Année politique Suisse 1977 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
 
Centrales nucléaires
La controverse, survenue au moins dès la crise de l'énergie de 1973, au sujet des interférences entre l'approvisionnement en énergie; la politique économique et la protection de l'environnement, a renforcé la conviction des autorités compétentes sur le fait suivant: la construction de centrales nucléaires a suscité des problèmes politiques qui ne peuvent être résolus en appliquant la loi sur l'énergie atomique, qui date de 1959. Outre cet aspect toujours plus important, des raisons d'ordre juridique postulaient une revision de cette loi: en effet, à cause du peu de clarté de certaines de ses formulations, on en était arrivé au point que, dans leurs arrêts, des instances judiciaires fassent apparaître comme illégale ou incorrecte la pratique adoptée par les autorités compétentes en matière d'autorisation. Ainsi, les autorisations ne furent pas publiées avant le 19 décembre 1975, date de l'octroi du premier permis de construire partiel de Leibstadt; à l'occasion d'un jugement du tribunal de district de Rheinfelden, ce procédé fut considéré comme contraire aux dispositions de la loi sur la procédure administrative. D'autre part, le Tribunal fédéral a déclaré, dans un arrêt concernant la centrale nucléaire de Verbois, que la loi sur l'énergie atomique ne saurait primer la souveraineté cantonale en matière d'aménagement du territoire et de protection des eaux. Afin d'éliminer au plus tôt ces inconvénients politiques et juridiques, le Conseil fédéral s'est décidé à proposer au parlement l'adoption d'un arrêté de portée générale complétant la loi sur l'énergie atomique. On empêchera ainsi le maintien, jusqu'à l'achèvement de la revision totale de la loi sur l'énergie atomique — c'est-à-dire jusqu'au début des années 80 au plus tôt — d'une pratique désuète en matière d'octroi d'autorisations [11].
Une des modifications essentielles de ce projet d'arrêté fédéral, c'est le remplacement du permis d'implantation par une autorisation générale. L'octroi de celle-ci devra dépendre d'une concordance entre l'augmentation de la production de courant et les besoins effectifs. En outre, subsiste l'exigence du respect des normes de sécurité. Le Conseil fédéral accordera désormais les autorisations et non plus le Département des transports et communications et de l'énergie. En matière de clause du besoin, le gouvernement tiendra dûment compte, dans l'examen des requêtes, de la substitution progressive des hydrocarbures liquides par l'électricité. Par rapport à la loi existante, la consultation des milieux intéressés doit être accrue et garantie par une formulation claire et nette. Chaque citoyen concerné, mais aussi le canton et les communes sur le territoire desquelles la centrale sera implantée pourront faire opposition à la demande d'autorisation ainsi qu'aux préavis des experts désignés par le Conseil fédéral. La réglementation transitoire prévoit que la clause du besoin sera encore applicable aux projets pour lesquels un permis d'implantation est déjà accordé, mais qui n'ont pas encore obtenu l'autorisation de construire. Les projets de Graben, Kaiseraugst et Verbois tomberaient sous le coup de ces dispositions. Mais, outre les centrales de Beznau et Mühleberg déjà en service, les installations en cours à Gösgen et Leibstadt ne seraient pas touchées par cette réglementation [12].
A sa publication, ce projet d'arrêté fédéral complémentaire suscita un écho largement favorable. On a notamment reconnu que, maintenant, la législation cherche enfin à tenir compte du fait que la construction de centrales nucléaires constitue une affaire politique de première importance. Mais il serait erroné d'attendre d'une revision de la loi sur l'énergie atomique un apaisement notable des divergences sur l'utilisation de l'énergie nucléaire. Certes une meilleure transparénce du processus réglant l'octroi des autorisations permettrait de dissiper quelque peu la méfiance réciproque entre adversaires de ces centrales et autorités exécutives. Mais, par ailleurs, la nouvelle réglementation apportera de nouvelles occasions de conflits, puisque sa définition du besoin reste très générale et qu'elle ne résoud pas la question des indemnisations pour les centrales qui sont au bénéfice d'un permis d'implantation et qui ne pourraient pas apporter la preuve qu'elles répondent à un besoin [13]. Au cours de la procédure de consultation qui a précédé la publication du message et du projet, le parti radical, le Vorort et l'Union suisse des arts et métiers se sont prononcés contre la clause du besoin, qu'ils considèrent comme un moyen d'action aux mains des pouvoirs publics pour diriger l'économie. Les producteurs d'électricité la jugent superflue, estimant qu'ils sont en mesure d'évaluer les besoins actuels et futurs au moins aussi bien que les autorités politiques. La procédure d'autorisation et d'opposition, telle qu'elle est prévue dans ce projet, recueille une approbation générale. Toutefois, le PSS, l'AdI, l'Union syndicale suisse et la Ligue suisse pour la protection de la nature préféreraient un système de concession, qui laisserait une marge de manoeuvre plus grande aux autorités compétentes en matière d'autorisation. Ces mêmes milieux, ainsi que l'Union démocratique du centre, se sont opposés à la désignation du Conseil fédéral comme autorité de décision, car ils estiment que l'Assemblée fédérale, plus représentative de l'opinion publique, lui serait préférable. Le conseiller fédéral Ritschard avança aussi cet argument. Les producteurs d'électricité (qui pensent déjà aux actions en indemnisation), diverses associations économiques et le PRD ont violemment protesté contre la réglementation transitoire prévue qui exige un examen de la clause du besoin pour les trois centrales de Graben, Kaiseraugst et Verbois [14]. Ce projet de complément à la loi sur l'énergie atomique ne modifie pas les dispositions concernant les assurances que doivent souscrire les constructeurs de centrales nucléaires. Cependant, en vertu de ses attributions, le Conseil fédéral a décidé d'élever la couverture en responsabilité civile de 40 à 200 millions de francs, donnant ainsi suite à une motion de Doris Morf (ps, ZH), adoptée l'année précédente [15].
En même temps que son projet d'arrêté fédéral complémentaire à la loi sur l'énergie atomique, le Conseil fédéral présenta son message relatif à l'initiative populaire déposée en 1976 et qui s'intitule: «pour la sauvegarde des droits populaires et de la sécurité lors de la construction et de l'exploitation d'installations atomiques». Le Conseil fédéral rejette cette initiative dont le principal défaut réside, à ses yeux, dans le mode de votation prévu. En effet, un tel système aurait pour conséquence de faire dépendre l'octroi de la concession par l'Assemblée fédérale du résultat de scrutins régionaux. Une autre grave lacune tient à sa formulation qui, en lieu et place de l'approbation par la majorité des votants, prévoit une adoption par les citoyens actifs. Selon le Conseil fédéral, mais à l'encontre des explications des auteurs de l'initiative, cette expression désigne la majorité des citoyens actifs, c'est-à-dire inscrits. En outre, dans son message, le gouvernement est d'avis que la réglementation de la responsabilité civile, telle qu'elle est prévue dans l'ini tiative, est irréaliste, puisque la couverture en responsabilité causale devrait être illimitée et que les prétentions en dommages et intérêts ne devraient s'éteindre que par prescriptions à 90 ans. L'exécutif est convaincu que les problèmes politiques soulevés par la construction des centrales nucléaires peuvent être résolus, de manière appropriée et équitable, actuellement par la revision partielle de la loi sur l'énergie atomique et, plus tard, par la revision totale de cette loi. C'est pourquoi il recommande au parlement et au peuple de rejeter cette initiative et renonce à présenter un contre-projet [16].
C'est avec une insistance renouvelée que certains ont continué à réclamer une interruption de quatre ans dans la construction des centrales nucléaires. Les promoteurs de cette revendication (notamment le PSS, les organisations de protection de la nature et de l'environnement ainsi que le Grand Conseil genevois) ont présenté ce moratoire comme un temps de réflexion indispensable pour clarifier les questions techniques et politiques controversées. Quant aux promoteurs des centrales nucléaires qui ont déjà investi des sommes considérables dans leurs projets, il va de soi que ce moratoire ne leur plaît guère, car ils redoutent non seulement des pertes financières consécutives à un arrêt des travaux, mais encore un handicap irrémédiable ou presque pour notre technologie nucléaire [17].
Bien que la réglementation de l'utilisation de l'énergie atomique soit, en vertu de l'article 25quinquies de la Constitution fédérale, de la compétence de la Confédération, diverses autorités cantonales ont dû traiter des initiatives populaires qui visaient à obliger les gouvernements cantonaux à mener une politique active pour empêcher l'installation de centrales nucléaires sur le territoire cantonal ou dans les environs (BS, BL, ZH, SH) ou encore qui voulaient introduire le référendum obligatoire concernant les prises de position du gouvernement cantonal en la matière (NE). Dans les cantons de Bâle-Campagne et de Zurich, l'exécutif propose de déclarer l'initiative irrecevable; à Schaffhouse, il a recommandé son rejet au Grand Conseil; à Neuchâtel, le parlement cantonal a déclaré que l'initiative était incompatible avec la Constitution cantonale [18]. Puisque le Tribunal fédéral a refusé d'entrer en matière sur les recours formés contre l'initiative populaire de Bâle-Ville, pour la première fois en Suisse une initiative dite atomique a été soumise au peuple dans cette région particulièrement sensibilisée aux problèmes posés par l'énergie nucléaire. L'initiative était soutenue par tous les partis, à l'exception des radicaux et des libéraux — qui avaient laissé la liberté de vote — et elle fut acceptée très nettement par 46 633 oui contre 14 816 non [19].
Il y eut l'année dernière à nouveau des démonstrations et des manifestations contre les centrales nucléaires en construction ou projetées. A ces occasions, le but avoué des opposants, qui jusqu'alors se recrutaient surtout dans la région bâloise, fut d'étendre leur mouvement en direction du Plateau suisse alémanique. Ces démonstrations eurent donc lieu à Berne, Graben et surtout dans les environs de la centrale de Gösgen (SO) qui est en voie d'achèvement. Là des heurts violents mirent aux prises policiers et manifestants, ceux-ci cherchant à occuper les voies d'accès à la centrale [20]. Il est difficile de savoir dans quelle mesure ces événements ont contribué à augmenter le nombre des adversaires de l'énergie atomique au sein de la population suisse. Cependant, Isopublic a déterminé dans son sondage d'opinion annuel une augmentation du pourcentage des adversaires, qui atteint 40% contre 36% en 1976, ainsi qu'une diminution des partisans qui reculent à 51% (56). Dans la région la plus touchée par la centrale de Gösgen, la population ne s'est guère laissé influencer: 72% des personnes interrogées se sont prononcées, même après les manifestations, en faveur de la mise en exploitation [21]. A Leibstadt, les travaux ont été poursuivis sans perturbation; le DFTCE a octroyé la seconde autorisation de construire et n'a pas accordé d'effet suspensif aux oppositions, comme ce fut déjà le cas lors de l'octroi du permis de construire partiel [22]. Dans le canton de Berne, la critique a porté non seulement sur le projet de centrale de Graben, établi par les Forces motrices bernoises (FMB), mais aussi sur leur politique commerciale, jugée parfois trop agressive. Une motion visant à permettre une participation active du Grand Conseil à la politique des FMB, dont l'actionnaire principal est le canton de Berne, a été transformée en postulat. A Genève, c'est moins le projet de Verbois, guère réalisable dans un proche avenir, qui donna lieu à des protestations, que la construction prévue d'un surrégénérateur rapide à Creys-Malville dans le voisinage français. Comme l'année précédente, le Grand Conseil genevois vota une motion qui charge le gouvernement cantonal d'exiger du Conseil fédéral une intervention diplomatique demandant l'arrêt des travaux. Lors de l'examen de la première des deux requêtes genevoises, le Conseil fédéral n'a pas pu retenir la mise en danger de la population frontalière et c'est pourquoi il s'est refusé à intervenir auprès des autorités françaises [23].
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Déchets radioactifs
L'élimination des déchets radioactifs se révèle être un problème toujours plus crucial de l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire. Certes les représentants de l'industrie atomique insistent sur le fait qu'une élimination sans danger est techniquement possible; pourtant, un centre de dépôt définitif pour les déchets hautement radioactifs n'existe, pour le moment, nulle part. En cherchant, dans notre pays, des formations géologiques qui, à certaines conditions, se prêteraient à l'installation de dépôts, la société CEDRA n'a réalisé aucun progrès. Cela est dû, en premier lieu, aux protestations des habitants contre les sondages effectués dans les endroits qui pourraient éventuellement convenir. Le Conseil fédéral a tenu compte des grandes difficultés rencontrées par la CEDRA puisqu'il a prévu dans le projet de complément à la loi sur l'énergie atomique de lui conférer, au besoin, un droit d'expropriation. Le projet consistant à installer dans les cavernes de la centrale nucléaire expérimentale de Lucens (VD) — actuellement hors service — un dépôt d'entreposage a suscité de vives oppositions politiques. Lors d'une consultation locale, 90% environ des votants se sont prononcés contre ce projets [24].
 
[11] APS, 1976, p. 94. Message à l'appui d'un projet d'arrêté concernant la loi sur l'énergie atomique (FF, 1977, Ill, p. 321 ss.). Incohérence juridique: JdG, 70, 24.3.77; Bund, 72, 26.3.77 (Tribunal fédéral). BaZ, 276, 8.11.77 (Tribunal du district de Rheinfelden). Cf. aussi Bla Bk, 128, 22.8.77; Bund, 223, 23.9.77; M. Schubarth, Zur Rechtslage im Atomkraftwerkbau, Basel 1977.
[12] FF, 1977, III, p. 367 ss. et 383 ss.
[13] Cf. la presse du 28.8.77; NZZ (sda), 199, 26.8.77.
[14] Procédure de consultation: FF, 1977, III, p. 366 ss. PRD: FDP-Information, 1977, no 2, p. 14. Vorort: RFS, 10, 7.3.77. Industrie électrique: NZZ, 20, 2.5.77; SAZ, 72/1977, p. 215 ss. PSS: SP-Information, 5, 10.3.77; Adi: Ring, 2, 25.4.77. UDC: SVP-Bulletin, 1977, no 2. USS: Gewerkschaftliche Rundschau, 69/1977, p. 52 ss. CF Ritschard in Documenta, 1977, no 3, p. 14.
[15] RO, 1977, p. 1424; APS, 1976, p. 94. Cf aussi P. Graf, .Atomfront, Basel 1977, p. 30 ss.
[16] Message du CF: FF, 1977, III, p. 387 ss. Sur l'initiative cf. également APS, 1975, p. 103 et APS, 1976, p. 93 s.
[17] PSS: SP-lnformation, 13, 30.6.77. Protection de l'environnement: 24 Heures (ats), 96, 26.4.77. Grand Conseil de Genève: 24 Heures, 72, 26.3.77. En outre, les opposants au nucléaire ont déposé une pétition, recoutverte de 91 315 signatures, exigeant un arret des constructions (TG, 194, 24.8.77; cf. aussi APS, 1975, p. 103). Industrie électrique: RFS, 39, 26.7.77; BaZ, 62, 2.4.77; LNN, 264, 11.10.77.
[18] Bâle-Campagne: BaZ, 165, 19.7.77. Zurich: TA, 47, 25.2.77. Schaffhouse: Ldb, 71, 26.3.77. Neuchâtel: VO, 125, 11.6.77; Lib., 217, 21.6.77. Voir aussi APS, 1975, p. 161 s.; APS 1976, p. 94 et 161 s., ainsi que infra, part. II, 6a.
[19] Rejet de la plainte: NZ, 26. 25.1.77. Votation: BaZ, 99, 101, 105, 110, 112, 120, 125, 129, 130, 12.5-14.6.77. Cf. aussi APS, 1976, p. 94.
[20] Objectifs des opposants aux centrales nucléaires: Zeitdienst, 27, 8.7.77; A. Froidevaux, «Eine Bilanz nach politischen Kriterien», in Focus, 1977, no 89, p. 37 s. Manifestations: Marche de Pentecôte à travers les cantons d'Argovie et de Soleure (presse du 30./31.5.77); Berne et Graben (SZ, 199, 29.8.77; TG, 198, 29.8.77); Gösgen (presse du 27.6.77 et du 4.7.77). Sur la mise à disposition des contingents policiers par les cantons ct supra, part. I, 1b (öffentliche Ordnung).
[21] NZZ, 283, 2.12.77 (Suisse); BaZ (ddp), 203, 26.8.88 (région de Gösgen).
[22] FF, 1977, I, p. 1589 s.; TA, 209, 8.9.77; APS, 1976, p. 95.
[23] Berne: TW, 216, 15.9.77; 254, 29.10.77; 270, 17.11.77; Bund, 270, 17.11.77; cf. aussi Oberländer Dokumentation: Abbau der Volksrechte am Beispiel der BKW, Interlaken 1977. Genève: APS, 1976, p. 95; TG, 248, 27.10.77; JdG, 278, 28.11.77; BO CN, 1977, p. 397 ss.; Délib. Ass. féd., 1977, 1V, p. 22.
[24] Déchets radioactifs: NZZ, 141, 18.6.77; 272, 19.11.77; FF, 1977, Ill, p. 314 ss. et 354; CF Ritschard in Documenta, 1977, no 3, p. 13 et in BO CN, 1977, p. 1365 s.; C. Zangger, «La Suisse et l'énergie nucléaire», in Bulletin d'information (DPF), 14.11.77. Voir également entre autres: K. Kreuzer, Radioaktive Abfalle, Basel 1976, pour les opposants et P. Scholl, «Kernkraftwerke: Entsorgung und Demokratie»; in Elektrizitätsverwertung, 52/1977, p. 253 ss. pour les partisans de l'énergie nucléaire. Lucens: 24 Heures, 214, 14.9.77; VO, 265, 28.11.77; TLM, 341, 7.12.77. Sur les résistances politiques aux sondages de la CEDRA cf. APS, 1976, p. 95.