Année politique Suisse 1975 : Eléments du système politique / Institutions et droits populaires
 
Gouvernement
Le rapport quadriennal déjà mentionné dresse le bilan de l'activité du gouvernement. Il constate que durant la période de croissance continue on a surestimé les capacités de l'Etat et de la société et souligne les limites tracées par les droits populaires à la réalisation d'un programme gouvernemental [4]. A l'instar du Conseil fédéral, la plupart des porte-parole des groupes réclamèrent, lors du débat d'automne au parlement, l'établissement de priorités et la concentration de l'activité étatique sur l'essentiel. Au parlement le représentant des indépendants, W. Biel (ZH), alla plus loin en exigeant l'ouverture du débat sur les divergences d'objectifs ainsi que l'abandon de la coalition gouvernementale actuelle [5].
Une telle discussion n'eut pas lieu durant la campagne précédant les élections au Conseil national, mais bien, à la surprise générale, dans les semaines suivant le scrutin. Mis à part quelques signes annonciateurs à gauche, il n'y avait pas lieu de douter, avant les élections, que les quatre partis au pouvoir signeraient un nouveau contrat de législature [6]. Cependant après leur gain de dix sièges, et encouragés par son impact auprès des « mass media », les socialistes firent mine, au lendemain du 26 octobre, de mettre en question la formule gouvernementale. Le PSS créa une commission chargée de préparer la discussion du nouveau contrat et d'aborder tant les questions de programme que les questions personnelles. Officieusement, on invitait l'UDC à se retirer du Conseil fédéral [7]. Après l'élaboration par les secrétaires centraux des quatre partis gouvernementaux d'un programme minimal du type de celui de 1972, la délégation du PSS surprit ses partenaires en présentant le 19 novembre un catalogue de revendications impératives allant, en partie, au-delà du programme électoral socialiste. Citons la participation de l'Etat aux entreprises en difficulté, le jumelage de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) avec l'engagement des cantons à imposer les successions, les donations et les gains immobiliers, l'adaptation des rentes AVS à l'évolution des salaires ou encore l'adhésion à l'ONU [8].
Parmi les partis gouvernementaux bourgeois, le PDC fut enclin, au début, à adhérer jusqu'à un certain point à la stratégie des socialistes. Selon ses porte-parole, il revendiquait, d'autre part, en tant que parti du « centre dynamique », une fonction de charnière, voire de direction. La ligne dure adoptée par le PSS le rejeta cependant du côté de ses partenaires bourgeois pour qui une partie des conditions socialistes était inacceptable notamment en ce qui concerne l'ampleur des moyens à engager dans la relance économique et le couplage de la TVA avec une harmonisation substantielle des systèmes fiscaux cantonaux. On renonça, dès lors, au début de décembre, à signer un nouveau contrat de législature. Néanmoins, les quatre partenaires se mirent d'accord pour garder la « formule magique » du Conseil fédéral et pour poursuivre le dialogue périodique institué en 1972. Le 10 décembre, la réélection des sept conseillers fédéraux se fit en parfaite harmonie, Willi Ritschard apparaissant comme le plus populaire [9].
La majorité des commentateurs ne regretta guère ce contrat de législature ; divers journaux approuvèrent même, vu l'abstentionnisme croissant des électeurs, une certaine radicalisation des affrontements entre les partis [10]. C'est du côté du PDC surtout que l'on déplora l'échec des efforts poursuivis depuis 1971 pour asseoir la politique gouvernementale sur la base des partis représentés au Conseil fédéral, efforts auxquels allait une certaine sympathie du chancelier de la Confédération Huber [11]. Ainsi l'intermède fut diversement apprécié, selon qu'on privilégie la réintégration du citoyen dans les partis et dans le système politique ou la solution des problèmes complexes posés à l'Etat. Au sein de la population, la question de la formation du gouvernement ne provoqua guère de remous ; un sondage révéla qu'un tiers seulement des citoyens connaissent la composition politique du Conseil fédéral [12].
Les tentatives d'augmentation du nombre des conseillers fédéraux restèrent stériles. Le Conseil national rejeta en septembre l'idée de porter le collège à onze membres, ainsi que le préconisait l'initiative Breitenmoser (pdc, BS). Ce projet trouva un certain soutien parmi les députés du PDC, de l'Alliance des indépendants et de l'Action nationale, ainsi que chez les représentants tessinois ; la majorité en revanche, obéit aux mises en garde des conseillers fédéraux, en exercice ou anciens, de ne pas soumettre le système collégial à trop rude épreuve. Concernant l'allégement de leur tâche, on renvoya au projet de réorganisation de l'Administration fédérale, présenté au printemps par le Conseil fédéral [13]. Un accueil mitigé fut réservé à la proposition des bureaux des deux Chambres tendant à réélire les conseillers fédéraux sur une liste unique et non plus l'un après l'autre. On fit valoir que l'élection en bloc évitait certes le jeu des représailles entre les groupes, mais qu'elle pouvait aussi entraîner la défaite de l'un ou l'autre des magistrats [14].
 
[4] FF, 1975, I, no 19, p. 1665. Le rapport sur les Grandes lignes de la politique gouvernementale de 1972 avait annoncé 17 projets de revision constitutionnelle et 75 messages et rapports dont 7, respectivement 36, ont été présentés aux Chambres. Cf. en outre W. E. Pfister, Regierungsprogramm und Richtlinien der Politik, Bern-Frankfurt/M. 1974 (Europäische Hochschulschriften, Reihe 2, 108) ; W. Hill, Möglichkeiten künftiger Gestaltung der Planung beim Bund, Bern 1975 (Staat und Politik, 15).
[5] BO CN, 1975, p. 1182 ss. ; BO CE, 1975, p. 622 ss.
[6] Lors du congrès du PSS en mars, la proposition de renoncer à tout contrat de législature avec les partis bourgeois fut refusée par 168 voix contre 118 (24 Heures, 69, 24.3.75), après l'échec d'un candidat socialiste au Tribunal fédéral en juin, H. Hubacher, président du parti, remit en question le renouvellement du contrat (Aargauer Tagblatt, 142, 21.6.75 ; cf. infra, Tribunal fédéral) et dans son programme électoral, le PSS se présentait comme le noyau d'une nouvelle majorité parlementaire (cf. infra, part. I, le, Programmes électoraux).
[7] Le signal de départ fut donné par le journaliste T. Lienhard, qui proposa de former le CF par trois socialistes, trois démo-chrétiens et un indépendant (TA, 250, 28.10.75 ; Vat., sda, 250, 28.10.75). Sur les démarches socialistes, cf. NZ, 340, 1.11.75 ; TG, 255, 1.11.75 ; Tw, 257, 3.11.75 ; sur les élections, infra, part. I, le. Des critiques soulignèrent la difficulté de gouverner, dans une démocratie référendaire, sans être soutenu par une large majorité parlementaire (NZ, 337, 29.10.75 ; NZZ, 251, 29.10.75 ; 253, 31.10.75 ; TLM, 301, 29.10.75).
[8] Projet des secrétaires centraux : NZZ (sda), 263, 12.11.75 ; SZ (spk), 272, 24.11.75 ; cf. APS, 1971, p. 19. Revendications du PSS : NZ, 363, 21.11.75 ; 364, 22.11.75 ; TG, 272, 21.11.75.
[9] Attitude du PDC : Vat., 254, 1.11.75 ; 260, 8.11.75. Sur les pourparlers, cf. la presse du 21.11 et du 3.12.75. Résultats des élections au CF (selon l'ordre des scrutins) : Gnägi 189 voix, Brugger 211, Graber 177, Furgler 187, Ritschard 213, Hürlimann 206, Chevallaz 178. M. Gnägi fut élu président de la Confédération à son tour avec 180 voix (BO CN, 1975, p. 1921 s.).
[10] Cf. BZ, 283, 3.12.75 ; 24 Heures, 281. 3.12.75 TA, 281, 3.12.75.
[11] Vat., 281, 3.12.75 : NZZ, 284, 6.12.75 (H. P. Fagagnini). Cf. aussi NZ, 377, 3.12.75. Le PDC transmit ses propres propositions au CF pour qu'il en fasse usage en élaborant les Grandes lignes de la politique gouvernementale (Vat., 284, 6.12.75). Sur l'opinion du chancelier, proche du PDC, cf. sa conférence du 7.11 au Forum Helveticum (Documenta, 1975, no 6, p. 13 ss., notamment p. 16).
[12] Le 60 % des personnes informées préfèrent le maintien de la formule actuelle (TA. 285, 8.12.75).
[13] FF, 1975, II, no 36, p. 1057 ss. ; BO CN, 1975, p. 1230 ss. Cf. APS, 1969, p. 20 ; 1971, p. 21 ; 1974, p. 17 s., note 31 et infra, Administration.
[14] BN, 126, 3.6.75 ; Ldb, 124, 3.6.75 ; NZZ, 125, 3.6.75 ; (sda), 127, 5.6.75 ; TG, 126. 3.6.75 ; cf. BO CN, 1975, p. 1059.