Année politique Suisse 1978 : Enseignement, culture et médias / Enseignement et recherche
Hautes écoles
En avril déjà, le Conseil suisse de la science (CSS) a publié le «
Troisième rapport sur le développement des hautes écoles suisses». Cette étude, qui avait déjà été annoncée en 1972 dans le deuxième rapport sur le développement, doit servir à orienter la politique culturelle dans les années à venir. Elle tente d'appréhender les problèmes du développement des hautes écoles dans une conception globale de la société
[35]. Le CSS entend faciliter, en rapport avec le développement des universités— il faut compter créer 15 000 nouvelles places d'études dans les années prochaines — des solutions flexibles autant en ce qui touche la politique du personnel que la mise à disposition de nouvelles places d'études. L'ouverture des universités devrait être poursuivie en recourant davantage, pour la recherche et l'enseignement, à des forces extra-universitaires. Le rapport concerne les changements quantitatifs et surtout qualitatifs, qui sont nécessaires à une formation adaptée aux circonstances. L'efficience des études serait améliorée en développant l'activité de l'étudiant au sein de groupes de travail, permettant de multiplier les contacts entre professeurs et étudiants et de stimuler l'étude personnelle. Le CSS prévient l'objection selon laquelle les hautes écoles pourraient être trop grandes à partir de 1985 à cause de la chute des naissances, en prévoyant comme tâche future la formation générale des adultes
[36].
Un coup sensible au développement des hautes écoles a été porté par le
rejet de la loi sur l'aide aux hautes écoles et la recherche (LHR), le 28 mai. Les partisans de la LHR, approuvée par le parlement en 1977 et contestée par référendum
[37], ont souligné que la loi visait une meilleure coordination universitaire grâce à la Conférence des gouvernements, une répartition plus judicieuse des moyens financiers et techniques et tentait d'éviter le numerus clausus (NC). Pour les adversaires, la poursuite du développement des universités engendrerait des universitaires en abondance, voués au chômage; les universités à partir du milieu des années «80» disposeraient de capacités inutilisées vu la diminution du flux vers les hautes écoles; enfin la LHR permettrait à la Confédération d'obliger les cantons non universitaires à une participation financière
[38]. Malgré le soutien de tous les grands partis,
la LHR a échoué en votation populaire avec 43% de oui contre 57 % de non. Seuls les cantons de Bâle-Ville, Neuchâtel, Genève et du Tessin ont voté en faveur du projet. Parmi les opposants, à la tête desquels figuraient l'Union suisse des arts et métiers, les républicains et l'Action nationale, le conseiller national Otto Fischer (prd, BE) s'est signalé comme un adversaire farouche de la loi. Ses arguments ont surtout été d'ordre financier. Mais l'analyse du vote place en second rang les motivations de ce type. Le principal mobile des adversaires de la LHR fut la méfiance envers les universitaires. Un fossé profond s'est manifesté entre les étudiants, les universitaires et les citoyens des couches professionnelles supérieures d'un côté, et les votants sans formation scolaire supérieure, ouvriers et agriculteurs de l'autre côté. La loi a été plus fortement repoussée dans les cantons où les étudiants sont le moins nombreux proportionnellement. A côté du degré de formation, la région linguistique et l'âge des votants ont été deux autres critères déterminants: les Romands et les jeunes de 20 à 39 ans ont majoritairement soutenu la LHR
[39].
A la suite de cet échec la loi sur l'aide aux hautes écoles de 1968 reste en vigueur. Elle constitue la base pour attribuer aux universités cantonales la part des contributions fédérales aux frais d'exploitation. Le Conseil fédéral a interprété le résultat du 28 mai comme un appel aux économies et entend dorénavant refuser pratiquement toute promesse d'aide fédérale supplémentaire aux cantons universitaires. Il a proposé au parlement une troisième période de subventionnement s'étalant de 1978 à 1980, au cours de laquelle, seuls 2% de renchérissement s'ajouteront aux montants précédemment versés. Les Chambres ont accordé des crédits de 576 millions de francs pour les frais d'exploitation et de 310 millions de francs pour les frais d'investissement
[40].
Cette décision n'a pas réglé la
participation financière des cantons non universitaires. La Conférence universitaire suisse a présenté deux modèles, soit une solution de cartel entre cantons soit un système de contribution des cantons non universitaires selon le nombre de leurs étudiants. Les directeurs de l'instruction publique se sont exprimés fondamentalement en faveur de la première solution, qui coûterait annuellement au début 50 millions de francs au cartel des cantons. A cette occasion, ils soulignèrent qu'une aide financière permanente de la part des cantons non universitaires était indispensable, afin d'assurer les places d'études et d'éviter les mesures de contingentement
[41].
Le nouveau président du CSS, le professeur G. Huber, demande que l'engagement des moyens financiers soit lié à une certaine planification d'ensemble pour éviter que les universités ne se trouvent obligées de recourir à des mesures d'urgence
[42]. Bien que le nouveau directeur de l'instruction publique du canton de Berne, H.-L. Favre, ait qualifié le
NC d'antidémocratique et d'antisocial, des bases légales ont pourtant été préparées à Berne comme à Zurich, pour l'introduire en cas de nécessité
[43]. Diverses propositions exercent une pression supplémentaire sur les cantons non universitaires. Soit elles demandent que les étudiants venant de ces cantons aient à payer de plus fortes taxes qu'auparavant, ou proposent que le NC soit appliqué uniquement aux étudiants des cantons non universitaires qui ne fournissent aucune participation financière aux dépenses des universités
[44]. Les ayertissements en partie très clairs des cantons universitaires ont amené Argovie et Soleure à agir avec une étonnante rapidité: les Grands Conseils de ces cantons ont débattu assez vite des projets de loi sur les contributions à verser aux cantons universitaires pour la formation des médecins, projets qui ont été approuvés avant la fin de l'année par leurs citoyens respectifs
[45]. En février encore, les politiciens s'occupant de l'éducation se sont vus rappeler que le robinet des finances pouvait être facilement fermé dans les cantons non universitaires; les citoyens du canton de Schaffhouse ont rejeté, contre toute attente, une contribution de 200 000 francs à peine destinée à agrandir la capacité d'accueil de candidats dans les cliniques universitaires
[46].
La politique universitaire suisse a essuyé une autre déception:
les citoyens lucernois ont refusé — ce qui n'était pas tout à fait inattendu après le non à la LHR —
la création de l'université de Lucerne. Au cours du débat final, le Grand Conseil n'avait déjà manifesté qu'un tiède enthousiasme
[47]. Les efforts soutenus de la presse et des milieux économiques n'ont pas suffi à dissiper les réserves de la majorité. L'Alliance des indépendants et l'Action nationale ont particulièrement combattu le projet. Les opposants ont mis en garde les citoyens contre l'augmentation des impôts liée au projet financier pour la construction de l'université. Ils ont mené d'ailleurs une campagne classiquement partisane traitant la loi sur l'université d'ceuvre du PDC. Ils ont pu compter en outre sur le peu de compréhension manifestée par de larges couches envers l'université et la recherche. Les radicaux et socialistes enfin n'étaient pas unanimes à soutenir le projet
[48].
A l'aversion aux grands projets répond ci 'ou là la disponibilité pour de petites entreprises: grâce à la fondation d'une famille de Glaris les Chambres fédérales ont décidé la création d'un Institut de droit comparé sur l'emplacement de l'Université de Lausanne-Dorigny. Cette institution de droit public de la Confédération est autonome. Lors des débats, le conseiller fédéral Furgler a rompu une lance pour ce projet qui devrait permettre à la Suisse de rattraper un retard sensible en matière de droit comparé
[49]. Au Tessin, le gouvernement a soumis au Grand Conseil un avant-projet de Centro universitario della Svizzera italiana, comportant entre autres un institut d'études régionales. Une lutte opiniâtre a commencé à l'arrière-plan pour l'attribution du siège futur de cet institut
[50].
La question de
l'engagement politique des professeurs a donné lieu à de nouvelles discussions: au Dies academicus de Saint-Gall, le recteur A. Meier a défendu l'opinion qu'une activité politique très en vue, est à la longue à peine conciliable avec l'activité scientifique. Cette affirmation a été différemment interprétée: on s'est demandé si des professeurs politiquement actifs ont été directement visés ou si l'orateur visait les tentatives extra-universitaires de restriction de l'autonomie de l'université, lors de la nomination de professeurs par exemple
[51]. Le choix d'un professeur de philosophie à Berne a soulevé des critiques parce que le Conseil-exécutif, en retenant la proposition de la Faculté, a évincé celui que la Commission des candidatures avait placé en tête de liste : Hans Saner. Celui-ci s'était fait connaître par des déclarations peu conformistes. La non-élection politique d'un philosophe, et l'élection d'un Philosophe apolitique, selon l'expression d'Oskar Reck, a remis en mémoire des cas précédents d'éviction qui avaient provoqué des remous parmi les étudiants
[52]. D'autre part, le Tribunal fédéral a reconnu à un assistant de Fribourg, dont le contrat n'avait pas été prolongé en 1976, le droit à une rémunération entière pendant deux ans
[53].
Un arrêt du Tribunal fédéral a provisoirement coupé court à la dispute sur l'organisation des étudiants, qui avait tourné à la confusion à l'Université de Zurich. Le Conseil d'État zurichois avait sanctionné en mai, sur demande du Conseil de l'instruction publique, une modification de règlement remplaçant l'ancienne organisation obligatoire par une nouvelle organisation à adhésion volontaire, qui devait être neutre confessionnellement, sans liens privilégiés avec des partis politiques, et qui ne devait avoir aucun mandat politique. Cette nouvelle réglementation n'a trouvé appui qu'auprès de l'«Association des étudiants libéraux». Les organisations d'étudiants orientées à gauche avaient fondé, au printemps déjà, une association des étudiants de l'Université de Zurich (VSU), de droit privé. En provenance de ce milieu, une plainte de droit public adressée au Tribunal fédéral contre la nouvelle organisation des étudiants fit que les juges de Lausanne prononcèrent la dissolution de cette dernière. Depuis lors la VSU a pris sa relève et s'efforce d'assurer les différents services pour les étudiants
[54]. Au Grand Conseil bernois, une motion socialiste déposée en 1977, qui tendait à rétablir l'autonomie financière de l'Association des étudiants, a été repoussée. Des orateurs des partis bourgeois ont invoqué un arrêt du Tribunal fédéral qui fait de la neutralité politique et confessionnelle une condition préalable à l'affiliation obligatoire
[55].
Le Conseil fédéral a décidé, sur demande de la Conférence des directeurs de l'instruction publique, de réajuster la limite maximale annuelle des subventions fédérales destinées aux bourses d'études. Il a aussi chargé le DFI de lui soumettre des propositions pour l'harmonisation du droit fédéral sur les bourses
[56].
[35] Conseil suisse de la science, Troisième rapport sur le développement des hautes écoles suisses, Berne 1978. Cf. Politique de la science, 7/1978, p. 61 ss.; 177 ss. ainsi que APS, 1972, p. 132.
[36] NZZ, 9, 12. 1.78 ; 147, 28.6.78 ; TA, 80, 7.4.78 ; 147, 28.6.78 ; TG, 80, 7.4.78 ; 148, 28.6.78 ; cf. J. Werner, «Bildungspolitik und Ausbau der Hochschulen», in Schweizer Monatshefte, 58/1978, p.489 ss.
[37] Cf. APS, 1977, p. 143 s.
[38] Cf. «La nouvelle loi sur l'aide aux Hautes écoles et la recherche», in Civitas, 33/1977-78, p. 379-460 ainsi que APS, 1977, p. 143 s. Argumentation des tenants: LNN, 53, 4.3.78 (CF H. Hürlimann); 101, 2.5.78; 104, 6.5.78; VO, 94,2.5.78; NZZ, 102, 5.5.78; 106,10.5.78; Bund, 107,10.5.78; TG. 109,12.5.78; 114, 19.5.78;cf. R. Deppeler, «Das neue HFG — und die Studenten», in Studenten-Ring, no 19, avril 1978. Argumentation des adversaires: JdB, 76, 4.4.78; Volk+Heimat, no 7, avril 1978; NZZ, 106, 10.5.78; cf. O. Fischer, «Nein zum Hochschulförderungs- und Forschungsgesetz», in Civitas, 33/1977-78, p. 379 ss.
[39] Mots d'ordre: LNN, 114, 24.5.78; JdG, 120, 26.5.78. Résultat: Voir la presse du 29.5.78. Analyses: Vox, Analyses des votations fédérales, 28.5.78; Vat., 129, 7.6.78.
[40] BO CN, 1978, p. 1219 ss.; 1438; BO CE, 1978, p. 395 ss.; voir la presse du 6.7.78; cf. NZZ, 178, 4.8.78.
[41] Bund, 199, 26.8.78; NZZ (sda), 201, 31.8.78 ; TA, 219, 21.9.78; 76, 31.3.79.
[42] Cf. «Im Bereiche der Bildungspolitik die Demokratie abschaffen?», in TA, 208, 8.9.78.
[43] Numerus clausus: Das Konzept, 3, 15.3.78; TA, 105/106, 9/10.5.78; cf. BO CN, 1978, p. 1477, question ordinaire du CN H. Künzi (prd, ZH). Berne: TW, 258, 3.11.78; Bund, 261, 7.11.78; 284, 4.12.78 (H.-L. Favre). Zurich: Bulletin du Centre suisse de documentation en matière d'enseignement et d'éducation, 17/1978, no 66/67, p. 31 ss. ; NZZ, 218, 20.9.78 ; 221, 23.9.78 ; Tat, 218, 20.9.78 ; Zürcher Student, 14, 23.10.78 ; 20, 4.12.78 ; 28/29, 12.2.79.
[44] Berne: Bulletin du Centre suisse de documentation en matière d'enseignement et d'éducation, 17/1978, no 66/67, p. 34; Bund, 201, 29.8.78; 215, 14.9.78; Brückenbauer, 37, 15.9.78. Zurich: NZZ, 221, 23.9.78.
[45] Argovie : LNN, 85, 13.4.78 ; 234, 9.10.78 ; 242, 18.10.78 ; 274, 25.11.78 ; BT 239, 30.9.78 ; 284, 4.12.78 ; cf. infra, part. II, 6d. Soleure: SZ, 93, 22.4.78; 126, 3.6.78; 209, 9.9.78; 281, 4.12.78; 283, 6.12.78; cf. infra, part. II, 6d.
[46] NZZ, 48, 27.2.78; TA, 52, 3.3.78; 24 Heures, 54, 6.3.78; Ww, 12, 22.3.78.
[47] Résultats de la votation populaire : voir la presse du 10/11.7.78 ; cf. infra, part. II, 6d. Débat parlementaire: Vat., 53, 4.3.78; 55/56, 7/8.3.78; Zofinger Tagblatt, 59, 11.3.78; cf. APS, 1977, p. 145.
[48] Cf. E. Michel-Alder / W. Linder, «Doktorhüte aus Luzern?», in TAM, 24, 17.6.78. Débat public: LNN, 138/139, 17/19.6.78; NZZ, 144, 24.6.78; 155, 7.7.78; 24 Heures, 153/154, 4/5.7.78. Argumentation des adversaires: LNN, 135/136, 14/15.6.78. Argumentation des tenants: LNN, 6, 9.1.78; 121, 29.5.78; 126, 3.6.78; 131, 9.6.78; 150, 1.7,78; Vat., 69, 23.3.78; 85, 13.4.78; 89, 18.4.78; 115, 20.5.78; 150, 1.7.78 (CF H. Hürlimann).
[49] BO CN, 1978, p. 739 ss.; 1237, 1438; BO CE, 1978, p. 431 ss.; 530; TLM, 59, 28.2.78; NZZ, 134, 13.6.78 ; 24 Heures,.135, 13.6.78;223, 26.9.78.
[50] CdT. 87, 14.4.78; 112, 17.5.78; 115, 20.5.78; 222, 27.9.78; Bund, 105, 8.5.78; NZZ, 115, 22.5.78; cf. APS. 1977, p. 145.
[51] TA, 133, 12.6.78; Tat, 137, 16.6.78; LNN, 136, 15.9.78.
[52] Bund, 153,4.7.78;159,11.7.78; 193,19.8.78;8-10,11-13.1.79; 33, 9.2.79; TW, 155/156, 6/7.7.78; Ww, 28, 12.7.78; 3, 17.1.79; Berner Student, 1, 17.1.79; Berner Zeitung, 32, 8.2.79; TA, 79, 31.3.79; cf. APS, 1970, p. 153 s. (H. H. Holz); K. Marti, Zum Beispiel Bern 1972, Ein politisches Tagebuch, Darmstadt und Neuwied 1973, p. 111 ss. (K. Marti).
[53] TLM, 49, 17.2.78; TW, 49, 28.2.78; cf. APS, 1976, p. 145.
[54] TA, 13,17.1.78; 43, 21.2.78; 55, 7.3.78 ; 114, 20.5.78; 152, 4.7.78; 292, 15.12.78 ; NZZ, 24, 30.1.78; 47, 25.2.78 ; 103, 6.5.78 ; 125, 2.6.78 ; 291/292, 14/15.12.78 ; Zürcher Student, 1, 18.4.78 ; 2/3,24.4.78; 4,8.5.78 ; 7, 29.5.78; 8, 5.6.78; 23/24, 10.1.79; cf. Das Konzept, 3, 15.3.78; 12, 20.12.78 ainsi que APS, 1977, P. 146 ss.
[55] TW, 20.. 25.1.78 ; 43, 21.2.78; Bund, 43, 21.2.78 ; Berner Student, 3, 15.3.78; cf. APS, 1977, p. 147.
[56] NZZ (sda), 50, 1.3.78.
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