Année politique Suisse 1977 : Politique sociale / Assurances sociales
 
Prévoyance professionnelle
Les discussions à propos de la prévoyance professionnelle se sont poursuivies avec une vigueur constante. Le projet de loi de janvier 1976 a fait l'objet de critiques quelquefois acerbes, combinant souvent leurs arguments [27]. Une première série de remarques, se voulant plus techniques que politiques, met en doute la souplesse du système prévu, qui ne pourrait réagir positivement sur le développement économique général [28]. Les milieux proches de l'ancien conseiller national radical A. C. Brunner contestent le projet de manière beaucoup plus incisive: pour eux, le financement de l'assurance, basé principalement sur le principe de la capitalisation, est trop onéreux; il convient donc de réduire le taux de capitalisation au profit de la répartition des dépenses. En outre, les dérogations accordées aux caisses de pension du secteur public (capital de couverture moins élevé) leur donneraient un avantage injustifié sur celles du secteur privé. Enfin, la mise en place d'une fondation responsable de la péréquation des charges de la génération d'entrée pourrait entraîner le développement d'un monstre financier [29]. Si les deux derniers points de cette critique furent peu pris en considération, le premier trouva non seulement l'assentiment des arts et métiers [30] mais également, quoique dans une mesure restreinte, celui de la commission du Conseil national, en accord avec le point de vue syndical et contre l'avis des organisations patronales [31]. La troisième critique provient de l'extrême-gauche; elle considère que le deuxième pilier, par son financement non solidaire, est défavorable aux travailleurs, qu'en sus le projet ne remplit pas certaines prestations sociales et qu'enfin le tout risque de n'être qu'une gigantesque affaire pour les banques et les assurances privées [32]. L'ampleur du débat et l'importance de l'objet font que l'introduction de la prévoyance professionnelle constitue un événement majeur de la politique sociale de ces dernières années.
Les délibérations du Conseil national, au début d'octobre, allaient cependant suivre le même déroulement curieux que lors de la 9e révision de l'AVS, une majorité de conseillers appuyant systématiquement les décisions de la majorité de la commission préparatoire [33]. Le projet de cette dernière, auquel s'est rallié le Conseil fédéral, ne compte pas moins de 98 articles. Souvent qualifié de monument juridique et actuariel, il est également l'expression d'un équilibre politico-social obtenu à la suite des nombreuses sessions de la commission. Cela expliquerait le peu d'audace de la majorité de la Chambre. Les tentatives, malheureuses, de modification n'ont pas toutes été inspirées par des préoccupations politiques identiques. L'entrée en matière fut refusée par les indépendants, au nom de la protection des caisses de pension actuelles, alors que les républicains faisaient de même par souci de préservation des classes moyennes; les multiples amendements du groupe communiste visaient clairement à donner un tour plus social à la loi, voire à la transformer en une deuxième AVS. Le rejet des propositions du radical bernois Ammann [34], craignant des frais trop élevés lors de l'intégration des petites caisses, et de celles du socialiste Müller (BE), demandant une extension du salaire coordonné (salaire assuré servant de base au calcul des prestations et des cotisations), était moins attendu. Même une coalition féminine ne put faire admettre au plénum son refus de voir la femme mariée cessant son activité pouvoir disposer de la prestation de libre-passage, possibilité qualifiée d'obstacle à une réinsertion professionnelle future [35]. Ce n'est toutefois que par dix voix de majorité que le Conseil national décida, comme sa commission, mais à l'encontre du projet original de l'exécutif, de conserver la compétence pour modifier les buts de l'assurance lors d'une évolution économique et démographique extraordinaire. Au vote sur l'ensemble, le groupe du PdT et du PSA, rejoint par les socialistes Gabrielle Nanchen (VS) et Gassmann (BE), insatisfait s'abstenait, alors qu'indépendants et républicains maintenaient leur oppositiont [36].
 
[27] Cf. APS, 1976, p. 132 s. Commentaires du projet de loi: voir CF Hürlimann, « Bundesgesetz über die berufliche Alters- , Hinterlassenen- und Invalidenvorsorge», in Documenta, 1977, no 6, p. 41 ss.
[28] Cf. J.-J. Schwartz, «Gesamtwirtschaftliche Probleme der Einführung des Obligatoriums der 'zweiten Säule'» in Schweiz. Zeitschrift für Sozialversicherung, 21/1977, p. 199 ss. ainsi que NZZ, 280, 29.11.77; 282, 1.12.77 et JdG, 229, 1.10.77.
[29] Voir les articles d'A. C. Brunner in NZZ, 17, 21.1.77 ; 150, 29.6.77 ; 196, 23.8.77 ; Ww. 6, 9.2.77 ainsi que BaZ, 152, 6.7.77; TA, 207, 6.9.77. Cf. également G. de Weck, «Sauvegarder le deuxième pilier», in Revue économique et sociale, 35/1977, p. 191 ss.
[30] Cf. l'article de M. Kamber, vice-président de l'USAM, «Sachliche und unsachliche Kritik an der beruflichen Vorsorge », in NZZ, 131, 7.6.77 et celui de O. Fischer, directeur de l'USAM, «2e pilier: les problèmes de la capitalisation», in 24 Heures, 240, 15.10.77.
[31] La commission avait accédé, début juin, aux souhaits de la sous-commission chargée du financement, après l'audition de A. C. Brunner, en réduisant le capital de couverture prévu pour l'an 2000 de 280 à 200 milliards de francs (LNN, 17, 21.1.77; TA, 207, 6.9.77). Point de vue syndical: gk, 31, 22.9.77. Patronat: RFS, 21, 24.5.77; SAZ, 72/1977, p. 451 ss.
[32] VO,11–19,15.1.77–25.1.77;222,6.10.77;223,7.10.77;225,10.10.77; Bresche, 87,26.2.77; 99,26.9.77; Zeitdienst, 31/32, 5.8.77. Voir également: J. Steiger, Zweite Säule: Sozialwerk oder Geschäft? Zürich 1977.
[33] Délibérations du CN: BO CN, 1977, p. 1252 ss., 1292 ss., 1326 et 1339 ss.
[34] Voir également son article «Wirtschaftlich tragbar?» in Bund 236, 8.10.77 et la réponse du président de la commission A. Muheim (ps, LU) in Bund 250, 25.10.77.
[35] Cette coalition était emmenée par Hedi Lang (ps, ZH), Gabrielle Nanchen (ps, VS), Doris Mort (ps, ZH), Monique Bauer-Lagier (lib., GE) et Gertrud Spiess (pdc, BS). Elle reprenait une proposition également défendue par la commission féminine de l’USS (FA, 221, 22.9.77).
[36] JdG, 234, 7.10.77; 24 Heures, 233, 7.10.77.