Année politique Suisse 1976 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
 
Présence de la Suisse à l'étranger
Dans le sens d'une participation accrue aux événements mondiaux et compte tenu des difficultés d'exportation provoquées par la récession, nos autorités ont attaché une importance particulière à la présence de la Suisse à l'étranger. A la suite du Conseil national, le Conseil des Etats a approuvé un projet de loi, qui confie la coordination des campagnes de promotion de l'image de marque de la Suisse à l'étranger à une commission permanente ad hoc [9]. Les efforts multiples pour resserrer les contacts et les liens avec le Moyen-Orient ont manifesté la volonté délibérée de renforcer la présence de la Suisse dans cette région où elle y sert directement notre économie. En étendant le réseau des représentations diplomatiques [10], en le sensibilisant à nos besoins économiques [11], en intensifiant la diplomatie itinérante qui semble prendre ainsi un nouveau départ — grâce à l'ambassadeur Weitnauer, secrétaire général du Département politique fédéral [12] — en organisant aussi des visites de « goodwill » avec des conseillers fédéraux et des parlementaires [13], les autorités fédérales ont essayé de répondre équitablement aux voeux des représentants de l'économie, bien que cela n'ait pas toujours complètement réussi [14]. Malgré cette tendance à concentrer l'engagement diplomatique dans certaines régions ou secteurs particulièrement intéressants, le Conseil fédéral a fermement maintenu le principe de l'universalité de notre politique étrangère. Il a ainsi noué des relations avec des pays moins importants du point de vue économique, qui ont accédé récemment à l'indépendance [15]. Certes, il a refusé de reconnaître comme Etat le Transkei dont la souveraineté, concédée par l'Afrique du Sud, est douteuse ; ce qui a provoqué des réactions diverses dans l'opinion publique ainsi qu'au parlement [16]. Les relations diplomatiques avec l'Iran ont aussi connu quelques difficultés. L'expulsion d'un diplomate iranien, dont l'activité illégale au service de la police secrète SAVAK a pu être prouvée, a entraîné une mesure de rétorsion, un collaborateur de notre ambassade à Téhéran ayant été déclaré persona non grata [17]. Quant à la crise survenue à la suite des activités d'espionnage de diplomates russes et roumains, elle a été résolue d'une manière plus élégante. Pourtant, l'affaire Jeanmaire a soulevé la question délicate de savoir si l'Union soviétique ne devrait pas réduire l'effectif pléthorique de son personnel au minimum indispensable au maintien des relations diplomatiques [18]. La prétendue présence en Suisse de trente agents de la CIA a aussi soulevé l'indignation ; dans ce contexte, la personne de l'ambassadeur des Etats-Unis, M. N. Davis, a continué à servir de cible aux critiques provenant surtout de la gauche [19].
L'initiative de l'AN visant à soumettre tous les traités au référendum facultatif est restée au centre des discussions sur la participation démocratique en matière de politique étrangère. Toutefois, ce n'était pas l'esprit de coopération qui l'inspirait, puisque la clause référendaire à effet rétroactif qu'elle proposait était dirigée contre des traités en vigueur, par exemple l'accord conclu en 1964 entre la Suisse et l'Italie au sujet de la main-d'oeuvre étrangère. En 1975, les Chambres n'avaient pu se mettre d'accord sur la question de la validité de cette initiative [20]. Malgré sa très grande perplexité concernant l'unité de la matière, l'applicabilité et la conformité au droit international public d'une telle initiative, le Conseil national a maintenu, pour des raisons d'ordre politique, sa volonté de présenter celle-ci au peuple. Cette décision, péremptoire en vertu de l'article 24, alinéa 2 de la loi sur les rapports entre les Conseils, a valu au parlement le reproche vigoureux de se soustraire, par opportunisme, à son obligation d'interpréter la Constitution en engageant sa pleine et entière responsabilité [21]. Malgré des divergences opiniâtres qui ne furent aplanies qu'après plus d'une année, ce qui nécessita une prolongation de délai, les deux Chambres sont toutefois enfin parvenues à se mettre d'accord pour proposer le rejet de l'initiative et lui opposer un contre-projet commun qui prévoit une participation populaire différenciée [22]. C'est ainsi que l'adhésion à une organisation de sécurité collective (ONU par exemple) ou à des communautés supranationales (comme les Communautés européennes) doit être obligatoirement soumise au vote du peuple et des cantons. Le choix des critères de soumission des traités au référendum facultatif a longtemps fait l'objet d'oppositions vigoureuses, le Conseil national cherchant à étendre la participation démocratique par rapport au projet du Conseil fédéral soutenu par le Conseil des Etats. En définitive, on se mit d'accord sur une formule de compromis, selon laquelle les traités relevant du droit international public doivent être soumis au référendum facultatif : lorsqu'ils sont conclus pour une durée indéterminée et ne peuvent être dénoncés, lorsqu'ils prévoient l'adhésion à une organisation internationale ou c) lorsqu'ils conduisent à accepter une uniformisation multilatérale du droit. En outre, d'autres traités doivent pouvoir être soumis au référendum facultatif lorsque les deux Chambres en décident ainsi ; à ce sujet, la proposition du Conseil fédéral, selon laquelle la majorité qualifiée des deux Conseils serait nécessaire dans ce cas, n'a pas été retenue. Cette solution, certes contestable sur le plan juridique, mais praticable du point de vue politique, contient un élément, qualifié dans la discussion de référendum facultatif de nature dispositive, qui fait dépendre la participation du peuple non pas de critères objectifs, mais de la volonté du parlement [23].
Au cours des débats sur l'extension des droits populaires en matière de traités internationaux, la nécessité de maintenir la liberté d'action du gouvernement était opposée à l'argument d'un profond malaise démocratique. En effet, la Suisse conclut, bon an mal an, septante à huitante traités avec l'étranger, qui non seulement échappent au contrôle plébiscitaire possible, mais encore peuvent même restreindre la participation démocratique dans les affaires intérieures, lorsqu'ils modifient le droit interne en vigueur. Cependant, la majorité des traités sont présentés au parlement sans qu'une opposition quelconque se manifeste et peu d'entre eux présentent un intérêt politique suffisant pour qu'une campagne référendaire soit simplement envisagée [24].
 
[9] Cf. BO CE, 1976, p. 55 ss. ; FF, 1976, I, p. 1072 ss. Cf. aussi APS, 1975, p. 43 s. et R. Reich, in Schweizer Monatshefte, 56/1976-77, p. 4 s. ; LNN, 269, 17.11.76.
[10] Cf. Rapp. gest., 1976, p. 15 ; NZZ (sda), 155, 6.7.76 ; 24 heures (ats), 155, 6.7.76 ; LNN, 263, 10.11.76. Cf. aussi A. Weitnauer, « Die diplomatische Präsenz der Schweiz in der Welt », in SKA, Bulletin, 82/1976, no 11, p. 10 ss.
[11] Cf. Rapp. gest., 1976, p. 12 ; NZZ (sda), 58, 10.3.76 ; la presse du 3.9.76 (Conférence des ambassadeurs suisses), Cf. aussi infra, Exportförderung.
[12] Cf. Rapp. gest., 1976, p. 13 s. et la presse des 15 et 22.10.77, 7 et 16.12.76. Critique : Der Republikaner, 14, 21.10.76.
[13] Cf. la presse des 14.2.76, 26.8.76, 24 et 25.11.76. Cf. aussi infra, Exportförderung.
[14] Cf. entre autres NZZ, 54, 5.3.76 (« Unhaltbare Zustände ») et 60, 12.3.76 (réplique de M. Weitnauer).
[15] Cf. Rapp. gest., 1976, p. 16 s.
[16] Cf. TA (ddp), 266, 28.9.76 ; Vat., 230, 2.10.76 ; JdG, 253, 29.10.76 ; Ldb, 287, 9.12.76 ; BO CN, 1976, p. 1294 (question ordinaire Nauer, ps, ZH) ; Délib. Ass. féd., 1976, IV, p. 37 (postulat du CN Schatz, prd, SG). Voir aussi E. Birrer, Transkei unabhängig ?, Bern (i3w) 1976 ; A. Kirby, South African Bantustans. What independence for the Transkei ? Geneva 1976.
[17] Cf. Bresche, 64, 21.2.76 ; 71/72, 14.6.76 ; 73, Juli 1976 ; 77, 26.9.76 ; TA, 115, 19.5.76 ; VO, 126, 4.6.76 ; 128, 8.6.76 ; 136, 17.6.76 ; JdG (ats), 283, 3.12.76 ; la presse à partir du 31.8.76 ; BO CN, 1976, p. 853 et 1292 (questions ordinaires Ziegler, ps, GE).
[18] Cf. Rapp. gest., 1976, p. 135 ; Ostschw., 192, 18.8.76 ; 240, 13.10.76 ; TG (ats), 196, 23.8.76 ; BO CN, 1976, p. 1226 ss. (interpellation urgente du groupe de l'UDC ; question ordinaire Schalcher, pep, ZH) ; Délib. Ass. féd., 1976, III, p. 39 (postulat du CN Soldini, mna, GE). Cf. aussi infra, part. I, 3 (Affäre Jeanmaire).
[19] Cf. TLM, 125, 4.5.76 ; VO, 102, 6.5.76 ; NZ, 182, 13.6.76 ; 235, 14.9.76 ; 288, 15.9.76 ; Zeitdienst, 30, 6.8.76 ; FA, 115, 14.9.76 ; 154, 29.10.76 ; la presse du 1.11.76. Voir aussi Comité de soutien au peuple chilien, Nathaniel Davis, Genève 1976 ; APS, 1975, p. 45 s.
[20] Cf. APS, 1975, p. 41 ss.
[21] Cf. BO CN, 1976, p. 315 ss. ; la presse du 18.3.76. Cf. aussi Volk + Heimat, no 1, janv. 1976 ; no 5, mai 1976 ; TA, 31, 7.2.76 (CE Luder, prd, SO, et CN Müller, an, ZH) ; Tat, 40, 17.2.76 ; Ldb, 49, 28.2.76 ; NZZ, 54, 5.3.76 (L. Wildhaber).
[22] Cf. BO CN, 1976, p. 326, 590 ss., 1519 ss. ; BO CE, 1976, p. 156, 498 ss. ; FF, 1976, III, p. 1551 s. Cf. aussi la presse des 28.4.76, 17 et 18.6.76, 14.9.76, 7.10.76, 14.12.76 ainsi que R. Pasche, in Bulletin d'information (DPF), 21.12.76.
[23] Cf. entre autres TA, 5, 8.1.76 ; NZ, 390, 14.12.76.
[24] Cf. FF, 1974, II, p. 1133 ss. et plus particulièrement p. 1151.