Année politique Suisse 1981 : Chronique générale / Finances publiques / Régime financier
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Autres impôts
Parmi ces nouvelles recettes, l'imposition supplémentaire du trafic routier semble être celle qui bénéficie du soutien le plus large. En 1981, ce n'est pourtant pas seulement le projet d'article constitutionnel élaboré par le Conseil fédéral et concernant la redevance sur le trafic lourd qui a fait l'objet de discussions, mais encore trois initiatives parlementaires visant à lever l'affectation du produit des droits de douane sur les carburants, ainsi qu'à instaurer des péages pour l'utilisation des autoroutes en général ou des tunnels alpins en particulier. Ces trois initiatives avaient alors été mises en veilleuse, afin de ne pas préjuger de l'issue du projet de la conception globale des transports [20].
Mais, étant donné que la réalisation de cette conception se faisait attendre et que le projet gouvernemental d'une taxe sur le trafic lourd s'était heurté à une vive résistance au Conseil des Etats, la chambre du peuple avait décidé, en décembre 1980, de réactualiser l'initiative concernant la vignette autoroutière, refusée pourtant par le Conseil fédéral. On peut en effet s'attendre à ce que cette redevance frappe principalement des touristes étrangers; d'une certaine manière, l'argent traîne sur la route: il n'y aurait qu'à le ramasser [21]. En mai, la commission du Conseil national qui examine la redevance sur le trafic lourd s'est prononcée pour l'utilisation de ces deux sortes de ressources. Comme on le précise dans un autre chapitre, la commission n'a pas retenu la proposition du Conseil fédéral visant à imposer définitivement le trafic routier lourd; elle s'est contentée de proposer des mesures provisoires. Celles-ci devraient, d'une part, préjuger aussi peu que possible du sort de la conception globale des transports et, d'autre part, activer la venue de recettes nouvelles tout en les réduisant considérablement. La commission estime que des péages propres aux tunnels routiers et distincts de la vignette ne sont pas défendables en raison des inconvénients qu'ils représenteraient pour certaines parties du pays. Le National s'est rallié à ces propositions en automne [22].
De plus, l'administration fédérale s'est montrée fort intéressée au maintien de la taxe supplémentaire sur les carburants, instaurée en 1961 pour financer les routes nationales et progressivement majorée jusqu'en 1974. Selon le droit en vigueur, ce supplément doit être aboli dès que les avances de la Confédération au compte des routes nationales auront été remboursées, ce qui sera probablement le cas en 1983. Les départements concernés ont élaboré des propositions visant à assurer ces recettes qui dépassent un milliard de francs par an ; ils ont examiné du même coup la possibilité d'affecter plus librement le produit des droits d'entrée sur les carburants. Tandis que des milieux fédéralistes et ceux intéressés au trafic routier voulaient réserver ces recettes bientôt disponibles à la construction et à l'entretien des routes, nationales et cantonales, le Conseil fédéral s'est efforcé d'obtenir qu'elles soient affectées au comblement du déficit budgétaire. En été, le Conseil des Etats a adopté une motion allant dans le sens de la première solution. En revanche, le Conseil national a accédé, en automne, aux voeux du gouvernement, en transformant la motion en postulat, ce qui laisse les mains libres à ce dernier [23]. Un projet mis en consultation à la fin de l'année a prévu la poursuite de la perception du supplément de 30 centimes par litre sur les carburants et de l'utiliser dorénavant aussi à la couverture des autres dépenses de la Confédération pour le réseau routier. En outre, les droits d'entrée de base, dont les 60% ont servi jusqu'à présent à financer la construction de routes, seraient libérés de leur affectation, ce qui amènerait quelque 300 millions dans la caisse générale de la Confédération [24].
En ce qui concerne l'extension de l'ICHA à tous les agents énergétiques, aucune progression n'a été enregistrée. Bien que le Conseil fédéral ait renoncé à proposer un impôt spécial sur l'énergie dans son projet d'article constitutionnel, la commission du Conseil national compétente pour examiner l'extension de l'ICHA ne s'est pas hâtée outre mesure. Une certaine prudence était certes de rigueur avant la votation populaire sur le régime financier qui devait également augmenter le taux de l'ICHA [25].
En revanche, l'impôt sur la clientèle fiduciaire des banques, c'est-à-dire un impôt anticipé de 5% sur les avoirs fiduciaires des banques suisses, a été au centre des controverses. En mars, le Conseil des Etats a rejeté le projet du Conseil fédéral par 24 voix contre 14, suivant en cela la proposition de sa commission. Les principaux motifs de refus mentionnés sont l'absence d'une base constitutionnelle et la crainte d'un transfert des avoirs fiduciaires dans d'autres Etats. A propos de la constitutionnalité de cet impôt, le conseiller aux Etats Jean-François Aubert (pl, NE), professeur de droit constitutionnel, s'est toutefois prononcé en faveur du projet, tandis que la Banque nationale avait expliqué que le danger d'un exode de ces capitaux était minime. Une solution de rechange, proposée par la commission et consistant à soumettre les intérêts des emprunts étrangers à l'impôt anticipé, s'est à nouveau heurtée à l'opposition de l'institut d'émission [26].
En mai, la commission du Conseil national prit la même décision que les Etats. Pourtant, la chambre du peuple n'a pas suivi sa commission à la session de juin, ce qui a constitué une surprise. Bien que tous les groupes parlementaires bourgeois se fussent prononcés, dans leur majorité tout au moins, contre l'entrée en matière, le vote nominal révéla 101 voix pour et 88 contre. Aux voix de la gauche, se sont ajoutées celles de la majorité des démocrates-chrétiens, des indépendants, des évangéliques, ainsi que les voix de cinq radicaux de la Suisse latine. Cette décision fut prise, d'une part, sous l'impression que les affaires fiduciaires connaissaient une expansion incroyable et, d'autre part, parce qu'on pensait qu'elle faciliterait le soutien des socialistes au nouveau régime financier. Le projet profita également d'une proposition de compromis émanant du démocrate-chrétien saint-gallois Kaufmann et autorisant le Conseil fédéral à réduire ou à supprimer cet impôt en cas de fuite massive des avoirs fiduciaires [27]. La commission préparatoire organisa, en automne, des «hearings» avec des spécialistes du monde bancaire. Elle délibéra aussi au sujet d'une limitation du nouvel impôt aux déposants suisses (avoirs fiduciaires et emprunts étrangers) afin d'accentuer ainsi son caractère de mesure destinée à lutter contre l'évasion fiscale en Suisse [28]. Les banquiers couchèrent toutefois sur leurs positions et le conseiller fédéral Ritschard ne parvint pas à les faire changer d'avis, même au prix de son intervention lors de l'assemblée générale de leur association [29].
D'autres postulats dans le domaine fiscal n'ont pas eu leur origine première dans la quête de nouvelles recettes, mais dans le désir de modifier la répartition des charges. Dans les discussions relatives au régime financier, on avait, en effet, demandé une réforme de l'ICHA et de l'IFD. Pour ce qui est de l'ICHA, les deux Chambres avaient adopté une motion qui visait à supprimer les inégalités structurelles et les distorsions de la concurrence. Cela amena le DFF à instituer une commission d'experts. Ce faisant, il s'agit surtout de parvenir à supprimer la «taxe occulte» qui consiste dans l'imposition réitérée de certains composants du produit au cours du processus de production. Il en résulte pour le fisc un rendement supplémentaire, estimé à quelque 960 millions par an [30]. A propos de l'IFD, on a notamment revendiqué la correction de la progression à froid, inscrite dans la Constitution. En effet, cette correction n'est plus entièrement assurée depuis 1973, ce qui a rapporté à la Confédération un «gain» croissant dû à l'inflation. Pour 1981, on a estimé cegain à 800 millions [31]. Une motion, principalement contresignée par des représentants du PRD et de I'UDC, a préconisé une protection particulière des revenus les plus élevés. En effet, la charge totale représentée par les impôts de tous les trois niveaux, y compris les charges sociales, devrait être sensiblement inférieure à un plafond de 50% [32]. Le directeur des finances du canton de Zurich, J. Stucki (udc), s'est employé au Conseil des Etats à lutter contre certains cas de double imposition dans les arts et métiers et l'agriculture [33]. Des interventions préconisant des allégements en faveur des familles ainsi qu'une imposition plus forte des grands commerces de détail et des entreprises occupant une main-d'oeuvre étrangère sont traitées dans un autre contexte [34].
 
[20] Droits sur les carburants: initiative Schär (adi, ZH) de 1976 (APS, 1976, p. 102; Délib. Ass. féd., 1981, II, p. 11; cf. également APS, 1980, p. 98). Péages autoroutiers: initiative Schatz (prd, SG) de 1976 (APS, 1976, p. 102 ; 1980, p. 99; Délib. Ass. féd., 1981, II, p. 11). Péages pour les tunnels: initiative Weber (pdc, AG) de 1979 (APS, 1980, p. 99; Délib. Ass. féd., 1981, II, p. 15). Cf. également Vox, Analyses des votations fédérales, 29.11.81 (opinions).
[21] Cf. APS, 1980, p. 98 s. et BO CN, 1980, p. 1584 ss. Le CN avait voté en faveur des péages pour les autoroutes en 1978 déjà, lors des débats sur la réforme des finances fédérales (APS, 1978, p. 100).
[22] BO CN, 1981, p. 1202 ss., 1250 ss., 1280 ss. Pour la commission du CN, cf. Suisse, 126, 6.5.81; TA, 104, 7.5.81; presse du 11.7.81; FF, 1981, II, p. 1375 ss. Cf. infra, part, I, 6b (Gesamtverkehrskonzeption).
[23] BO CE, 1981, p. 322 ss. (acceptation de la motion Gadient, udc, GR); BO CN, 1981, p. 1299 ss. (retrait de l'initiative Schär, refus de la motion du CE). Cf. presse du 19.2.81; Vat., 173, 29.7.81; presse du 20.8.81; NZZ, 193, 22.8.81; Ww, 43, 21.10.81 ainsi que APS, 1980, p. 98. Cf. également infra, part. I, 6b (Gesamtverkehrskonzeption). Sur l'affectation des taxes fiscales, cf. H. Schmid, «Zur Frage der Zweckbindung von Steuern», in Wirtschaft und Recht, 33/1981, cahier 3/4, p. 117 ss.
[24] Presse du 26.11.81; NZZ, 289, 12.12.81.
[25] La commission a décidé d'entrer en matière et de procéder à des auditions d'experts (presse du 9.9.81). Les socialistes hésitaient à augmenter l'imposition des consommateurs tant que la clientèle des banques ne serait pas davantage chargée (24 Heures, 209, 9.9.81).
[26] BO CE, 1981, p. 112 ss. Les socialistes, quelques démocrates-chrétiens et J.-F. Aubert ont soutenu le projet (TLM, 78, 19.3.81). La Banque nationale considère les emprunts étrangers comme un des éléments de la politique monétaire. Cf. supra, part. I, 4b (Banken).
[27] Commission : presse du 5.5.81. Délibérations du CN : BO CN, 1981, p. 755 ss., 791. Cf. presse des 18 et 19.6.81. Pour le PDC, cf. Vat., 140, 20.6.81. Fin juillet 1981, les placements fiduciaires des banques suisses ont atteint le montant de 176 milliards de francs, le taux d'intérêt moyen s'élevant pour sa part à 15,2% (NZZ, 215, 17.9.81). La taxation pourrait donc rapporter — abstraction faite d'un exode de capitaux — environ 1 milliard de francs (TW, 218, 18.9.81).
[28] TA, 215, 17.9.81. L'impôt anticipé frappant des personnes domiciliées à l'étranger ne concerne pas forcément la fraude au détriment du fisc suisse.
[29] Presse du 26.9.81.
[30] TA, 189, 18.8.81. Cf. supra, Régime financier ainsi que NZZ, 37, 14.2.81; 46, 25.2.81. En revanche, on a proposé de soumettre les services, jusqu'alors exempts, à l'ICHA (BaZ, 31, 6.2.81).
[31] Bund, 206, 4.9.81; NZZ, 221, 24.9.81. Une motion du groupe radical invitant le CF à présenter des dispositions légales pour exécuter l'obligation constitutionnelle a été déposée (Délib. Ass. féd., 1981, p. 30). Un postulat Basler (udc, ZH) demande que les ressources provenant de la progression à froid figurent séparément dans les budgets et les comptes d'Etat (BO CN, 1981, p. 1328).
[32] Motion Basler (udc, ZH) : Aucune partie du revenu devrait être grevée à plus de 50% (Délib. Ass. féd., 1981, II, p. 36).
[33] Postulats concernant l'imposition des dividendes répartis par les petites sociétés anonymes privées et des indemnités dues aux enfants majeurs travaillant dans l'exploitation agricole de leurs parents (BO CE, 1981, p. 420 s., resp. 237).
[34] Cf. supra, part. I, 4a (Wettbewerb) et infra, part. I, 7d (Ausländische Bevölkerung, Familienpolitik).