenus par l'instauration d'allocations compensatoires indépendantes de la production et calculées en fonction d'une unité de référence telle que la surface du domaine, la tête de bétail ou l'effectif de la maind'ceuvre [18]. L'idée se heurte cependant à l'opposition ou du moins aux réticences des associations paysannes elles-mêmes qui ne veulent pas d'une fonctionnarisation de l'agriculture et qui préfèrent le paiement pur et simple, mais adapté, des produits de leur terre [19]. D'autres mesures ont été prises en 1973 pour améliorer le revenu du monde rural, notamment l'augmentation des allocations familiales aux travailleurs agricoles et petits paysans ainsi que la revision des bases de calcul de la rétribution dite comparable. Une motion Tschumi (udc, BE) a en outre demandé, compte tenu des prestations du secteur primaire en faveur de l'économie générale et en vertu de la loi sur l'aménagement du territoire, le versement de contributions adéquates aux exploitants [20].
En matière de commerce agricole extérieur, l'attention s'est principalement portée sur certains produits laitiers ou leurs dérivés. Le mouvement des importations et exportations de fromage s'est intensifié, mais les entrées de fromage à pâte molle à des prix de dumping ont été telles que le Conseil fédéral a été amené, le 6 juillet, à majorer ses prélèvements douaniers sur certaines sortes. Les organisations agricoles ont estimé cette mesure insuffisante et demandé une intervention plus efficace en faveur de l'écoulement de la production indigène. Le gouvernement est en outre intervenu, le 1er avril, dans le domaine des succédanés de. lait pour l'affouragement : une forte augmentation de prix à la frontière a été imposée afin de stopper les importations qualifiées de superflues [21].
 
[10] Cf. à ce propos et pour l'ensemble de la question du revenu, les affirmations de H. Kleinewefers, in Le fédéralisme réexaminé, t. 2, p. 541 ss. et surtout p. 551. Cf. aussi la petite question Akeret (udc, ZH) sur l'absence de représentant des petits paysans dans la commission Popp : BO CN, 1973, p. 1395.
[11] Lib., 95, 26.1.73 ; 104, 6.2.73 ; TA, 21, 26.1.73 ; TLM, 26, 26.1.73.
[12] Sur les importations, cf. notamment la prise de position hostile de l'Union centrale des producteurs de lait : GdL, 93, 21/23.4.73. Cf. aussi infra, p. 77.
[13] Cf. l'ensemble de la presse à partir du 16.11.73. Les indications sur le nombre des participants varie entre 5000 et 20 000, selon les sources.
[14] NZZ, 352, 2.8.73 ; 457, 3.10.73 ; 469, 10.10.73 ; 507, 1.11.73 ; GdL, 226, 19.9.73. L'USS a critiqué la démarche paysanne : NZZ, 475, 13.10.73.
[15] Cf. l'ensemble de la presse à partir du 18.12.73 ; Rapp. gest., 1973, p. 260.
[16] USP : GdL, 296, 19.12.73 ; NZZ, 589, 19.12.73 ; 597, 24.12.73. UPS : VO, 298, 27.12.73. Cf. encore La Gruyère, 146, 22.12.73 ; TLM, 355, 21.12.73 ; 364, 30.12.73.
[17] Renchérissement : Cf. J.-C. Piot, « Probleme der schweizerischen Landwirtschaft », in Der Monat in Wirtschaft und Finanz, 1974, no 3, p. 1 ss. ; cf. aussi supra, p. 54., USP : GdL, 300, 24/26.12.73.
[18] La Gruyère, 43, 12.4.73 ; NZZ, 73, 14.2.73 ; 75, 15.2.73 ; TLM, 45, 14.2.73 ; Vat., 40, 17.2.73 ; Rapp. gest., 1973, p. 258. Cf. aussi APS, 1972, p. 79 (conceptions) et 80 (rapport Popp).
[19] USP : NZZ, 105, 5.3.73. UPS : TLM, 320, 16.11.73. Pour d'autres attitudes réservées, cf. notamment TLM, 86, 27.3.73 (Chambre vaudoise d'agriculture) ; GdL, 82, 7/8.4.73 ; JdG, 104, 5/6.5.73 (PRD GE).
[20] Allocations : cf. infra, p. 120 s. Bases de calcul : Rapp. gest., 1973, p. 257 s., ainsi que petite question Birrer (pdc, LU), in BO CN, 1973, p. 984 ; RO, 1973, no 54, p. 2202 ss. Tschumi : Délib. Ass. féd., 1973, III, p. 39.
[21] Fromage : cf. entre autres, interpellation Hofmann (udc, BE) et réponse du CF Brugger (BO CN, 1973, p. 426 ss.) ; petite question Oehen (an, BE) et réponse du CF (ibid., p. 997) ; Union de Banques Suisses, L'économie suisse 1973, Zurich 1973, p. 81 s. (fournit des chiffres) cf. aussi Rapp. gest., 1973, p. 260. Pour les réactions, cf. GdL, 165, 18.7.73 ; 167, 20.7.73 ; 170, 24.7.73 ; NZZ, 335, 23.7.73 ; 338, 24.7.73 ; cf. aussi supra, p. 76 et note 12. Succédanés de lait : cf. entre autres, petite question Hofmann (udc, BE) et réponse du CF : BO CN, 1973, p. 987.