Année politique Suisse 1974 : Chronique générale / Défense nationale
 
Armement
L'importance du groupement de l'armement ne l'est pas moins, et là aussi certaines innovations et modernisations s'imposent. La planification nécessaire pose des problèmes de priorités que la dernière guerre proche-orientale du « Kippour » (automne 1973) a remis au premier rang des préoccupations. Les leçons que les experts, chez nous et ailleurs, ont tiré de cette quatrième phase du conflit israélo-arabe sont multiples et pas toujours concordantes. Certains affirment le rôle décisif que jouera désormais la combinaison de l'aviation, des fusées et de l'électronique [40]. D'autres ont été impressionnés par la vulnérabilité des chars [41]. D'autres encore ont cru comprendre qu'une mobilisation rapide pouvait être déterminante pour le sort des armes ; ou que les réserves logistiques prenaient une place de premier ordre ; ou encore que l'infanterie demeurait la reine des batailles [42]. En réponse à une interpellation Müller (an, ZH) de 1973, le Conseil fédéral a déclaré avoir, avec le DMF, suivi les opérations avec une grande attention et que, si leur déroulement avait montré le bien-fondé de notre politique d'armement, il convenait d'améliorer encore la défense antichars ainsi que la défense contre avions [43].
Indépendamment de cette conjoncture, le législatif a voté le programme d'armement 1974, d'un montant de 968 millions de francs [44]. Une proposition socialiste de bloquer un crédit, inclus dans cette somme, de 156 millions de francs pour l'achat de 50 chars blindés, a été repoussée par les deux Chambres. Selon les partisans de cette mesure, le char 68, de conception et de fabrication suisse, présentait de graves lacunes et il était sage de différer toute commande jusqu'à l'achèvement de la procédure d'évaluation du char « Leopard », engin ouest-allemand qu'on envisage aussi d'acquérir peut-être dans le futur. Dans cette « bataille de chars », nos députés ont été particulièrement sensibles au principe de l'autonomie de notre industrie d'armement, de même qu'à la situation faite à cette branche de notre économie de par le resserrement de nos exportations d'armes [45].
A défaut, pour l'instant, de « léopard », il y aura peut-être un « tigre » ! En effet, bien qu'aucune décision formelle ne soit tombée en 1974 quant au choix du nouvel avion de combat, les travaux d'évaluation de l'appareil américain « Tiger II, F-5 E » sont si avancés que, sauf imprévu, une proposition concrète d'achat devrait être présentée dans un avenir proche par le DMF [46]. Toutefois, en prévision du cas où la solution préconisée ne pourrait être retenue, une nouvelle enquête a été menée sur le marché aéronautique en vue de rassembler la documentation de base nécessaire à un réexamen éventuel de la situation [47]. Vers la fin de l'année, le gouvernement français, dans un mémorandum au DMF, a proposé la vente à notre pays du « Mirage 5 », parent proche du « Mirage 3-S » qui équipe déjà notre aviation [48]. En dépit des qualités indéniables de l'appareil d'outre-Jura, ce « combat aérien » ne semble pas avoir ébranlé la préférence des sélectionneurs suisses pour le modèle d'outre-Atlantique, d'autant moins qu'une nouvelle comparaison ne ferait que prolonger une procédure déjà critiquée pour sa longueur [49].
L'initiative populaire lancée en 1973 pour « ressusciter » la défunte cavalerie ayant échoué — le nombre de signatures requises ne paraît pas avoir été atteint [50] — une autre voie est cherchée qui pourrait, à la rigueur, s'avérer plus efficace. Elle consiste dans la création d'escadrons cantonaux. En 1974, les parlements bernois et vaudois ont été saisis de l'affaire par les soins de députés des partis agrarien, libéral et radical. Si la cavalerie fédérale a disparu, les chevaux et mulets du train demeurent : deux postulats Marthaler (udc, BE) en leur faveur ont été adoptés par le Conseil national [51].
 
[40] K. Alder, « Die dritte Dimension im vierten Nahostkrieg », in Schweizer Soldat, 49/1974, no 1, p. 4 s. Cf. aussi APS, 1973, p. 50.
[41] Interview de J. J. Vischer, chef de l'EMG, pour qui le renforcement de notre défense antichars est de toute première nécessité : Ldb, 14, 18.1.74 ; TG, 16, 21.1.74. Cf. aussi I. Smart, « Eine Lehre aus dem vierten Nahostkrieg. Das Ende der Panzer », in Schweizer Soldat, 49/1974, no 1, p. 5 s.
[42] Cf. Schweizer Soldat, 49/1974, no 4, p. 7 s. ; no 5, p.6 s. ; Bund,.74, 29.3.74 ; cf. aussi petite question König (mna, BE) à propos des réserves militaires en carburant, avec réponse du CF : BO CN, 1974, p. 688.
[43] BO CN, 1974, p. 496 ss. Cf. aussi APS, 1973, p. 50.
[44] Allant entre autres à l'artillerie (382 millions de fr. pour des obusiers blindés M 109), à la motorisation et la mécanisation (169 millions), aux transmissions (118 millions) et aux équipements de caractère général et matériel de soutien (146 millions) : FF, 1974, I, no 13, p. 693 ss.
[45] Propositions Aubert (ps, NE) au CE et Hubacher (ps, BS) au CN : BO CE, 1974, p. 331 ss. ; BO CN, 1974, p. 1508 ss. Elles ont été rejetées respectivement par 33 voix contre 5 et 85 contre 33.
[46] II était même question qu'elle soit faite en 1974 déjà : TG, 255, 1.11.74.
[47] Cf. la presse à partir des 24.1 et 17.8.74 ; H. R. Kurz, op. cit., p. 47.
[48] Cf. la presse à partir du 1.11.74.
[49] Cf. S. Moser, Operation Null. Die Schweiz sucht ein Kampfflugzeug, Zürich 1973. Cf. encore l'interpellation Müller (an, ZH), in Délib. Ass. féd., 1974, V, p. 49, ainsi que la petite question Reiniger (ps, SH) avec réponse du CF, in BO CN, 1974, p. 1946.
[50] Renseignement aimablement communiqué par le DMF.
[51] BE et VD : GdL, 26, 1.2.74 ; TA, 28, 4.2.74 ; APS, 1973, p. 50. Postulats : BO CN, 1974, p. 498 s. et 1259 s.