Année politique Suisse 1975 : Politique sociale / Groupes sociaux
Population étrangère
La réduction du volume de l'emploi amena rapidement une
diminution de la population étrangère résidante. Ce recul et les nouvelles préoccupations sociales découlant de la crise économique ont eu pour effet de faire passer à l'arrière-plan la question de la politique à l'égard des étrangers. Celle-ci n'a généralement été considérée que par rapport à la détérioration du marché du travail
[1]. Ce manque d'intérêt relatif fut critiqué par la Commission fédérale consultative pour le problème des étrangers (CFE) qui s'éleva contre l'illusion consistant. à croire la question résolue par la simple réduction des effectifs de la population étrangère
[2]. La politique d'intégration n'a pas connu le même rythme et les mêmes succès que la stabilisation. Le refus du Grand Conseil neuchâtelois d'entrer en matière sur la question du droit de vote des étrangers sur le plan cantonal en est un exemple
[3].
Vu le développement des licenciements et l'accroissement du chômage, la polémique qui s'était développée. à propos de la surpopulation étrangère s'est poursuivie sur le plan de la politique à mener à l'égard des travailleurs suisses et immigrés en cas de recul de l'emploi. Elle fut relancée par la publication de la circulaire de l'OFIAMT et de la Police fédérale des étrangers adressée aux autorités cantonales. Dans ce texte, l'Office fédéral considère comme prioritaire la protection des travailleurs indigènes et la sauvegarde de la paix. du travail. Par là se trouvait confirmée la politique de fermeté et de résolution annoncée dès le mois de novembre passé
[4]. Le caractère tranchant, voire brutal de ces lignes directrices a été souligné, même par les partisans de la politique du Conseil fédéral. Certains d'entre eux auraient préféré un texte plus nuancé dans sa forme et insistant sur le critère de capacité du travailleur, plutôt que sur celui de sa nationalité. D'autres, tels les Groupements patronaux vaudois, affirment que les employeurs ne sont nullement obligés de congédier d'abord des étrangers, ou d'engager prioritairement des travailleurs suisses, l'autorité fédérale ne pouvant user à leur égard que de moyens d'intervention limités
[5]. Les organisations de l'immigration italienne et espagnole ont vigoureusement protesté contre ces mesures, qualifiées de discriminatoires et contraires aux accords intergouvernementaux d'unification du marché du travail. Selon ces organisations, cette circulaire vise à faire supporter les conséquences de la crise unilatéralement par la partie immigrée des travailleurs
[6]. Pour l'Union syndicale suisse (USS), par l'intermédiaire de son président Ezio Canonica, la réponse aux directives de l'OFIAMT se situe dans un cadre plus général de lutte contre les fermetures d'entreprises et contre les licenciements. La centrale syndicale avance un plan en quatre phases, chacune répondant à une dégradation de plus en plus profonde de la situation économique ; et ce n'est qu'au cas où ces mesures resteraient sans effet que les directives de l'OFIAMT devraient s'appliquer
[7].
Annoncée dès fin mai par la consultation des gouvernements cantonaux, la nouvelle ordonnance du Conseil fédéral du 9 juillet, limitant le nombre des étrangers qui exercent une activité lucrative, procède d'une rigueur analogue à celle des directives de l'Office fédéral. La réduction de la population étrangère y est prévue pour 1976. L'absence de nouveaux contingents cantonaux et la possibilité pour l'exécutif fédéral de pouvoir bloquer les contingents restants, démontrent la volonté des autorités de tirer parti des effets de la crise pour stabiliser et réduire la population étrangère
[8]. La priorité de la main-d'oeuvre indigène fut également réaffirmée à l'occasion des négociations italo-suisses du mois de juin ; lors de la conférence de presse finale, Jean-Pierre Bonny, directeur de l'OFIAMT, évoqua la perspective d'un renforcement des directives fédérales en cas d'aggravation de la situation. La même intransigeance présida aux discussions entre délégués suisses et espagnols, fin octobre à Madrid, en particulier sur le problème de l'abolition du statut de saisonnier
[9]. Celui-là ne fut pas fondamentalement modifié par la création de la catégorie des autorisations de séjour de courte durée instituée par l'ordonnance de juillet ; son domaine d'application est bien trop limité pour cela. Début mars, son abolition avait été l'objet d'une demande de la Conférence épiscopale suisse
[10]. Le même mois, le Grand Conseil genevois demandait à son exécutif d'intervenir dans ce sens à l'occasion de la revision de la loi de 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers
[11]. La suppression de ce statut fut également l'une des revendications du 26e congrès de la Fédération des colonies libres italiennes (FCLI), qui entre autres résolutions — participation politique, soutien à la solution des délais en ce qui concerne l'avortement — apporta son appui au plan de lutte contre les licenciements de l'USS. De son côté, l'Asociación de trabajadores espanioles emigrantes en Suiza (ATEES), lors de son 4e congrès, visa, à travers une série de revendications, l'unification des efforts de la « classe ouvrière multinationale » afin de défendre les droits des travailleurs et « pour éliminer les discriminations et divisions auxquelles nous sommes soumis par le système capitaliste »
[12].
C'est sur le double plan de la politique à l'égard des immigrés et de la lutte contre la dégradation de l'emploi que l'Action nationale situe sa
nouvelle initiative populaire fédérale pour la protection des travailleurs suisses. Afin de protéger la main-d'oeuvre indigène de la concurrence étrangère, elle instaure une imposition spéciale de tout employeur de plus de cinq travailleurs immigrés. Elle reprend ainsi un moyen déjà prévu dans l'initiative personnelle de H. R. Bachofner, par la suite exclu de ce groupement. Constatant le recul de la population étrangère résidante et l'efficacité de la réglementation fédérale, la majorité de la presse suisse qualifia cette initiative de moyen de propagande électorale peu coûteux, voire de pure démagogie
[13].
[1] La population étrangère résidente a diminué de 51 816 unités (soit 4,9 %) de décembre 1974 à décembre 1975. Dans le même temps, la part active de cette population diminuait de 40 920 membres. (La Vie économique, 49/1976, p. 174.)
[2] NZZ (sda), 277, 28.11.75 ; 24 Heures (ats), 280, 2.12.75.
[3] Cf. supra, part. I, 1b (Droit de vote) et infra, part. II, 1a.
[4] NZZ (sda), 16, 21.1.75 ; 24 Heures (ats), 17, 22.1.75 ; cf. également APS, 1974, p. 120.
[5] Critiques : JdG, 19, 24.1.75 SAZ, 70/1975, p. 92 s. Groupements patronaux : TG, 25, 30.1.75.
[6] Protestation du comité exécutif de la Fédération des colonies libres italiennes (FCLI) : VO, 24, 30.1.75 ; NZZ, 25, 31.1.75. Communiqué commun du Comité national d'entente des associations de travailleurs italiens (CNE), de l’Asociaci6n de trabajadores emigrantes espafioles en Suiza (ATEES) et de l'Union general de trabajadores (UGT) : 24 Heures, 38, 15.2.75.
[8] RO, 1975, no 29, p. 1396 ss. Cf. APS, 1974, p. 119.
[9] Négociations italo-suisses : 24 Heures, 156, 8.6.75 ; hispano-suisses : 24 Heures, 256, 5.11.75. Cf. supra, part. I, 2 (Bilaterale Beziehungen).
[10] Lib., 129, 6.3.75 ; TLM (ats), 65, 6.3.75 ; NZZ (sda), 55, 7.3.75.
[11] JdG, 52, 4.3.75 ; NZZ (sda), 63, 17.3.75 ; 24 Heures (ats), 63, 17.3.75.
[12] FCLI : TA, 113, 20.5.75 ; ATEES : VO, 118, 26.5.75.
[13] Initiative : TLM (ats), 133, 13.5.75 ; Volk + Heimat, no 7, juin 1975. Bachofner : Bund (sda), 69, 24.3.75 ; voir également ci-dessous part. IIIa. Revue de la presse in Ww, 20, 21.5.75. Imposition de l'employeur : cf. également APS, 1970, p. 134 (Initiative Schwarzenbach) et APS, 1973, p. 112 (Initiative « Etre solidaires »).
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