Année politique Suisse 1977 : Politique sociale / Groupes sociaux
 
Population étrangère
Conséquence notable de la récession, plus de 200 000 travailleurs étrangers ont quitté notre pays en l'espace de trois ans [1]; par là, les problèmes de la politique à l'égard des étrangers, sans pour autant être résolus, ont perdu une bonne partie de leur acuité. Moins virulente, la controverse ne s'est toutefois pas éteinte. Début mars, le peuple s'est prononcé négativement sur les initiatives des républicains (stabilisation de la population étrangère) et de l'AN (limitation des 'naturalisations), appelées également 4e et 5e initiatives xénophobes [2]. La campagne précédant la votation n'atteignit jamais l'ampleur et l'intensité de celles des initiatives antérieures [3]; la lassitude y fut même utilisée comme argument en faveur du rejet [4], non sans succès, semble-t-il, puisque certains commentateurs relevèrent le peu d'écho rencontré par les orateurs de la nouvelle droite [5]. La sauvegarde du caractère national, de la spécificité des institutions et la lutte contre les excès du développement économique constituèrent les arguments des partisans de J. Schwarzenbach (mna, ZH) et de V. Oehen (an, BE) [6]. L'extrême-droite s'est ainsi trouvée confrontée à la totalité des forces politiques et économiques organisées du pays dont la réplique, à l'image de celle du Conseil fédéral, niant les relations de causes à effets établies par les initiateurs, mit en avant l'aspect inhumain et irréaliste des mesures proposées [7]. Les organisations du mouvement ouvrier soulignèrent, pour leur part, le caractère diviseur et anti-ouvrier des initiatives [8]. En marge de cette campagne, on a tenté d'analyser le discours xénophobe et son articulation [9], ainsi que les problèmes posés par l'intégration des étrangers [10]. Le résultat de la consultation populaire fut accueilli avec satisfaction par la presse étrangère [11], cependant que J. Schwarzenbach et son mouvement, le MNA, en concluaient que la lutte au niveau constitutionnel contre l'emprise étrangère était terminée. L'AN, tenant compte de ce climat peu propice; décidait de ne pas déposer l'initiative «Pour la protection des travailleurs suisses» [12]. Sensible à la présence et aux regards de l'étranger, l'opinion nationale s'est émue des propos d'une personnalité gouvernementale italienne critiquant la politique d'immigration de la Suisse [13].
Mis en consultation en 1976 déjà, l'avant-projet de loi sur l'entrée, la sortie, le séjour et l'établissement des étrangers (LESSE) a reçu l'approbation générale des partis gouvernementaux, qui, toutefois, s'opposent sur certains points particuliers. L'abolition du statut de saisonnier — maintenu dans l'avant-projet — est réclamée par le PSS, alors que les démocrates-chrétiens lui préféreraient une réglementation plus souple, spécialement en ce qui concerne la famille du travailleur; l'UDC et le PRD en défendent l'utilité et la nécessité économiques. Ce conflit d'objectifs entre les besoins de l'économie et un accueil plus humanitaire, doublé d'une politique d'intégration effective, a également déterminé les nombreuses prises de position des organisations consultées. Outre le statut de saisonnier, les points de désaccord les plus évidents sont les possibilités d'activité politique prévues pour les étrangers et la répartitión des compétences respectives entre le juge et l'administration lors d'exclusion. Globalement, trois types de positions semblent se dessiner: premièrement celle des partis xénophobes, pour qui la LESSE ne va pas assez loin en matière de réduction de la population étrangère et ne corrige qu'insuffisamment les erreurs passées. Deuxièmement, un groupe réunissant, de manière hétérogène cependant, l'UDC, le PRD, les associations patronales et la majorité des gouvernements cantonaux, donne un poids décisif à l'aspect économique de la question, tout en considérant que, dans ce cadre, l'avant-projet permet d'améliorer la situation des immigrés. Enfin, une troisième position rassemble, avec des divergences toutefois, le PS, l’Adi, le PDC, la CSC, les Eglises et bon nombre d'organisations s'occupant activement du problème des immigrés. Ils cherchent, par diverses propositions, à élargir la portée humanitaire et sociale de la LESSE et donc à restreindre celle du statut de saisonnier. Tout en reconnaissant généralement la nécessité d'une réduction de la population étrangère, ils aimeraient en faciliter l'intégration. On le voit, les avis sont partagés; la tâche du DFJP n'en est pas facilitée et les risques d'un référendum futur ne sont pas négligeables [14].
Le statut de saisonnier a également été évoqué à d'autres occasions. Ainsi, en mars, lors du débat du Conseil national sur le rapport établi par l'exécutif au sujet de la 60e session de la Conférence internationale du Travail, le tessinois Carobbio (psa) a protesté contre le refus du gouvernement de souscrire à la convention no 143, dont certaines clauses entraient en contradiction avec ce statut [15]. La ratification éventuelle de la convention du Conseil de l'Europe sur les travailleurs migrants poserait à la Suisse des difficultés du même ordre, en particulier à propos du regroupement familial [16].
La diminution de l'activité proprement xénophobe des partis de la nouvelle droite ne signifie pas l'arrêt de tout recours populaire concernant la politique d'immigration et d'intégration. En effet, le 20 octobre, l'initiative «Etre solidaire» a été déposée [17]. Elaborée en 1973 par le mouvement des travailleurs catholiques [18], lancée en 1974 par une communauté de travail ne comptant pas moins de 33 organisations, dont l'Adi, seul groupe d'audience nationale, et soutenue aussi bien par le PDC et la CSC que par le PdT et les groupes d'extrême-gauche, elle a cependant mis trois ans pour recueillir le nombre de signatures nécessaires. A cela plusieurs raisons, selon les initiateurs, mais avant tout le soutien plus tactique — face aux mouvements xénophobes — qu'effectif apporté par certains et la concurrence de la LESSE. L'initiative ne remet pas en cause la nécessité d'une stabilisation, puisqu'elle prévoit que le nombre d'étrangers pouvant entrer en Suisse pour y exercer une activité lucrative ne doit pas être supérieur à celui des étrangers actifs ayant quitté le pays l'année précédente. Elle demande que, dans un délai de 5 ans, le statut de saisonnier soit aboli. En outre, les étrangers doivent pouvoir bénéficier d'un certain nombre de droits (liberté d'expression, de réunion, d'association et d'établissement, libre choix de l'employeur et du lieu de travail). D'autre part, elle limite les possibilités d'expulsion et les compétences de l'administration à ce propos. Enfin, l'intégration doit être encouragée et les étrangers doivent être consultés sur les questions qui les concernent [19].
Le 19 octobre, le Conseil fédéral a modifié l'ordonnance limitant le nombre des étrangers qui exercent une activité lucrative. Malgré les demandes préalables et les critiques de certaines.branches économiques et de différents cantons [20], les remaniements n'ont été que minimes [21].
 
[1] Cf. Commission fédérale consultative pour le problème des étrangers. «Conséquences de la récession sur les étrangers», in La Vie économique, 50/1977, p. 557 ss. ainsi que supra, part. I, 4a (Introduction).
[2] Avec une participation de 45,2 %, la 4e initiative a été rejetée par 1 182 820 voix contre 495 904 voix, la 5e par 1 116 188 voix contre 568 867 voix (Annuaire statistique de la Suisse, 1977, p. 563 s.).
[3] Cf. APS, 1974, p. 115 ss. et 1970, p. 130 s.
[4] Voir les placards publiés par le Comité national contre les initiatives, dans la presse du 26.2.77 au 12.3.77.
[5] TLM, 51, 20.2.77; 24 Heures, 43, 21.2.77; BaZ, 25, 24.2.77; LNN, 49, 28.2.77.
[6] Der Republikaner, 1, 14.1.77; 2, 4.2.77 ; 3, 25.2.77 ; Volk + Heimat, no 2, janvier 1977 ; no spécial, février 1977; no 5, mars 1977; no 6, mars 1977; Vat., 39, 16.2.77; BaZ, 26, 25.2.77; 24 Heures, 52, 3.3.77; TLM, 64, 5.3.77.
[7] Cf. p. ex. Ldb, 58, 11.3.77; TLM, 70, 11.3.77; SAZ, 72/1977, p. 127, 147 et 185, ainsi que E. Schwarb, Fragwürdige Ausländerpolitik, Zürich 1977 (Stimmen zur Staats- und Wirtschaftspolitik, 61).
[8] Vorwärts, 10, 10.3.77, no spécial, mars 1977; TW, 59, 11.3.77; Revue syndicale, 69/1977, p. 35 ss.
[9] Voir V. Bory-Lugon, Immigration et xénophobie dans la société suisse, Lausanne 1977 ; Komitee Schweiz 80, Xenophobie und Nicht-Xenophobie, Zürich 1977.
[10] Cf. K. Ley et S. Augustoni, Die politische Integration von ausländischen Arbeitnehmern, Zürich 1977; Komitee Schweiz 80, Was halten Herr und Frau Schweizer von der Einbürgerung? Zürich 1977; V. J. Willi, Denkanstösse zur Ausländerfrage, Zürich 1977. Sur les problèmes particuliers à la deuxième génération (étrangers nés ou scolarisés en Suisse), voir: NZZ, 131, 7.6.77; 264, 10.11.77; TA, 130, 7.6.77; BaZ, 159, 13.7.77; 278, 10.11.77; Vorwärts, 37, 15.9.77.
[11] Revue de la presse étrangère in TG, 61,14.3.77 ; LNN, 62,15.3.77 ; TA, 62, 15.3.77 ; 24 Heures, 62, 153.77 ; Bund, 53, 16.3.77; NZZ, 63, 16.3.77.
[12] MNA: JdG (ats), 61, 14.3.77; Der Republikaner, 4, 18.3.77. AN: TA, 73, 28.3.77; 24 Heures (ats), 73, 28.3.77. Initiative: cf. APS, 1975, p. 125; voir aussi infra, part. III a (äusserste Rechte).
[13] Le sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères italien F. Foschi avait laissé entendre, à tort, qu'il mettrait en accusation la Suisse à la Conférence de Belgrade: NZZ, 234, 6.10.77; 236, 8.10.77; 242, 15.10.77; 265, 11.11.77; JdG, 234, 7.10.77; TG, 231, 7.10.77. Une autre critique, plus radicale, a été publiée en Italie: D. Castelnuovo, Elvezia il tuo governo, Torino 1977, ainsi que 24 Heures, 79, 4.4.77; 80, 5.4.77; TW, 78, 2.4.77.
[14] TA, 2, 4.1.77; 156, 7.7.77; 159, 11.7.77; 162, 14.7.77; LNN, 6, 8.1.77; 175, 30.7.77; 305, 30.12.77; 24 Heures, 84, 12.4.77; 85, 13.4.77; 86, 14.4.77; 274, 24.11.77.
[15] BO CN, 1977, p.134 s. Cf. également APS, 1976, p. 120.
[16] JdG (ats), 163, 16.7.77; NZZ (sda), 180, 4.8.77.
[17] FF, 1977, III, p. 734. Cf. APS, 1976, p. 120.
[18] Cf. APS, 1973, p. 112.
[19] NZ, 28, 27.1.77 ; BaZ, 183, 6.8.77 ; 258, 21.10.77; LNN, 174,29.7.77;246,21.l0.77; Vat., 189, 16.8.77 ; JdG, 246, 21.10.77; TA, 246, 21.10.77; TLM, 294, 21.10.77; VO, 235, 21.10.77.
[20] Cf. NZZ (sda), 126, 1.6.77 (industrie textile); Bund, 178, 2.8.77 (industrie textile saint-galloise); LNN, 196, 24.8.77 (AG); NZZ (sda), 203, 31.8.77 (SG); Ostschw., 204, 1.9.77 (TG); TA, 203, 1.9.77 (SG, BE, GR); LNN, 231, 4.10.77 (restaurateurs zurichois).
[21] La nouvelle ordonnance modifie légèrement la clé de répartition des contingents cantonaux et prévoit deux nouveaux cas où il est possible d'accorder des autorisations sur le contingent fédéral (RO, 1977, p. 1873 ss.).