Année politique Suisse 1974 : Economie / Agriculture
 
Produits agricoles
Nos importations de produits agricoles sont évidemment liées aux possibilités d'approvisionnement à l'étranger. Une crise alimentaire mondiale, comparable ou non par ses causes et ses effets à la crise de l'énergie, paraît aujourd'hui de plus en plus probable aux observateurs. C'est ainsi que certaines denrées de base, comme le blé, pourraient devenir, à plus ou moins brève échéance et au même titre que le pétrole, une arme politique redoutable [32]. La question de notre autonomie se pose donc aussi en ce domaine. Même si certaines perspectives récentes prévoient que, jusqu'en l'an 2000, notre capacité globale de production alimentaire — toutes choses égales par ailleurs — dépassera la demande, une certaine inquiétude règne dans les sphères dirigeantes du pays. Selon M. Piot par exemple, il n'est pas exclu que l'insécurité qui pèse sur l'avenir amène le Conseil fédéral à accroître sensiblement la production agricole indigène [33]. En réponse à une interpellation Hofer (udc, BE), le gouvernement a en effet reconnu que, déduction faite des produits fabriqués à partir des fourrages importés, notre autoapprovisionnement ne couvrait actuellement que le 45 % de nos besoins en calories. Il a toutefois précisé que, compte tenu de rendements plus élevés, de plus grandes surfaces cultivées et de plus fortes capacités de stockage, notre autarcie pouvait s'accroître comme durant la dernière guerre mondiale et atteindre derechef un niveau élevé. Dans sa volonté d'accroître encore les possibilités en ce domaine, il a en outre adopté un postulat Cavelty (pdc, GR) en faveur de la mise sur pied d'une politique globale d'approvisionnement comprenant denrées alimentaires, matières premières et sources d'énergie [34]. A la fin de l'année, le Conseil national a été saisi d'autres démarches allant dans le même sens, mais plus spécifiquement axées sur l'agriculture : extension des cultures céréalières ainsi que du colza ; maintien de la superficie actuelle des terres cultivables par insertion dans la Constitution fédérale d'un article 22 quinquies [35].
L'évolution de la situation alimentaire dans le monde dira s'il convient de redéfinir en Suisse l'importance respective des deux secteurs de l'agriculture, élevage et culture. Certains se demandent d'ailleurs si l'extension des cultures et la nouvelle revalorisation de leurs prix ne seraient pas à même, à la fois de prévenir d'éventuelles difficultés de ravitaillement et d'endiguer le flot excédentaire de lait. Le Conseil fédéral, tout en accordant déjà une préférence de prix aux produits de culture par rapport à ceux de l'élevage, doute cependant, pour des raisons climatiques et topographiques, de la possibilité d'étendre de façon importante les cultures aux dépens de la production laitière. Il est également sceptique sur les possibilités d'éliminer définitivement les menaces de surproduction de lait. Il est toutefois d'avis qu'à l'avenir, la production sous contrat devra être encouragée et qu'il convient de poursuivre les efforts tendant à promouvoir une planification à long terme de la production en général [36]. Quant au parlement, les opinions les plus diverses s'y affrontent. Au-delà de l'antagonisme traditionnel entre représentants des agriculteurs et des consommateurs, l'orientation nouvelle sinon le réajustement qui, en fonction de la conjoncture mondiale, risque d'affecter notre politique agricole, pourrait susciter de nouvelles tensions au sein même des milieux de la paysannerie, les éleveurs s'opposant aux cultivateurs, du moins dans une certaine mesure. Alors que le gouvernement a d'ores et déjà été invité à mettre tout en oeuvre pour maintenir le double objectif — lait et viande — visé par l'élevage [37], d'autres interventions, on l'a vu, tendent à privilégier les cultures.
 
[32] JdG, 48, 27.2.75. Sur le ravitaillement en céréales, cf. notamment H. P. Keller, « Die Landesversorgung mit Getreide », in Wirtschaft und Recht, 26/1974, no 4, p. 284 ss. Sur les perspectives de disette, cf. APS, 1973, p. 75 et 79.
[33] Perspectives : cf. Perspectives d'évolution de l'économie suisse et problèmes posés par son développement, rapport final, Berne 1974. Piot : TA, 259, 7.11.74 ; cf. aussi J.-Cl. Piot, « Die Sicherstellung des Landes mit Agrarprodukten », in Wirtschaft und Recht, 26/1974, no 4, p. 290 ss. Sur la position du CF, cf. entre autres, exposé de R. Gnägi, in Documenta, 1974, no 6, p. 14 s.
[34] Hofer : BO CN, 1974, p. 1252 ss. Cavelty : ibidem, p. 1691 ss.
[35] Céréales : cf. postulat Muff (prd, LU), in Délib. Ass. féd., 1974, IV, p. 32. Colza : cf. postulat Roth (udc, AG), ibidem, p. 38. Constitution : cf. initiative Oehen (an, BE), ibidem, p. 10.
[36] Réponse du CF à une petite question Knüsel (prd, LU) : BO CE, 1974, p. 138 s. La préférence accordée aux cultures sur l'élevage se justifie par le fait qu'à la suite d'un recul de la consommation d'une part, d'une augmentation substantielle de la production d'autre part, les autorités fédérales ont dü ordonner, à la différence des années précédentes, le stockage de certaines catégories de viande de boeuf.
[37] Cf. postulat Roth (udc, AG) : Délib. Ass. féd., 1974, IV, p. 38. Comme autre décision à mentionner en matière d'élevage, citons l'adoption, sous forme de postulat, d'une motion Knüsel (prd, LU) de 1973 en faveur de la création d'un centre civil du cheval : BO CN, 1974, p. 447 ss. Cf. aussi APS, 1973, p. 78 s.