Année politique Suisse 1981 : Infrastructure, aménagement, environnement / Sol et logement
 
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Au chapitre de la protection des locataires, l'essentiel des discussions ont porté sur le problème tant controversé des répercussions du taux d'intérêt hypothécaire sur les loyers ainsi que sur les mesures à prendre pour tenter d'assainir un marché immobilier passablement perturbé. En novembre 1981, l'indice des loyers a accusé une hausse de 4,6% (1980: 2,4%) par rapport au mois de mai de la même année, alors qu'entre novembre 1980 et mai 1981, elle avait été de 2,9% (1,6% entre mai et novembre 1980). En l'espace d'une année, le niveau des loyers s'est élevé de 7,6%. C'est le taux de renchérissement le plus important enregistré depuis le printemps 1975. Cette augmentation est imputable avant tout aux hausses successives des taux hypothécaires survenues en cours d'année, mais aussi à un accroissement des coûts dans le secteur de la construction. Pour la seule année 1981, les taux des anciennes hypothèques ont passé de 4,49% à 5,56% [28]. Par ailleurs, les annonces faites par différents établissements bancaires de majorer de 1/2 % l'intérêt à partir de mars 1982 ont été très mal accueillies tant par les milieux proches des locataires qu'au sein des propriétaires d'immeubles [29]. Les premiers se sont montrés particulièrement préoccupés par le rythme accéléré de ces augmentations —1/2% environ tous les six mois depuis deux ans — et s'en sont pris à la législation fédérale actuellement en vigueur. Ils ont dénoncé la pratique actuelle qui consiste à détourner de leur esprit les principes énoncés par l'arrêté fédéral du 30 juin 1972 qui institue les normes maxima délimitant les hausses abusives: augmentation maximale du loyer de 3,5% quand le taux hypothécaire varie de 1/4%. En effet, cette limite à ne pas franchir tend à devenir la référence habituelle pour répercuter pleinement sur les loyers tous soubresauts du taux hypothécaire (automatisme), alors qu'à l'inverse, devant le marché asséché qu'est le nôtre, les propriétaires ne sont pas toujours enclins à baisser les loyers lorsque leurs coûts diminuent. C'est également 'dans ce sens qu'est intervenu le conseiller national Nauer (ps, ZH). Auteur d'une motion, il demande au gouvernement de réexaminer les dispositions fixant les taux jusqu'à concurrence desquels les loyers peuvent être majorés à la suite d'un renchérissement ou d'une hausse du taux hypothécaire [30]. Tout en admettant que les banques ont d'excellentes .raisons pour accroître ainsi les taux, les propriétaires ont toutefois déploré la politique actuelle en matière de taux d'intérêt hypothécaire, sur lequel ils n'ont aucune prise, et les augmentations répétées qu'ils subissent autant que leurs locataires. C'est pourquoi ils ont suggéré aux banques et compagnies d'assurances, principales pourvoyeuses du marché hypothécaire, de stabiliser ces taux en différant leur politique d'amortissements, en rallongeant les délais des préavis pour les modifications de ces taux ou en pratiquant des prêts à taux fixes [31].
De nombreuses propositions ont été faites pour tenter de contenir quelque peu ces variations. Ainsi les milieux bancaires se sont déclarés favorables à l'introduction d'un taux d'intérêt hypothécaire fixe (entre 7 et 11 %) où à ce que la Banque nationale (BNS) accorde aux banques des crédits de refinancement plus avantageux en ce qui concerne les hypothèques. Par ailleurs, le Conseil fédéral a accepté d'examiner un postulat Uchtenhagen (ps, ZH) qui contient toute une palette de mesures, allant de la surveillance des prix à l'endiguement de l'exportation de capitaux, en passant par la création d'un fonds de stabilité pour compenser les risques entre les différentes catégories d'établissements bancaires [32].
Pour sa part, le gouvernement a soumis à l'appréciation des cantons, partis et organisations intéressées un avant-projet d'un groupe d'experts destiné à renforcer la protection des locataires. Reprenant en partie les idées contenues dans le contre-projet à une initiative populaire, qui tous deux avaient échoué en 1977 devant le peuple [33], ce document comporte deux grands volets. Il vise en premier lieu à modifier l'article 34septies de la Constitution, afin d'étendre à l'ensemble du pays la protection contre les loyers abusifs, qui n'est applicable à l'heure actuelle qu'aux seules régions affectées par la pénurie de logements. Deuxièmement, il cherche à renforcer la réglementation du CO en matière de congés injustifiés. L'innovation la plus importante consiste dans la limitation du droit du bailleur à résilier un contrat de location. Ce dernier ne sera autorisé à le faire que sous certaines conditions, par exemple lorsque le propriétaire a lui-même besoin des locaux ou lorsque la prolongation du bail empêche une «utilisation rentable de l'immeuble». Le juge aura en outre la faculté de casser une résiliation de bail injustifiée [34]. Pressentant les réactions que cette mesure pourrait susciter, l'avant-projet contient une variante qui reprend pour l'essentiel la réglementation actuelle. Si l'extension de la protection des abus à tout le territoire n'a guère été contestée, en revanche, le droit du juge d'annuler un congé injustifié a rencontré de vives oppositions. Alors que les organisations syndicales et de locataires se sont prononcées en faveur d'une telle mesure, les groupes patronaux et immobiliers y étaient hostiles. Quant aux cantons, seuls Genève et le Jura ont émis un avis positif [35]. En attendant que cette réforme entre en vigueur, le Conseil national a accepté de prolonger pour cinq nouvelles années l'actuelle législation sur les abus, non sans que la gauche ait tenté en vain d'y apporter un certain nombre de modifications [36]. Enfin les citoyens du canton de Vaud se sont dotés, à l'instar de Genève, d'un tribunal central des baux qui sera compétent pour trancher les litiges entre propriétaires et locataires [37].
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J.F.G
 
[28] La Vie économique, 54/1981, p. 808 ss.; 24 Heures, 153, 4.7.81; 303, 31.12.81 ainsi que supra, part. I, 4b (Geld- und Kapitalmarkt).
[29] NZZ, 216, 18.9.81; 233, 8.10.81; Bund, 231, 3.10.81; TLM, 317, 13.11.81.
[30] Motion Nauer: Délib. Ass. féd., 1981, II, p. 66; Vr, 95, 18.5.81; TW, 137, 16.6.81. Cf. APS, 1972, p.106.
[31] Milieux des locataires: 24 Heures, 130, 6.6.81 (F. Brélaz); VO, 27, 9.7.81; 46, 19.11.81; TW, 277, 26.11.81. Milieux des propriétaires : Ww, 42, 14.10.81; 24 Heures, 265, 15.11.81; NZZ, 291, 15.12.81. Voir également Ww, 6, 11.2.81; TA, 66, 30.3.81; 108, 23.5.81; Bund, 119, 23.5.81; BaZ, 153, 4.7.81.
[32] Banques: TA, 270, 20.11.81; NZZ, 275, 26.11.81; Suisse, 330, 26.11.81; JdG, 283, 4.12.81. Postulat Uchtenhagen : BO CN, 1981, p. 1751 s. ; BaZ, 256, 2.11.81; 257, 3.11.81. La discussion du posttilat a été renvoyée par le CN. Voir également TA, 264, 13.11.81; L'Hebdo, 11, 20.11.81.
[33] Cf. APS, 1977, p. 113 s.
[34] Cette première variante correspond en gros aux exigences formulées par la Fédération suisse des locataires dans une initiative populaire lancée en novembre 1980. Cf. APS, 1980, p. 111.
[35] Presse du 5.2.81; NZZ, 140, 20.6.81; JdG, 208, 7.9.81; Suisse, 336, 2.12.81 (résultats de la procédure de consultation). Une motion Muheim (ps, LU) a rappelé au CF son mandat constitutionnel de présenter un projet de loi visant à déclarer force obligatoire les contrats-cadres entre les associations de bailleurs et de locataires. Se référant aux opinions contradictoires exprimées par les milieux concernés et à la réforme entamée par le gouvernement, le CF Honegger a proposé de transformer la motion en postulat, ce qui a été approuvé par le CN (BO CN, 1981, p. 644 ss., cf. APS, 1972, p. 107; 1976, p. 113).
[36] FF, 1981, II, p. 201 ss.; BO CN, 1981, p. 1453 ss.; presse des 30.4 et 2.12.81.
[37] Le souverain vaudois a donc accepté l'initiative, déposée en 1979 par l'Association vaudoise des locataires, et non le contre-projet comme le souhaitaient les partis bourgeois. Cf. TLM, 344, 345, 10-11.12.81; 348, 14.12.81.