Année politique Suisse 1980 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
 
Relations bilatérales
Les relations bilatérales les plus étroites sont naturellement celles que la Suisse entretient avec les pays voisins. Toutefois, des liens étroits existent avec les autres Etats de l'Europe occidentale. On a vu, par exemple, à quel point les Suisses se sentent proches du Royaume-Uni, lors de la visite officielle de la reine d'Angleterre en Suisse à laquelle la population a largement pris part [8]. Les rapports avec les pays de l'Europe de l'Ouest sont exempts de divergences majeures. Les relations avec la France se sont temporairement refroidies lors de «l'affaire des douahiers»: la police suisse a arrêté à Bâle deux fonctionnaires français des douanes, qui avaient tenté d'obtenir, sans autorisation officielle, des renseignements sur des capitaux français faisant l'objet d'évasion fiscale. Selon le droit suisse, ces deux douaniers se sont rendus coupables de service prohibé de renseignements économiques [9]. Le PSS et l'Union syndicale suisse (USS) se sont alors solidarisés avec les deux fonctionnaires des douanes françaises, estimant que les coupables n'étaient pas les deux fonctionnaires, mais le secret bancaire suisse dont la protection est excessive [10]. De leur côté, les syndicats du personnel des douanes françaises se sont déclarés également solidaires de leurs deux collègues dont ils ont réclamé la libération immédiate en appuyant leur revendication par des grèves ponctuelles à la frontière franco-suisse [11]. Dès la fin de la détention préventive des deux fonctionnaires, les relations avec notre voisin occidental se sont détendues rapidement. La visite en Suisse du ministre français des affaires étrangères s'est déroulée comme de coutume, dans une atmosphère fort amicale [12].
L'invasion de l'Afghanistan par l'URSS a donné lieu à une protestation officielle du Conseil fédéral. Celui-ci constate, avec préoccupation, que l'Union soviétique aurait violé des principes fondamentaux du droit des gens, notamment l'interdiction de recourir à la force [13]. Comparativement à 1968, année où les troupes soviétiques étaient entrées en Tchécoslovaquie, l'indignation du peuple suisse n'a pas dépassé certaines limites. Il est vraisemblable que la grande distance qui nous sépare de ce pays a atténué le sentiment d'une menace directe. La réaction de l'opinion publique a été, toutefois, assez nette pour amener la grande puissance qu'est l'URSS à protester contre la «campagne antisoviétique», systématiquement menée par nos moyens de communication de masse. Selon les milieux officiels russes, celle-ci serait contraire à l'Acte final d'Helsinki. Le DFAE a rejeté cette protestation : les accords d'Helsinki ne sauraient être interprétés dans le sens d'une restriction de la liberté de presse; le droit international ne demande pas qu'un pays neutre n'exprime pas son opinion; en plus, dans une démocratie libérale, le gouvernement ne peut donner des ordres à la presse [14].
Trois interpellations urgentes concernant les conséquences de la crise afghane, à savoir celle de la commission des affaires étrangères du Conseil national, celle du groupe parlementaire PdT, PSA et POCH du même Conseil et celle d'O. Guntern (pdc, VS) au Conseil des Etats, ont donné lieu à de vifs débats de politique étrangère aux Chambres fédérales. Tous les orateurs ont condamné l'invasion de l'Union soviétique, mais avec des nuances certaines. La gauche a insisté sur la nécessité de ne pas se borner à protester uniquement contre l'occupation de l'Afghanistan, mais encore contre l'exploitation d'autres pays dans le tiers monde notamment. La poursuite du dialogue avec l'URSS, dans le cadre de la Conférence de Madrid sur la sécurité et la coopération en Europe, a été préconisée par la majorité des parlementaires, en particulier par le PRD et le PSS. Le porte-parole du groupe parlementaire indépendant et évangélique a déclaré, en revanche, qu'à ses yeux il était exclu que cette conférence aboutisse à des résultats fructueux [15].
La politique de neutralité de la Suisse lui interdit de participer au boycottage économique de l'URSS par les pays occidentaux. Le Conseil fédéral a, toutefois, recommandé aux entreprises suisses de ne pas aller au-delà du courant normal des échanges commerciaux avec ce pays [16]. La Suisse ne s'est pas jointe non plus aux Etats qui ont interdit à leurs athlètes de participer aux Jeux olympiques d'été à Moscou. De même, il n'y a pas eu, comme le souhaitaient les partis bourgeois, de recommandation à nos sportifs de s'abstenir d'aller à Moscou en guise de protestation. Le Conseil fédéral a été d'avis qu'il ne convenait pas de mélanger le sport et la politique [17].
L'annulation du voyage que le conseiller fédéral Aubert devait faire à Moscou est une conséquence directe de l'invasion soviétique en Afghanistan. Cette visite aurait dû avoir lieu en raison de l'universalité des relations extérieures qu'entretient la Suisse. En 1979, notre ministre des affaires étrangères avait visité l'Afrique et les Etats-Unis. Dès lors, un voyage à Moscou s'imposait. Une visite diplomatique dans un pays ne signifie pourtant nullement que l'on approuve sa politique. Si le conseiller fédéral Aubert a tout de même renoncé à son projet, c'est qu'il s'est rendu compte que le but de sa visite en URSS serait mal interprété par les milieux bourgeois, en raison de l'invasion de l'Afghanistan [18].
La crainte d'une autre intervention militaire de l'URSS transparaît dans la plupart des commentaires sur les. événements de Pologne. Une répression violente contre les grèves dans ce pays du bloc de l'Est constituerait une menace pour la paix mondiale. L'USS s'est solidarisée avec les travailleurs polonais dans leur lutte sociale. De leur coté, les milieux bourgeois ont aussi exprimé leur sympathie envers les grévistes polonais. Sur ces entrefaites, le PSS a publié un communiqué qualifiant d'hypocrites ceux qui approuvent la grève dans un pays communiste, tandis qu'ils cherchent à torpiller, par tous les moyens, la démocratie économique dans leur propre pays [19].
Depuis avril, la Suisse représente officiellement les intérêts américains en Iran. Les conditions dans lesquelles la Suisse a commencé à exercer son mandat de puissance protectrice ont été vraiment exceptionnelles: l'ambassade américaine était occupée; les diplomates américains étaient pris en otage. Malgré ces circonstances contraires au droit des gens, la Suisse a répondu affirmativement à la requête des Etats-Unis. En effet, notre pays ne saurait refuser ses bons offices et services précisément dans des situations difficiles, puisque le principe de disponibilité et sa longue tradition de puissance protectrice l'y obligent moralement [20]. L'Iran a accepté que la Suisse représente les intérêts américains. Les différends concernant le séquestre des biens de l'ex-shah n'ont pas constitué un obstacle au mandat de la Suisse, étant donné que les Iraniens ont fait usage des voies de droit ordinaires, auxquelles le Conseil fédéral les avait renvoyés en 1979 [21]. Le mandat de puissance protectrice que remplit la Suisse consiste surtout en un rôle d'intermédiaire. Les efforts en vue d'obtenir la libération des otages ont dépassé le cadre ordinaire d'une représentation d'intérêts. Cependant, dans ces négociations, des diplomates suisses ont joué longtemps un rôle essentiel. Vers la fin de l'année, les Algériens ont pris le relais. Ils étaient en effet plus proche de la mentalité islamique et révolutionnaire des dirigeants iraniens et leurs chances d'aboutir à une solution étaient donc plus grandes. Après la libération des otages en janvier 1981, la Suisse est encore restée puissance protectrice des Etats-Unis en Iran [22].
Après qu'il est devenu manifeste que les otages américains n'étaient plus aux mains des étudiants mais que les dirigeants iraniens constituaient le moteur de cette affaire, des voix se sont élevées en Suisse pour critiquer le DFAE: les diplomates suisses, disaient-elles, devraient persister dans leur exigence de libération des otages et, devant le refus des Iraniens, déposer ensuite leur mandat de puissance protectrice; ne pas agir ainsi favoriserait en quelque sorte une violation durable du droit des gens. Le conseiller fédéral Aubert a répondu à une question semblable de V. Oehen (an, BE) en lui faisant remarquer qu'officiellement la situation n'avait pas changé depuis avril. Notre ministre des affaires étrangères a ajouté que le dépôt du mandat de puissance protectrice enlèverait toute crédibilité au principe de la disponibilité de la Suisse [23].
Une convention de sécurité sociale entre la Suisse et Israël a donné lieu à une controverse. L'accord était déjà paraphé et ne posait pas de problème si ce n'est que les parties n'ont pas pu s'entendre sur le lieu de sa signature. Israël s'obstinait à proposer Jérusalem, ville dont elle venait de faire sa capitale en violant le droit des gens. Berne déclarait que la Suisse signerait n'importe où sauf à Jérusalem. On ne voulait, en effet, pas donner l'impression que la Suisse reconnaissait, par un acte officiel, l'annexion de Jérusalem par les Israeliens [24].
L'Association Suisse-Palestine a déposé une pétition en faveur de la reconnaissance de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Dans sa réponse négative, le Conseil fédéral a rappelé notre pratique, qui consiste à ne reconnaître que des Etats. Il a toutefois exprimé sa conviction selon laquelle une solution équitable du conflit au Proche-Orient passait forcément par la prise en considération des droits du peuple palestinien. Selon le Conseil fédéral, la Suisse pourrait offrir ses bons offices dans le règlement de ce conflit [25].
 
[8] NZZ, 97, 25.4.80; TLM, 119, 28.4.80; presse des 29.4–3.5.80; Ww, 19, 7.5.80.
[9] TA, 95, 24.4.80; 96. 25.4.80; BaZ, 103, 3.5.80.
[10] TW, 108. 9.5.80; 113, 16.5.80; SP-Information, 76, 14.5.80; 77. 5.6.80.
[11] Presse des 7–10.5.80.
[12] JdG, 113, 16.5.80 ; 24 Heures, 113, 16.5.80 ; 124, 30.5.80 ; TLM, 156. 4.6.80 ; presse du 3.9.80 ; BaZ, 218. 17.9.80; cf. BaZ, 233. 4.10.80.
[13] NZZ, 7. 10.1.80; 24 Heures, 7, 10.1.80.
[14] NZZ, 65. 18.3.80; 66, 19.3.80; TLM, 78. 18.3.80; BaZ, 70, 22.3.80.
[15] BO CN, 1980. p. 290 ss.; BO CE, 1980. p. 125 ss.; presse du 19.3.80; VO, 12. 21.3.80.
[16] JdG, 70, 24.3.80.
[17] BaZ, 114, 17.5.80; BO CN, 1980, p. 294 et 255; cf. plus bas. I, 7b (Sport).
[18] APS, 1979, p. 48 s.; NZZ, 26, 1.2.80; TLM, 32, 1.2.80; Vat., 26, 1.2.80; Lib., 141, 19.3.80; BO CN, 1980, p. 294; BO CE, 1980, p. 128; cf. SP—Information, 70. 21.2.80.
[19] TLM, 233. 20.8.80; 30, 28.10.80; TW, 196, 22.8.80; NZZ, 199, 28.8.80; SP—Information, 81, 4.9.80.
[20] Presse du 10.4.80; TLM, 116, 25.4.80; presse du 26.4.80.
[21] Bund, 76, 31.3.80; TLM, 108, 17.4.80; BaZ, 92, 19.4.80; cf. APS, 1979, p. 49 s.
[22] NZZ, 108, 10.5.80; Bund, 296, 17.12.80; voir également 24 Heures, 195, 22.8.80.
[23] BO CN, 1980, p. 1436; Bund, 296, 17.12.80.
[24] NZZ, 199, 28.8.80; 200, 29.8.80; 230, 3.10.80; Suisse, 241, 28.8.80; 24 Heures, 201, 29.8.80; JdG, 204, 1.9.80; Ww, 36, 3.9.80.
[25] NZZ, 120, 27.5.80; Ww, 22, 28.5.80 (interview du CF Aubert); 24 Heures, 248, 24.10.80; cf. NZZ, 63. 15.3.80 (reconnaissance de l'OLP par l'Autriche).