Année politique Suisse 1978 : Politique sociale / Groupes sociaux
 
Population étrangère
Le recul assez sensible du nombre de travailleurs étrangers séjournant dans notre pays a certainement contribué à àtténuer la tension qui régnait en matière de politique à l'égard des étrangers. Mais ce climat serein ne résoud en aucun cas les problèmes posés par la présence d'un contingent encore important de travailleurs immigrés sur notre territoire, d'autant plus qu'ils revêtent avant tout des aspects humains [1]. C'est pourquoi la commission consultative pour les étrangers (CFE) a émis plusieurs suggestions afin de favoriser l'intégration sociale de ces travailleurs étrangers [2]. L'accent a été surtout mis sur l'information, le perfectionnement de la formation professionnelle, la collaboration des étrangers au sein des commissions d'entreprises et le travail en commun des Suisses et des étrangers. D'autre part, le concept d'« intégration» doit être compris dans le sens d'accueil à l'intérieur de notre communauté nationale et insertion dans notre ordre social, ce qui n'implique pas l'abandon de ses propres valeurs culturelles et de la nationalité d'origine [3]. En marge de ces propos, un forum s'est ouvert sur la question épineuse de la deuxième génération d'immigrés. A cause de la lourdeur des procédures de naturalisation, quelques centaines dé milliers de jeunes étrangers, parfaitement assimilés au mode de vie helvétique, sont écartés de la Suisse sur les plans légal, professionnel et politique [4]. Ce problème fondamental avait déjà été soulevé, en 1976, par la CFE et la commission avait alors préconisé une naturalisation facilitée pour cette catégorie de personnes [5].
C'est au mois d'août que le chef du DFJP, K. Furgler et le directeur de la police fédérale des étrangers, G. Solari, ont rendu public le nouveau projet de loi sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE). Cette loi devrait se substituer à la loi fédérale de 1931, pour äutant que les Chambres lui donnent leur approbation. Mise en consultation en 1976, dans le cadre d'un avant-projet, elle n'a pas subi de profondes modifications par rapport au texte initial [6]. Même si cette loi arbore un visage plus séduisant avec pour point de mire un renforcement de la protection juridique des travailleurs étrangers, sur le fond, l'expression n'a quasiment pas changé. Le statut du travailleur immigré demeure en grande partie tributaire de contraintes économiques [7]. L'euphorie n'est donc pas de mise et cette loi risque de réveiller à nouveau les passions. Preuves en sont les divergences d'opinions qui ont alimenté les colonnes de nos quotidiens. Certains commentateurs ont réservé en effet un accueil très mitigé à ce projet. Ils ont notamment reproché aux pouvoirs publics d'avoir manqué d'audace en subordonnant les améliorations juridiques en faveur des travailleurs étrangers aux exigences impératives de l'économie [8]. D'autres par contre, plus nuancés, ont estimé que le gouvernement avait atteint le but qu'il s'était fixé, soit améliorer la condition des travailleurs immigrés, tout en maintenant la politique de stabilisation de la main-d'oeuvre étrangère [9]. Cependant, les critiques les plus acerbes sont venues des milieux proches du mouvement «Etre solidaire» et des organisations d'immigrés en Suisse. Sur le banc des accusés, le statut du saisonnier maintenu dans le projet. de loi. A ses côtés, les cinq catégories de permis susceptibles d'accentuer plus encore une véritable séparation entre ouvriers suisses et étrangers, voire entre étrangers eux-mêmes [10]. De plus, un peu partout en Suisse romande se sont créés des comités contre la loi fédérale. Leurs voeux sont de sensibiliser l'opinion publique sur le problème relatif aux étrangers et d'apporter leur soutien au mouvement «Etre solidaire» [11]. Pour sa part, l'Action nationale (AN) a précisé que le fait d'accorder une protection juridique accrue aux travailleurs immigrés risquerait de compliquer davantage encore la politique de stabilisation et de réduction de la population étrangère entreprise depuis quelques années par nos autorités [12].
Début novembre, une nouvelle ordonnance du Conseil fédéral limitant le nombre des étrangers exerçant une activité lucrative dans notre pays, est entrée en vigueur. Sur l'essentiel elle est demeurée pratiquement identique à celle promulguée deux années auparavant et modifiée en 1977 [13]. Et l'essentiel, c'est la stabilisation de la main-d'oeuvre étrangère [14]. Cette réglementation a déçu les représentants de plusieurs branches économiques, comme le textile et l'hôtellerie, dans la mesure où ceux-ci s'étaient faits les champions d'une libéralisation progressive du contingentement de la main-d'oeuvre étrangère [15].
Sur le plan international, la Suisse a entamé une série de pourparlers avec l'Italie, la France et l'Autriche afin de régler la question de l'indemnisation des travailleurs frontaliers au chômage. On sait que depuis 1977, les frontaliers exerçant une activité lucrative dans notre pays sont astreints à cotiser pour l'assurance-chômage. Toutefois, étant donné la difficulté d'effectuer des contrôles en cas d'exportation des prestations pour les chômeurs résidant à l'étranger mais ayant perdu leur poste de travail en Suisse, nos autorités se sont engagées à verser les deux tiers des cotisations perçues sur le salaire des frontaliers aux pays limitrophes concernés. Ces derniers auront ensuite pour tâche d'indemniser ces travailleurs [16].
 
[1] L'effectif des travailleurs étrangers exerçant une activité lucrative était de 663 384 à la fin août 1978 d'où une augmentation de 2% en regard de l'année précédente (650 225). Pour la première fois depuis 1973, il y a eu à nouveau progression d'une année à l'autre. C'est surtout l'accroissement du nombre de saisonniers (+ 24,6%) et des frontaliers (+ 7,7%), qui a modifié les parts respectives de l'effectif global de la main-d'oeuvre étrangère. Cf. La Vie économique, 51/1978, p. 307 s.; 52/1979, p. 91; 24 Heures, 175, 29.7.78.
[2] Il s'agit en réalité d'un rapport élaboré par un sous-comité de la CFE. Cf. ensemble de la presse 15.2.78.
[3] SAZ, 73/1978, p. 146 s.; JdG, 38, 15.2.78'; VO, 52, 7.3.78; Bund, 80, 7.4.78.
[4] Selon NZZ, 38, 15.2.78: leur nombre s'élevait, en avril 1978, à 350 000. Cf. aussi BaZ, 117, 2.5.78 ; 118, 3.5.78; BüZ, 47, 25.2.78; CdT, 72, 28.3.78; TW, 76, 4.4.78; Vat., 85, 13.4.78.
[5] TLM, 46, 15.2.78 ; cf. APS. 1976, p. 119 s.
[6] Cf. APS, 1976, p. 119 s.; 1977, p..120 s.
[7] FF, 1978, II, p. 165 ss. ; de même que JdG, 194, 21.8.78.
[8] TLM, 231, 19.8.78; Lib., 267, 20.8.78; Bund, 195, 22.8.78; VO, 224, 7.10.78; TG, 251, 27.10.78.
[9] NZZ, 197, 26.8.78; TW, 251, 26.10.78; Ww, 35, 30.8.78.
[10] TA; 192, 21.1.78; TG, 195,22.8.78; 251, 27.10.78; 24 Heures, 195,23.8.78; VO, 224, 7.10.78 ; BaZ, 267, 17.10.78; 278, 30.10.78.
[11] JdG, 149, 6.9.78; TLM, 180, 29.6.78.
[12] Cf. les déclarations de V. Oehen in Volk + Heimat, no 2, févr. 1978 et no 18, sept. 1978.
[13] Cf. APS, 1976, p. 121 s. et 1977, p. 122 s.
[14] RO, 1978, p. 1660 s. ; voir également BaZ, 177, 4.7.78; 276, 27.10.78 ; 24 Heures, 153, 4.7.78.
[15] TLM 15, 15.1.78; TA, 22, 27.1.78; RFS, 24, 13.6.78; 40, 3.10.78; NZZ, 166, 20.7.78.
[16] JdG, 167, 20.7.78; 24 Heures, 166, 20.7.78; VO, 171, 4.8.78.