Année politique Suisse 1974 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
ONU
Non membre de l'Organisation des Nations Unies, la Suisse attache encore un intérêt particulier à la CSCE. Celle-ci constitue en effet pour elle le premier forum de négociations auquel, depuis la Société des Nations, elle participe à part entière. Elle y approfondit son expérience de la diplomatie multilatérale, d'importance croissante dans les relations internationales. Elle n'en ignore pas l'ONU pour autant, et l'expérience acquise dans la CSCE devrait encourager son entrée dans une organisation vouée elle aussi à la solution pacifique des conflits. La Commission consultative créée en 1973 et chargée de l'examen d'une adhésion éventuelle a toutefois différé la remise de son rapport au Conseil fédéral
[39]. C'est que les divergences, très marquées au sein de l'organe lui-même, ne font que refléter celles d'une opinion publique dans laquelle les avis sur l'urgence d'une demande d'entrée sont très partagés
[40]. Le courant hostile, se conjuguant fortuitement avec une israélophilie bien connue, s'est même renforcé depuis qu'une politisation croissante, qui s'est notamment manifestée en 1974 dans le refus par l'UNESCO de tout appui financier à Israël, s'est emparée des institutions spécialisées de l'organisme de Manhattan. Malgré les mises en garde du Conseil fédéral, les Chambres ont en effet amputé de 10 % le crédit annuel de la Suisse à l'UNESCO
[41]. Le monde arabe, principal inspirateur de la mesure anti-israélienne au sein de l'organisation culturelle internationale, a violemment critiqué notre pays pour cette mesure, l'accusant de violer sa neutralité dans le conflit proche-oriental et le menaçant de représailles. Dans une déclaration que la presse suisse a généralement considérée comme ferme, opportune mais surtout mesurée, notre gouvernement a dénoncé ces attaques comme injustifiées et rappelé, à propos de la liberté d'expression, qu'il n'y avait pas de neutralité morale
[42].
Si, pour des raisons évidentes, le souci de ménager les pays arabes producteurs de pétrole explique cette modération de ton, il n'en reste pas moins que la crise énergétique conduit inévitablement les autorités suisses à revoir leur politique en matière d'aide au développement et à distinguer, dans le tiers monde, pays riches détenteurs de matières premières — d'or noir principalement — et pays pauvres, dits aussi « quart monde », tributaires du reste de la planète
[43]. Stratégie nouvelle dont l'application se heurte pourtant çà et là aux problèmes que pose l'orientation prise par certains de ces derniers, telle l'Inde qui, à grands frais, prétend se doter de l'arme atomique et qui suscite ainsi les réserves de l'opinion suisse
[44]. Mais l'attitude des pays industrialisés n'est pas exempte non plus de reproches. A telle enseigne qu'en Suisse même, les milieux favorables à une aide plus désintéressée voient par exemple une certaine ambiguïté dans la politique de la Confédération, notamment en ce qui concerne l'Afrique du Sud et la Rhodésie, à régime d'apartheid
[45]. Ils envisagent d'ailleurs le lancement d'une initiative populaire
[46].
[39] Commission : NZ, 340, 31.10.74 ; cf. aussi APS, 1973, p. 38.
[40] Alors que pour certains l'ONU devrait constituer le premier objectif de la politique étrangère suisse (Vat., 112, 15.5.74), d'autres tendent à la placer après la ratification du Traité de non-prolifération nucléaire et l'adoption de la loi sur la coopération au développement (NZ, 340, 31.10.74). Rappelons qu'en 1972, le Conseil fédéral l'inscrivait au nombre des réalisations de la législature 1971-1975 (APS, 1972, p. 34 et 41) mais qu'en 1973, le CF Graber donnait la priorité à la révision du référendum en matière de traités internationaux (APS, 1973, p. 38). Ajoutons qu'en fin d'année l'accueil triomphal à l'ONU du leader palestinien Yasser Arafat n'a fait qu'accroître l'animosité des israélophiles en Suisse. Quant aux sondages d'opinion dont les résultats nous sont connus, ils datent de 1972 et révèlent une grande indécision des citoyens : 30 à 40 % d'entre eux n'ont pas d'opinion (D. Frei, H. Kerr, Wir und die Welt, op. cit., p. 225 ; L'Impartial, 29549, 13.5.74). Parmi les publications, citons Fl. Zanetti, «Un posto per la Svizzera all'ONU ? », in Civitas, 30/1974-75, no 3, p. 125 ss. ; E. Roethlisberger, L'ONU pourquoi pas?, Neuchâtel 1974 ; L. Vuignier, « Betrachtungen zur Möglichkeit eines schweizerischen UNO-Beitritt », in Unesco-Presse, 5/1974, no 7, p. 7 ss. ; B. Zimmermann, H. Höhener, Das Bild der UNO bei Schweizer Parteipolitikern, Zürich 1975 (Kleine Studien..., multigr.).
[41] Message du CF : FF, 1974, I, no 20, p. 1241 ss. CE : BO CE, 1974, p. 501 et 617 ss. CN : BO CN, 1974, p. 1613 ss. Au CE, c'est P. Aubert (ps, NE), président de l'Association Suisse-Israël, qui a proposé la réduction de 10 % (TLM, 338, 4.12.74). Au CN, une interpellation Gut (prd, ZH) et une motion Allgöwer (adi, BS) ont posé la question de la poursuite de notre collaboration avec les institutions spécialisées de l'ONU (Délib. Ass. féd., 1974, V, p. 21 et 46). Cf. aussi l'interpellation Hofer (udc, BE) : ibid., p. 46. Commentaires : cf. la presse à partir du 27.11.74. Pour M. Graber, il faut admettre la politisation, aussi regrettable soit-elle, et s'y adapter (allocution du 26.4.74 à l'assemblée générale de la Commission nationale suisse pour l'UNESCO, information du DPF).
[42] Attaques : la presse à partir du 6.12.74. Déclaration. du CF : la presse à partir du 14.12.74. Une autre accusation arabe a porté sur la décision fédérale de verser à une organisation israélite suisse une grande part des avoirs en déshérence de Juifs disparus, fonds pour la plupart déposés dans des banques de notre pays (FF, 1974, II, no 41, p. 801 ss. ; BO CN, 1974, p. 1817 ss.).
[43] Cf. déclaration du CF Graber, in Documenta, 1974, no 4, p. 11 ss., ainsi que l'interpellation Hofer (udc, BE) avec réponse du CF, in BO CN, 1974, p. 1252 ss.
[44] Cf. interpellation Kloter (adi, ZH) et réponse du CF : BO, CN, 1974, p. 1747 ss.
[45] Schweiz-Südafrika, Ende des Dialogs ? Ein Beitrag zur Auseinandersetzung um die schweizerische Verantwortung am Rassismus in Südafrika, publ. par le Centre Europe-Tiers monde, Genève 1974. Cf. aussi Interpellation Canonica (ps, ZH), in Délib. Ass. féd., 1974, V, p. 45. Parmi les publications, cf. en outre B. Kappeler, R. H. Stranner, Les charités de la Suisse. Sociologie d'un impérialisme secondaire, Paris 1974 (version allemande : Schweizer Kapital und Dritte Welt, Zürich (1974). Cf. encore Dritte Welt im Jahre 2000, publ. par la Vereinigung der Erklärung von Bern, Zürich 1974.
[46] R. H. Strahm, « Stossrichtungen einer entwicklungspolitischen Verfassungsinitiative », in Reformatio, 24/1975, p. 40 ss.
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