Année politique Suisse 1979 : Infrastructure, aménagement, environnement / Sol et logement
Aménagement du territoire
La
loi sur l'aménagement du territoire (LAT), à propos de laquelle le Conseil des Etats a pris position en septembre 1978, a été traitée par le Conseil national à la session de printemps
[1]. Tous les partis de l'extrême droite à l'extrême gauche approuvèrent l'entrée en matière, malgré les réserves de quelques députés. Les divergences nacquirent lors de la discussion de détail. Comme l'avait fait au Conseil des Etats, le radical Debétaz (VD), Otto Fischer (prd, BE) proposa la création d'un tribunal arbitral statuant à la place du Conseil fédéral en cas de désaccord au sujet des plans directeurs cantonaux. Les députés s'opposèrent fermement à cette idée jugée par trop fédéraliste. Les représentants du peuple renoncèrent à constituer une commission pour l'aménagement du territoire, organe consultatif dont la chambre des cantons avait déjà refusé la création. Ils acceptèrent en revanche une proposition du libéral vaudois Claude Bonnard, déjà admise par le Conseil des Etats, selon laquelle la Confédération devait subventionner jusqu'à 30% l'élaboration des plans directeurs cantonaux
[2]. La chambre populaire discuta plusieurs points sur lesquels elle prit des décisions différentes des Etats. La protection des rives et des cours d'eau en fut un. Adoptant une position plus stricte que les cantons, le Conseil national désirait «stopper le développement» des constructions dans ces zones. Tandis que plusieurs socialistes soulignèrent l'urgence de cette mesure, MM. Bürer (pdc, SG) et Junod (prd, VD) soutinrent le point de vue du Conseil des Etats et parlèrent d'une simple protection des rives. Ils furent approuvés par les fédéralistes et les représentants des propriétaires, mais le Conseil national mit le poids sur l'intérêt général et ne se rallia pas à leur avis. Il choisit aussi une solution plus sévère que les cantons quant aux exceptions à l'interdiction de construire hors des zones à bâtir. Dans quelques domaines, la chambre populaire montra une volonté plus centralisatrice que les Etats. Alors que ces derniers avaient préféré laisser aux législatifs cantonaux la liberté d'établir ou non un système de compensations
[3], le Conseil national approuva l'obligation de calculer une telle péréquation lors du zonage. Les représentants du peuple se prononcèrent, contrairement aux Etats, en faveur d'un rapport gouvernemental périodique sur la situation de l'aménagement du territoire. Quant à l'approbation des plans directeurs par l'exécutif fédéral, le Conseil national estima que ces plans devaient être contrôlés dans leur conformité aux principes fondamentaux de planification contenus dans la nouvelle loi. Ces articles controversés passèrent à plusieurs reprises devant les deux conseils. Des solutions intermédiaires furent acceptées pour la protection des rives des lacs et des cours d'eau
[4] et pour les autorisations de construire hors des zones à bâtir
[5]. Le Conseil national put faire triompher son point de vue sur le système de compensations et sur le contrôle des plans directeurs, mais dut renoncer au rapport gouvernemental périodique
[6].
La LAT fut acceptée en vote final le 22 juin.
Aucune demande de référendum n'ayant été présentée, elle entra en vigueur le 1er janvier 1980 et remplaça l'arrêté fédéral urgent de mars 1972
[7]. Pour la réalisation des plans directeurs, Berne débloqua un crédit de 15 millions de francs, se répartissant sur cinq ans. Les débats ne furent pas particulièrement passionnés. De manière générale, on trouva ce texte plus clair et juridiquement plus facilement utilisable que le précédent projet de 1976. Mais certains socialistes craignirent que cette loi ne mène a 26 planifications différentes au mépris d'un aménagement national. Les associations de protection de la nature furent contentes du résultat obtenu, même s'il ne fut pas aussi bon qu'elles l'avaient espéré. M. Lendi, de l'institut ORL de l'EPFZ regretta particulièrement la suppression du rapport gouvernemental et de la commission consultative. M. Baschung, délégué du Conseil fédéral à l'aménagement du territoire critiqua également l'abandon de ce rapport, car, dit-il, il aurait permis d'avoir régulièrement une vue globale de l'aménagement en Suisse. Certains fédéralistes en revanche, se réjouirent de cette décision, redoutant que dans le cadre du rapport annuel, le gouvernement ne soit amené à un contrôle politique des travaux de planification. En fait, si, au terme de ce long processus, cette loi ne combla pas tous les espoirs, elle parut généralement être une amélioration notable
[8].
A la fin de l'année, le tribunal fédéral rendit un arrêt important pour l'aménagement du territoire: les propriétaires fonciers ne peuvent pas faire valoir leurs droits de propriété contre un plan directeur. Ce plan est inattaquable à cause de son inexactitude. Seul le plan d'affectation peut être contesté. Le tribunal considéra non seulement que la liberté de planification des pouvoirs publics devait être protégée mais que la planification était un devoir. Le recours avait été interjeté par un zurichois qui avait acheté deux parcelles, dont l'affectation fut modifiée par le plan directeur. Cette décision du tribunal fédéral provoqua une vive satisfaction parmi les ingénieurs du plan à Zurich. La presse écrivit que ceci apportait enfin la clarté nécessaire quant aux plans directeurs et à leurs effets sur les droits garantis par la constitution
[9].
L'idée de
participation des habitants aux plans d'aménagement des régions ou des quartiers fit son chemin. Elle fut remise sur le tapis lors des débats à propos de la nouvelle loi sur l'aménagement du territoire et de nombreuses discussions eurent lieu à ce sujet. Beaucoup mirent l'accent sur l'insuffisance de cette participation. Comme le plan directeur est juridiquement inattaquable et que seul peut être contesté le plan d'affectation, intervenant à une phase d'aménagement très avancée, où les options fondamentales ne peuvent plus être modifiées, le citoyen n'a aucune influence sur ces dernières. Pour corriger ce défaut, il faut faire intervenir le citoyen dans les phases précédentes. La loi zurichoise le prévoit. La planification directrice est à trois niveaux: canton, région, commune. A chacune de ces trois étapes, les plans sont exposés et les citoyens peuvent les critiquer. Le plan cantonal terminé le lerjuillet 1978 a été ainsi présenté au public. De nombreux avis ont été émis et traités ensuite par la commission du Grand Conseil. Les régions présentent leurs plans jusqu'en avril 1980. C'est ici que la loi zurichoise fait oeuvre démocratique car elle prévoit, au niveau régional, des droits d'initiative, de référendum et d'interpellation. Le public pourra commenter les plans pour la troisième fois, au niveau communal, un an plus tard environ. Tandis que certains pensent que c'est un progrès, d'autres trouvent que cela mène à une «inflation de la démocratie»
[10].
A Genève les autorités de la ville ont décidé de tenter pour la première fois une expérience de participation lors de la rénovation du quartier des Pàquis. Au printemps 1979. elles ont procédé à une consultation. Une circulaire a été distribuée demandant à chacun de formuler des suggestions et des critiques sur le développement de son quartier. L'ensemble des avis donna lieu. à un volumineux rapport relatant l'expérience et constatant les besoins. Le cartel des associations
[11] des Pâquis souhaita poursuivre l'échange amorcé et proposa la constitution d'un groupe de travail. La municipalité semble prête à jouer le jeu. De cette manière Genève expérimente deux formes de rénovation de quartier: le dialogue aux Pâquis et la confrontation aux Grottes, où l'occupation d'anciens logements et les menaces de faire intervenir la police ont déjà fait couler beaucoup d'encre
[12].
[2] NZZ, 59. 12.3.79 ; JdG, 67. 21.3.79; TLM, 80. 21.3.79; 24 Heures, 66. 21.3.79.
[3] Les compensations sont destinées à équilibrer, par rapport aux propriétaires, les avantages et les inconvénients découlant du classement de leurs terrains.
[4] Les rives devront ètre «tenues libres».
[5] Une autorisation pourra âtre accordée pour autant que les travaux prévus soient compatibles avec les dispositions importantes de l'aménagement du territoire.
[6] Délibérations parlementaires: BO CN, 1979. p. 292 ss.. 665 ss.. 716 s., 822, 871 ; BO CE, 1979. p. 180 ss., 269 ss., 295 s., 314. Texte définitif: RO, 1979. p. 1573. Cf. aussi Dokumente und Informationen zur schweizerischen Orts-, Regional- und Landesplanung/DISP), no 55. 1979, p. 5 ss. ; Aménagement national suisse (DFJP). 1979, no 3. p. 3 ss. ; no 4, p. 3 ss. ; presse du 21.3.79 ; NZZ, 114. 18.5.79 ; JdG, 130. 7.6.79; 135. 13.6.79; 24 Heures, 130. 7.6.79 ; LNN, 142, 2 2.6.79 ; cf. aussi APS, 1978. p. 107 ss. ; M. Wemegah, Administration fédérale et aménagement du territoire. La coordination de l'aménagement du territoire au niveau de la Confédération, St-Saphorin 1979; R. Germann et al., Fédéralisme en action. Les mesures urgentes à Genève. en Valais et au Tessin, St-Saphorin 1979.
[8] NZZ, 59. 12.3.79; JdG, 67.21.3.79; TLM, 80.21.3.79 ; 24 Heures, 66, 21.3.79 ; LNN, 142, 22.6.79 (Lendi, Baschung, fédéralistes); TA, 180. 7.8.79 (associations protection nature); SGT, 229, 1.10.79; Lib., 29, 3.11.79; JdG, 299. 22.12.79.
[9] TA, 279, 30.11.79; SGT, 299. 22.12.79; LNN, 300. 29.12.79.
[10] Bund, 176. 31.7.79; LNN, 177. 2.8.79; SGT, 179. 3.8.79. Cf. également W. Haller. «Raumplanung im demokratisch-föderalistischen Rechtsstaat», in Menschenrechte, Föderalismus, Demokratie, Festschrift zum 70. Geburtstag von W. Kägi. Zürich 1979. p. 161 ss.
[11] Cartel: Associations de sport, de musique. églises, associations de familles. services sociaux. centre de loisir.
[12] JdG, 50, 1.3.79 ; 291, 13.12.79 ; BaZ, 57, 8.3.79 ; 273, 21.11.79 ; TA, 128, 6.6.79 ; VO, 221, 16.11.79 ; 230, 29.11.79; 235, 6.12.79; 245, 20.12.79.
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