Année politique Suisse 1980 : Politique sociale / Groupes sociaux
 
Population étrangère
Bien que le rejet des propositions xénophobes des années 70 et l'avènement de la crise en Suisse ont quelque peu atténué les tensions dans le domaine de la politique à l'égard des étrangers, il n'en demeure pas moins vrai que le problème de l'immigration, en 1980, a été l'enjeu de décisions importantes [1]. Les Chambres fédérales ont été appelées à se prononcer dans le courant de l'année sur l'initiative constitutionnelle déposée en 1977 par la communauté de travail «Etre solidaires». En fait, les discussions se sont polarisées au National, qui devait débattre également du projet de loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSSE) publié par le gouvernement en 1978 et adopté par le Conseil des Etats en 1979 [2]. Ce projet de loi avait alors été présenté comme une alternative à l'initiative populaire. Une version sensiblement améliorée, sur le plan humain notamment, a été par la suite proposée par la commission de la chambre du peuple, version qui maintenait toutefois le statut controversé du saisonnier [3]. Sur la scène politique, adversaires et défenseurs du statut s'étaient regroupés en comités d'action pour lancer une vaste campagne de sensibilisation. Les premiers, proches des arts et métiers, de l'hôtellerie, du tourisme et des paysans, ont mis l'accent sur le caractère inéluctablement saisonnier de certaines branches d'activités économiques, exprimé leur crainte face à la renaissance possible du péril xénophobe et dédramatisé quelque peu la dimension humaine du problème [4]. Les seconds, groupés autour de la communauté de travail «Etre solidaires», comprenaient des représentants de quelques grandes fédérations syndicales, de différentes organisations d'immigrés et de groupements d'obédience chrétienne. Ils ont rappelé que l'initiative ne demande pas la suppression du travail saisonnier, mais l'abolition du «statut spécial» de cette catégorie d'étrangers dans un délai de cinq ans et la garantie de jouir des mêmes droits professionnels et sociaux que tout autre personne [5].
A la veille des débats au Conseil national sur l'initiative et le projet de loi, les positions partisanes étaient clairement tranchées et les discussions s'annonçaient animées, d'autant plus que la plupart des décisions de la commission avaient été prises à de faibles majorités. Au centre des controverses, le statut des saisonniers, mais aussi les modalités de la transformation d'un permis saisonnier en un permis annuel, les conditions de regroupement familial et celles concernant la transformation d'une autorisation de séjour en un permis d'établissement. Socialistes, progressistes, communistes et indépendants ont nettement plaidé en faveur de l'initiative populaire, insistant particulièrement sur le caractère inhumain du statut et la séparation inadmissible des travailleurs saisonniers de leur famille. Les radicaux, appuyés par les démocrates du centre et les libéraux, ont été pour leur part hostiles à tout démantèlement de ce statut. Enfin, les démocrates-chrétiens ont proposé différentes solutions médianes allant d'un simple aménagement de ce statut à sa transformation en un permis de séjour d'une année ou à durée limitée pour tout travail à caractère saisonnier [6].
Peu avant l'ouverture officielle de la session parlementaire, le groupe radical a déposé une motion demandant que l'examen du projet de loi sur les étrangers soit renvoyé à une date ultérieure. La droite souhaitait en effet soumettre d'abord l'initiative au souverain dans l'espoir que ce dernier la rejetterait. Ce verdict permettrait alors d'imposer aux Chambres une version plus restrictive à la nouvelle loi. Cette décision de procédure a rencontré l'opposition massive de la gauche et du PDC pour qui l'initiative devait être un moyen de pression privilégié sur les débats du plénum, de manière à obtenir le plus d'améliorations possibles sur le sort des étrangers. Du reste, le Conseil fédéral n'avait-il pas proclamé que le projet de loi constituait un contre-projet virtuel à l'initiative? [7]
Lors du vote sur l'entrée en matière, seule l'Action nationale a proposé le renvoi ; progressistes et communistes laissant entendre qu'ils s'opposeraient au projet de loi à l'occasion du vote final. L'attention a été portée ensuite sur le maintien ou non du statut contesté du saisonnier. Malgré l'opposition des défenseurs d'«Etre solidaires», le statut a été maintenu (par 95 voix contre 51). Ce dernier une fois accepté, il ne restait plus qu'à l'aménager. La question de savoir dans quel délai l'autorisation saisonnière peut être transformée en autorisation de séjour a donné lieu à diverses suggestions. Le gouvernement, et à sa suite le Conseil des Etats, proposait 35 mois de présence au cours de quatre années consécutives, les socialistes 21 mois en trois ans et le démocrate-chrétien genevois Tochon allait le plus loin avec 17 mois en deux ans. La députation s'est finalement ralliée à la solution préconisée par la majorité de sa commission, 28 mois durant quatre années consécutives. Le Conseil national a en outre décidé de réduire de 12 mois (proposition de l'exécutif ratifiée par les Etats) à six mois au maximum le délai d'attente précédant le regroupement familial pour les détenteurs d'un permis annuel. Enfin, le délai pour l'obtention d'un permis d'établissement a été ramené de dix à cinq ans [8]. Au vote d'ensemble, la nouvelle loi sur les étrangers a été largement'approuvée et l'initiative «Etre solidaires» refusée [9].
Même si le statut du saisonnier figure toujours dans le texte adopté par la chambre populaire, sa version est cependant sensiblement plus généreuse que le projet de loi gouvernementale ratifié par nos sénateurs. La procédure d'élimination des divergences risque donc de se heurter à un nouvel assaut des milieux économiques et de l'extrême-droite, peu satisfaits de certaines mesures. L'ombre menaçante du référendum agité par ces derniers[10] et la décision du Conseil fédéral de faire voter peuple et cantons sur l'initiative avant de connaître le libellé définitif de la nouvelle loi sur les étrangers [11], hypothèquent lourdement la réalisation des quelques élans de générosité accordés par les représentants du peuple. De son côté, le syndicat du bois et du bâtiment (FOBB), appuyé par les partis de gauche, l'Union syndicale suisse (USS) et différents syndicats chrétiens, a organisé une manifestation de soutien aux travailleurs immigrés [12].
Le gouvernement a d'autre part édicté une nouvelle ordonnance limitant le nombre des étrangers exerçant une activité lucrative dans notre pays. En regard de l'ancienne réglementation d'octobre 1979, peu de modifications ont été apportées. Seul le nombre maximum des autorisations de courte durée a été légèrement augmenté. Le contingent des cantons passe de 2000 à 2500 unités et celui de l'OFIAMT de 5000 à 5500. Lors de la procédure de consultation, les radicaux, les libéraux et les organisations patronales avaient demandé un assouplissement plus large [13].
Dans un document relatif au problème de «l'exportation du chômage», la Commission fédérale consultative pour le problème des étrangers (CFE) a consacré quelques réflexions sur les mécanismes mal connus de la diminution des effectifs de la main-d'oeuvre étrangère intervenue depuis 1973. Tout en reconnaissant que cette dernière avait rempli à certains égards une fonction d'«amortisseurs conjoncturels», elle a contesté l'argument selon lequel la Suisse aurait résorbé son chômage, à l'inverse d'autres pays européens, en expulsant quelque 300 000 travailleurs immigrés. Il convient de tenir compte en effet de l'incidence des naturalisations, du taux de rotation relativement élevé de certaines catégories de travailleurs et du fait que la plupart d'entre eux viennent dans notre pays avec l'intention d'y faire un séjour temporaire. Il n'en demeure pas moins vrai que les départs des travailleurs étrangers ont sensiblement augmentés durant les années de la récession, même si la réduction de leurs effectifs (247 000 unités) est imputable en bonne partie à une diminution des entrées [14]. La CFE a par ailleurs publié les résultats d'une enquête sur les influences que peut exercer la présence d'un grand nombre d'immigrés sur la population suisse, ses particularités et ses habitudes de vie. Cette étude constitue un complément au rapport présenté en 1976 sur les difficultés rencontrées par les travailleurs étrangers et leurs familles qui séjournent dans notre pays. Elle précise que leur présence ne présente de dangers ni pour notre langue ni pour notre sécurité politique et encore moins pour la paix sociale. Elle suggère néanmoins un train de mesures visant essentiellement à encourager l'intégration sociale des 'immigrés et à assurer une meilleure compréhension entre ces derniers et les autochtones [15]. C'est ainsi que la CFE a accordé une attention toute particulière aux 250 000 enfants de la deuxième génération, dont le 90% bénéficie d'un permis d'établissement et les deux tiers sont nés en Suisse, Nos commissaires se sont efforcés de dresser un bilan exhaustifdes problèmes liés à la vie familiale, à la formation et aux loisirs de ces adolescents [16].
 
[1] Cf, 24 Heures, 114, 17.5.80; JdG, 135, 12.6.80; 136, 13.6.80. Voir également R. Weitenschlag, Grundrechte der Ausländer in der Schweiz, Eine Studie zu Entwicklung und Zustand der politischen Freiheit im Bundesstaat, Basel 1980; W. Haug, « ... und es kamen Menschen», Ausländerpolitik und Fremdarbeit in der Schweiz 1914-1980, Basel 1980 et Autorengruppe für eine fortschrittliche Ausländerpolitik, Basta ! Fremdarbeiter in den 80er Jahren, Ein Lesebuch, Zürich 1980. Pour ce qui est des pétitions cantonales réclamant le droit de vote pour les immigrés, cf. supra, part. I. 1 b (Stimmrecht).
[2] Cf. APS, 1978, p. 117; 1979, p. 130 s.
[3] Presse des 22.4. 29.5, 20.6 et 30.8.80.
[4] Presse du 12.4.80. Voir également pour restaurateurs et hôteliers: TLM (ats), 20, 20.1.80; NZZ, 117, 22.5.80; 128, 5.6.80.0. Fischer, directeur de I'USAM: BaZ, 47, 25.1.80; Bund, 39, 16.2.80 ainsi que RFS, 17, 22.4.80 ; TA, 226, 29.9.80.
[5] Comité «Etre solidaires»: VO, 1, 11.1.80; presse du 15.4.80. Première réunion des représentants des quelque 215 organisations d'immigrés en Suisse: presse du 14.1.80. Eglises: Vat., 91, 19.4.80; 281, 3.12.80; Lib., 56, 5.12.80 ; 57, 6.12.80. Voir également TLM, 139, 18.5.80 ; Lib., 295-297, 299-301, 1, 22.9—1.10.80 (dossier sur le statut du saisonnier) et l'ouvrage de J. Steinauer, Le saisonnier inexistant, Genève 1980.
[6] UDC: TA (ddp), 39, 16.2.80. PSS: Suisse, 90, 30.3.80; BaZ, 81, 8.4.80; Vr, 73, 15.4.80; 84, 1.5.80. PDC: Vat., 90, 18.4.80 ; JdG, 90, 18.4.80; presse du 22.4.80 ; CdT, 131.9.6.80. Voir également SZ, 82, 9.4.80: NZZ, 96, 26.4.80; Lib., 294, 20.9.80; Suisse, 274, 30.9.80.
[7] Cf. à cet égard motion Vetsch (prd, SG): BO CN, 1980, p. 862 ss.; presse du 23.9.80.
[8] Cette mesure d'assouplissement résulte des pourparlers de la commission mixte italo-suisse: NZZ (sda), 44, 22.1.80; CdT, 21, 25.1.80; 26, 31.1.80; presse du 22.7.80.
[9] BO CN, 1980, p. 1015 ss., 1134 ss., 1167 ss., 1172 ss., 1277 ; presse des 1, 3, 7 et 8.10.80. Le CE a également refusé l'initiative: BO CE, 1980, p. 535 ss., 594.
[10] Ces menaces de référendum ont été proférées par l'AN et la droite combative groupée autour de O. Fischer : Lib., 15, 17.10.80; Suisse, 342, 7.12.80; Volk + Heimat, no 14, oct. 1980 et no 15, nov. 1980.
[11] Presse du 16.12.80. Cf. aussi Lib., 67, 19.12.80; TLM, 353, 19.12.80.
[12] FOBB/L'ouvrier sur bois et du bâtiment, 44, 27.10.80; 46, 10.11.80; presse du 3.11.80 ; VO, 44, 7.11.80; USS, 35, 5.11.80. Voir également le dépôt d'une motion Jaeger (adi, SG), en octobre, qui demande la suppression par étapes du statut saisonnier dans certaines branches d'industries comme la construction et le tourisme (Délib. Ass. féd., 1980, III, p. 51; Suisse, 285, 11.10.80; 320, 15.11.80).
[13] RO, 1980, p. 1574 ss.; presse du 5.7.80 (procédure de consultation); SAZ, 31, 31.7.80; 45, 6.11.80; USS, 27, 3.9.80 (communiqué); 35, 5.11.80; presse du 29.10.80. Population étrangère (sans saisonniers et fonctionnaires internationaux) fin 1980: 892 807 unités (fin 1979: 883 837); saisonniers et fonctionnaires internationaux inclus: 925 000 unités (918 000). Cf. La Vie économique. 54/1981, p. 114 ss. ainsi que fasc. 4, p. 1*.
[14] «Réflexions sur l'«exportation du chômage»», in Information/Commission fédérale consultative pour le problème des étrangers, no 10, fév. 1980. Cf. presse du 26.2.80; USS, 8, 24.2.80; Lib., 143, 21.3.80.
[15] Les craintes exprimées en 1964 par le DFEP qui affirmait que «l'emprise étrangère constituait pour notre pays une menace certaine du point de vue culturel » ne sont donc pas fondées. Cf. «Aspects culturels du problème des étrangers», in ln/ormation/CFE, no 11, mars 1980; presse du 25.3.80; USS, 12, 26.3.80; SP VPOD, 14, 3.4.80. Cf. APS, 1976, p. 119.
[16] Commission fédérale consultative pour le problème des étrangers, Les jeunes étrangers — La deuxième génération, Berne 1980; La Vie économique, 53/1980, p. 591 ss.; presse du 9.9.80; USS, 28, 10.9.80. Cf. aussi SGT, 9, 12.1.80; TA, 72, 26.3.80; 123, 30.5.80; 194, 22.8.80; Ww, 13, 26.3.80; NZZ, 194, 22.8.80; 251, 28.10.80 ; Die Ausländerjugend in der Schweiz, hrsg. vom Komitee Schweiz 80, Zürich 1980; Qui sont-ils. Suisses et/ou Espagnols?— La deuxième génération d'immigrés espagnols en Suisse, Enquéte JOC/E, Lausanne 1980; ainsi que APS, 1978, p. 117, 1979, p. 149 s.