Année politique Suisse 1974 : Economie / Agriculture
 
Politique agricole
Depuis 1969, année de parution du 4e rapport du Conseil fédéral sur l'agriculture, l'application de la politique agricole du gouvernement n'a pas été sans peine, étant donné les constantes et multiples difficultés inhérentes à ce secteur. L'évolution de ces dernières années a mis particulièrement en évidence des problèmes de revenu, mais aussi et plus généralement la question de la survie de la paysannerie. Non seulement le nombre des exploitations agricoles ne cesse de diminuer, mais le sol cultivable lui-même se raréfie de jour en jour, « mangé » par le béton et le goudron ou, comme en montagne, simplement délaissé. En outre, les perspectives financières pour les années à venir indiquent que la part de l'agriculture aux dépenses totales de la Confédération devrait baisser et passer de 9,4 % en 1975 à 8,0 % en 1979 [3]. L'inquiétude qui règne dans les campagnes a débouché en 1974 sur un mouvement de protestation et de revendication d'une ampleur inhabituelle. Il en sera question plus bas. Sur le plan parlementaire, deux porte-parole des milieux agricoles — H. Herzog (udc, TG) au Conseil des Etats et F. Hofmann (udc, BE) au Conseil national — ont demandé au Conseil fédéral la présentation, dans les plus brefs délais, d'un 5e rapport sur l'agriculture. Leur double motion n'a toutefois été adoptée que sous forme de postulats [4]. Selon les motionnaires, le prochain document gouvernemental devrait, notamment, exposer en détail le programme et les objectifs de la politique agricole future, s'exprimer sur l'approvisionnement du pays en produits indigènes ainsi que sur les indemnités à verser à l'agriculture en rapport avec l'aménagement du territoire. Un postulat Rüttimann (pdc, AG) souhaite qu'y soient encore abordés l'ensemble des problèmes posés par le mode familial d'exploitation rurale, de même que la situation sociale de la paysannerie en général et sa contribution à la vie culturelle du pays [5].
On le voit, les structures agricoles et leur évolution constituent un objet de sérieuse préoccupation pour l'instance politique. L'abandon de leur domaine par de nombreux exploitants aux prises avec de trop grosses difficultés prend de telles proportions qu'elle est jugée par certains comme allant à l'encontre de la loi sur l'agriculture de 1951 dont l'un des principaux objectifs est le maintien d'une population rurale forte. La concentration croissante des terres dans les mains d'un nombre toujours plus restreint de propriétaires n'est pas considérée non plus comme un processus bénéfique. C'est pourquoi le gouvernement a été invité à présenter au parlement une analyse approfondie de la situation et à exposer en même temps les mesures adéquates qui s'imposent [6]. D'ores et déjà, l'exécutif a déclaré s'en tenir à la ligne fixée dans son 4e rapport de 1969 : l'exploitation de type familial demeure certes le modèle, mais sa viabilité financière n'est guère possible aujourd'hui sans une capacité de production accrue, autrement dit sans un certain agrandissement de surface [7].
Le financement des structures agraires (amélioration) a été placé essentiellement sous le signe de la pénurie, ou de l'austérité volontaire. C'est ainsi que les motions Heimann (adi, ZH) et Fischer (mna, AG) en faveur de nouveaux crédits d'investissements ont été rejetés par le parlement [8]. D'un autre côté, un postulat Muff (prd, LU), encore pendant devant cette chambre, demande de revoir le système de subventionnement des améliorations foncières en tenant compte. du resserrement actuel des finances publiques [9].
Les mêmes difficultés de trésorerie ont été à l'origine de certaines décisions relatives à l'agriculture de montagne [10], bien qu'il y ait eu parfois divergence sur l'ampleur ou le bien-fondé des économies à réaliser. Ainsi à propos de la nouvelle loi du 28 juin 1974, en remplacement de celle du 9 octobre 1964, sur la contribution annuelle de la Confédération aux frais des détenteurs de bétail de la région de montagne et de la zone préalpine des collines. Si les Chambres, conformément à la proposition du gouvernement, ont renoncé à subventionner l'estivage des vaches en montagne [11], elles ont en revanche accordé aux détenteurs de bétail des régions les plus élevées une augmentation légèrement supérieure à celle prévue par l'exécutif [12]. Par contre, l'accord s'est fait entre gouvernement et parlement pour adopter, sous forme de postulats seulement, deux motions Tschumi (udc, BE) et Krauchthaler (udc, BE) en faveur du versement de paiements compensatoires aux agriculteurs des régions de montagnes et de collines [13].
Trois autres motions — Nef (prd, SG), et Tschumi (udc, BE) au National, Vincenz (pdc, GR) aux Etats — ont également été transformées en postulats [14]. Elles visent à pallier les incidences négatives de l'aménagement du territoire sur le revenu paysan en général. Il s'agirait pour l'essentiel de compenser, sous des formes à déterminer, la dévalorisation foncière consécutive à la zonification de l'espace national. Si cette mutation capitale est à même d'amenuiser certaines possibilités de gain des agriculteurs, le rôle social de plus en plus important dévolu à la campagne et à la montagne comme facteurs de délassement et d'oxygénation pourrait également être considéré comme une prestation de la paysannerie à la collectivité et, à ce titre, être dédommagé de façon équitable, comme le prévoit la loi sur l'aménagement du territoire, toutefois contestée [15]. Mais, pour l'heure, c'est surtout la situation conjoncturelle qui détermine le revenu agricole effectif. L'inflation persistante pose en particulier la question de l'adaptation au renchérissement. Par un postulat Oehen (an, BE), adopté par la chambre du peuple, le gouvernement a été invité à examiner, entre autres, si l'agriculture n'était pas « injustement défavorisée » par le fait que les prix payés aux producteurs sont soustraits à cette indexation automatique [16].
Les imposantes ou spectaculaires manifestations paysannes qui ont ponctué l'année 1974 ont précisément et essentiellement été motivées, semble-t-il, par cette absence d'indexation ou, du moins, par la lenteur du gouvernement à compenser le manque à gagner du paysan, même si, comme on le verra bientôt à propos de l'économie laitière, des questions plutôt techniques les ont déclenchées. Elles se sont déroulées principalement en janvier et février d'une part, le lundi 16 septembre d'autre part, cette dernière date coïncidant avec l'ouverture à Berne de la session d'automne, des Chambres fédérales ainsi qu'avec la journée européenne de protestation des agriculteurs du Marché commun [17]. Alors que les premières ont pris des formes très diverses (citons les ventes « sauvages » de viande et surtout l'obstruction aux nouvelles analyses du lait), les secondes ont surtout consisté à entraver la circulation automobile et à descendre dans les villes. Dans un cas comme dans l'autre, aucun heurt sérieux ni de dégâts importants n'ont été signalés. Quoique ces types d'agissements aient été souvent en marge de la légalité, la police n'est pas intervenue, sinon pacifiquement. De multiples régions ont été touchées, du Valais à la Thurgovie en passant par Berne et Bâle-Campagne, mais c'est la Suisse romande qui a été le théâtre principal des opérations : c'est ici que les organisateurs, au premier chef l'Union des producteurs suisses (UPS), sont le plus fortement implantés. En dépit de la satisfaction affichée par ces derniers au soir du 16 septembre, il semble que ces actions ont en définitive contribué davantage à détériorer qu'à améliorer la compréhension des citadins pour les problèmes de la paysannerie. J.-Cl. Piot, directeur de la Division de l'agriculture au DFEP, dont la démission avait été demandée, a déclaré qu'il n'en ferait rien, même s'il recevait des coups « des deux côtés » (c'est-à-dire aussi des consommateurs). Pour sa part, le conseiller fédéral G.-A. Chevallaz a stigmatisé, lors d'une inauguration officielle dans le canton de Vaud, le chantage que représentaient, selon lui, certaines de ces manifestations copiées de l'étranger [18].
Le gouvernement a-t-il ou non cédé à ce « chantage » ? Ainsi posée, il est difficile de répondre à la question. Toujours est-il que les augmentations de prix décidées pour le ler mai 1974 — elles ont été en moyenne de 7,5 % environ, abstraction faite de celles consenties au ler janvier — ont constitué, de son propre aveu, une large concession aux demandes des associations paysannes [19]. Si l'Union suisse des paysans (USP) s'en est dite plutôt satisfaite, l'UPS les a trouvées insuffisantes alors qu'à l'opposé, l'Union syndicale suisse les a qualifiées de « politiques » [20]. Malgré la tendance constante à la hausse des prix à la production après le let mai, malgré aussi une majoration de la retenue sur le prix de base du lait à partir du ler septembre (voir plus bas), le Conseil fédéral s'est refusé, en revanche, à octroyer aux agriculteurs de nouvelles augmentations durant le reste de l'année. Si l'UPS, estimant injuste ce refus, a formulé dès l'automne de nouvelles revendications — élever d'au moins 10 % les prix à la production animale et de 15 % ceux de la production végétale — l'UPP s'est contentée de renouveler des demandes déjà présentées mais pas encore satisfaites [21]. Parmi celles-ci figure la revision du mode de calcul de la rétribution dite équitable (ou revenu paritaire). Les retouches apportées sur ce point doivent en effet, selon l'UPP, être encore complétées [22]. L'exécutif s'est déclaré disposé à examiner la question [23]. Quant aux paiements directs, indépendants de la production, ils ont fait l'objet dès 1973 d'une étude approfondie au sein d'une commission fédérale élargie. On en a retenu l'idée de verser des contributions d'après la surface [24].
 
[3] Perspectives financières de la Confédération pour les années 1976 d 1979, rapport du 20.11.74 (Berne).
[4] BO CE, 1974, p. 250 ss. ; BO CN, 1974, p. 1239 ss.
[5] Délib. Ass. féd., 1974, V, p. 37.
[6] Postulat Schnyder (udc, BE), adopté par le CN : BO CN, 1974, p. 1245 s.
[7] Réponse du CF à plusieurs démarches parlementaires, notamment à l'interpellation Rippstein (pdc, SO) : BO CN, 1974, p. 1759 ss.
[8] BO CE, 1974, p. 78 ss. ; BO CN, 1974, p. 1759 ss.
[9] Délib. Ass. féd., 1974, V, p. 31. Un postulat Schnyder (udc, BE) sur l'estimation de la valeur de rendement des immeubles agricoles a été adopté par le National : BO CN, 1974, p. 1683.
[10] Sur l'aide aux investissements en régions de montagne, cf. supra, part. I, 4 a. A propos du lait, cf. infra (économie laitière).
[11] La motion Tschumi (udc, BE) en faveur d'une telle subvention a été retirée après cette décision : Délib. Ass. féd., 1974, III, p. 40. Cf. APS, 1973, p. 75, note 7. Au sujet de l'alpage des vaches, cf. aussi petite question Barras (pdc, FR) et réponse du CF : BO CN, 1974, p. 673.
[12] FF, 1974, I, no 9, p. 507 ss. (message) ; BO CE, 1974, p. 231 ss. ; BO CN, 1974, p. 866 ss. Au vote final du Conseil des Etats, A. Heimann (adi, ZH) s'est prononcé contre la nouvelle loi : BO CE, 1974, p. 394. Cf. aussi A. Heimann, Berglandwirtschaft. Gestalten statt Verwalten, Zürich 1974.
[13] BO CN, 1974, p. 1243 ss. ; BO CE, 1974, p. 251 ss.
[14] BO CN, 1974, p. 1147 ss. ; BO CE, 1974, p. 450 s.
[15] Sur l'ensemble des problèmes posés à l'agriculture par l'aménagement du territoire, cf. allocution du CF Furgler, in Documenta, 1974, no 2, p. 2 ss.
[16] BO CN, 1974, p. 1690 s.
[17] Janvier-février : cf. la presse à partir du 5.1.74. Pour le 16.9.74, cf. l'ensemble de la presse à partir du 17.9.74. Cf. aussi supra, part. I, 1 c.
[18] Piot : NZZ, 432, 18.9.74. Chevallaz : GdL, 228, 1.10.74.
[19] Cf. ensemble de la presse à partir du 26.4.74. Les demandes paysannes ont été appuyées par plusieurs démarches parlementaires : cf. notamment l'interpellation Barras (pdc, FR) avec réponse du CF : BO CN, 1974, p. 1014 ss. Deux autres interpellations, Rüttimann (pdc, AG) et Muff (prd, LU), ont été retirées par leurs auteurs : Délib. Ass. féd., 1974, III, p. 50 et 53 s.
[20] JdG, 96, 26.4.74 ; NZZ, 191 et 192, 26.4.74.
[21] JdG, 234, 8.10.74 ; NZZ, 459, 8.10.74 ; TG, 234, 8.10.74 ; 263, 11.11.74 ; Vat., 233, .8.10.74 ; Tat, 263, 11.11.74. Comme intervention parlementaire, citons l'interpellation Schnyder (udc, BE) avec réponse du CF : BO CN, 1974, p. 1754 s.
[22] Pour le détail de la revision, cf. Rapp. gest., 1974, p. 235.
[23] Cf. à ce sujet le postulat Tanner (udc, TG), adopté par le CN : BO CN, 1974, p. 1246 s. Une motion Birrer (udc, LU) visant à étudier le revenu agricole en rapport avec les prix a également été acceptée, mais sous forme de postulat seulement : ibidem, p. 1239 s. et 1252. Cf. APS, 1973, p. 77.
[24] Rapp. gest., 1974, p. 235 s. ; NZZ, 489, 12.11.74 ; 504, 29.11.74. Cf. APS, 1973, p. 76 s. Sur l'ensemble de la question, cf. K. Müller, Ausgleichszahlungen als neues Instrument der schweizerischen Agrarpolitik, Winterthur 1973.