Année politique Suisse 1981 : Politique sociale / Santé, assistance sociale, sport
Politique de la santé
La mise en relation de ces éléments qualitatifs avec le volet financier de la politique de la santé apparaît donc aléatoire, à l'heure actuelle
[2]. Or, le besoin d'un tel tableau est largement reconnu, car l'expansion des dépenses a cessé d'être considérée comme un signe indiscutable de l'amélioration du niveau de vie. Les dépenses pour les services médicaux, où sont inclus les achats de médicaments, les frais de thérapie, les coûts des soins hospitaliers et des soins médicaux, dentaires et paramédicaux, auraient atteint 13 milliards de francs en 1980; en quinze ans, la part de ces dépenses au produit national brut aurait plus que doublé. L'évolution des prix est la plus frappante; si, de 1960 à 1978, les prix moyens pour la consommation privée se sont accrus d'un peu plus de 100%, ceux des services médicaux ont augmenté de plus de 200%. Ce gonflement se reflète dans la part du revenu affecté par les ménages aux soins médicaux: elle a progressé plus fortement que le revenu lui-même
[3].
Cette évolution entraîne les institutions dont les prestations sont soutenues par des contributions publiques dans une situation délicate. Les
caisses-maladie, en tout premier lieu, sont frappées par les mesures d'économie de la Confédération. Les six plus importantes ont accumulé en 1981 un déficit proche des 200 millions. A ce niveau, l'accent a été mis sur la hausse des coûts médico-pharmaceutiques, qui représentaient plus de 70% des 5,26 milliards déboursés par l'ensemble des caisses
[4]. A Genève et en Argovie, après la fin de non-recevoir opposée par les caisses aux nouvelles prétentions des médecins, les exécutifs cantonaux ont fixé eux-mêmes les tarifs des honoraires, avec pour conséquence que les associations cantonales des caisses ont adressé au Conseil fédéral une plainte contre leur gouvernement respectif
[5]. Une augmentation des primes est devenue nécessaire. Suivant les caisses et la date de la précédente adaptation, elle pourrait atteindre 30%. A cela viendra s'ajouter la hausse d'ores et déjà attribuée à la révision en cours de la loi sur l'assurance-maladie (LAM)
[6]. Dans son projet, le gouvernement s'est pourtant donné pour priorité d'endiguer le développement des coûts de la santé. Il se propose d'y parvenir à l'aide d'une gamme de mesures particulières, au centre desquelles se trouvent les notions de responsabilité des utilisateurs et de saine gestion des services
[7].
Les caisses-maladie envisageaient une intervention plus marquée de l'Etat: l'idée d'instaurer une surveillance fédérale des prix de la santé, reprise par une motion socialiste, n'a cependant pas plu au gouvernement. Par contre, il a accueilli favorablement le principe d'une conférence chargée d'étudier les économies réalisables, en collaboration avec toutes les associations faîtières et les entreprises concernées
[8]. L'industrie pharmaceutique a vivement contesté que l'inflation enregistrée dans le secteur de la santé soit imputable au prix des médicaments. Forte d'une expertise juridique, elle s'est élevée contre la pratique actuelle de l'Office fédéral des assurances sociales en matière de contrôle des spécialités admises aux caisses. Le Conseil fédéral, dont le projet de révision de la LAM attribue justement un caractère économique à ce contrôle, ne peut partager le point de vue des producteurs, pour qui prime la liberté du commerce et de l'industrie
[9].
Cette liberté fondamentale apparaît encore au coeur des polémiques entre médecins et pharmaciens, à Lucerne et Zurich. Ces deux cantons sont, en effet, au nombre de ceux qui autorisent la vente des médicaments dans les cabinets médicaux. La révision de la loi lucernoise sur la santé n'a rien changé à cette pratique, et les pharmaciens ont lancé un référendum. A Zurich, c'est le corps médical qui s'est opposé aux restrictions imposées à ce commerce par la nouvelle loi sur la santé
[10]; il a combattu une autre modification essentielle, suivant laquelle les psychothérapeutes non-médecins, mais disposant d'une formation équivalente, auraient été autorisés à soigner des malades psychiques. Les caisses, pour leur part, n'entendent pas ouvrir sans autre un nouveau robinet, et se sont adressées au Conseil fédéral pour qu'il détermine les conditions auxquelles elles devront financer les services de cette profession
[11].
Malgré les coûts supplémentaires prévisibles, la
promotion de l'égalité de traitement entre maladies psychiques et physiques ainsi qu'entre maladies chroniques et atteintes physiques momentanées, dans le domaine des assurances sociales spécialement, suscite un intérêt soutenu
[12]. L'Alliance des indépendants avance une proposition de cet ordre dans le concept de politique de santé qu'elle a présenté, à son tour, au début de l'année. Dans ce document, elle soutient aussi la thèse que le problème des coûts ne sera réglé que si une prime à l'économie est incorporée aux prestations. Un système nord-américain, le Health Maintenance Organization (HMO), lui semble répondre à cette exigence, car chaque HMO réunit en une seule et même institution indépendante caisse mutuelle et services de soins médicaux
[13]. L'adaptation de cette formule aux conditions suisses représenterait une profonde mutation. Pour le moment, l'état d'esprit qui a inspiré une telle proposition, et qui participe d'une tendance favorable au retrait de l'Etat, n'a contribué qu'à des modifications prudentes. Certes, l'expansion du secteur hospitalier, où l'augmentation des prix est la plus marquée, éveille un certain scepticisme et les gestionnaires des établissements sont déterminés à mieux tenir compte des critères économiques
[14]. Certes, la proportion excessive de spécialistes dans le corps médical est prise en considération dans les nouvelles ordonnances concernant les règlements des examens des professions médicales
[15]. La préoccupation financière entrave néanmoins la diffusion, dans le monde politique, des réflexions qui détachent la politique de santé de la seule médecine. Par le report des frais médicaux, en dernier ressort, sur la personne du patient, c'est à la responsabilité du citoyen-consommateur qu'il est fait appel pour restreindre le coût social de la maladie. Le projet de nouvelle LAM n'en néglige pas pour autant la prévention et le dépistage; il prévoit la prise en charge par les caisses de certaines prestations de ce genre
[16].
[2] Une recherche entreprise sous l'égide du Fonds national devrait faire, d'ici 1985, quelque lumière sur cette relation (Suisse, 150, 30.5.81; TLM, 288, 15.10.81).
[3] Indicateurs sociaux pour la Suisse, vol. I, p. 82; BaZ, 200, 28.8.81, 205, 3.9.81; VO, 37, 17.9.81 (médecins progressistes); Bund, 263-267, 10-14.11.81. Voir également «Où va la santé publique suisse?», in Bulletin des médecins suisses, 24, 17.6.81. Cf. APS, 1979, p.140; 1980, p.126.
[4] Lib., 248, 29.7.81; Bund, 201, 29.8.81; TA, 247, 24.10.81. Renchérissement: TLM, 3, 3.1.81; TW, 3, 6.1.81; Bund, 4, 7.1.81; RFS, 1/2, 13.1.81; SAZ, 3, 22.1.81; Schweiz. Krankenkassen-Zeitung, 9, 1.5.81. Déficit des caisses: NZZ, 189, 18.8.81; TA, 189, 18.8.81; BaZ, 192, 19.8.81; cf. postulat Miville (ps, BS) concernant les travaux de laboratoires exécutés par les médecins, in BO CE, 1981, p. 329 s., et A. Bernet, «Die Arzneimittel in der Krankenversicherung», Schweiz. Zeitschrift für Sozialversicherung, 25/1981, p. 32 ss.
[5] Genève: JdG, 6 et 7, 9-10.1.81, 25 et 26, 31.1.-2.2.81; 36, 13.2.81; 142, 22.6.81; Domaine public, 575, 15.1.81; Bulletin des médecins suisses, 3, 21.1.81; Tout va bien, 96, 13.2.81; 114, 26.6.81; 124, 16.10.81. Argovie: Vat., 84, 10.4.81; 172, 28.7.81; AT, 112, 15.5.81; 139, 18.6.81; 156, 8.7.81; 167, 21.7.81; 249, 24.10.81. Cf. L'Hebdo, 13, 4.12.81.
[6] Augmentation des primes: NZZ, 194, 24.8.81; Suisse, 237, 25.8.81; TLM, 237, 25.8.81; cf. interpellation du groupe socialiste in BO CN, 1981, P. 1771 s. et Domaine public, 602, 27.8.81.
[7] FF, 1981, II, p. 1069 ss. (chiffre 223); presse du 28.8.81; cf. infra, part. I, 7c (Assurance-maladie).
[8] Surveillance des prix: Schweiz. Krankenkassen-Zeitung, 3, 1.2.81 (von Schroeder); Vat., 26, 2.2.81; USS, 5, 4.2.81; Vr, 36, 20.2.81; TA, 70, 25.3.81; motion Renschler (ps, ZH) in BO CN 1981, p.1308 s. (adoptée comme postulat). Conférence: Bund, 64, 18.3.81; TLM, 232, 20.8.81; TW, 193, 20.8.81; NZZ, 282, 4.12.81; postulat Renschler in BO CN 1981, p.1320 s.
[9] Expertise: R. A. Rhinow, avec la collaboration de S. Imbach, « Preisaufsicht des Bundes bei Arzneimitteln », in Wirtschaft und Recht, 34/1981, cahier 1, p. 1 ss.; NZZ, 126, 1.6.81. Industrie chimique: NZZ, 216 et 217, 18-19.9.81; BaZ, 225, 26.9.81; SAZ, 43, 29.10.81; voir motion Früh (prd, AR) in BO CN 1981, p.1311 s. (adoptée comme postulat). Cf. encore l'avis de la Commission des cartels (presse du 16.9.81) et Pharma Information, Das Gesundheitswesen in der Schweiz. Leistungen, Kosten, Preise, Basel 1981.
[10] Vente des médicaments : BaZ, 17, 21.1.81; 106, 8.5.81; JdG, 108, 11.5.81 (A. Bédat); Domaine public, 592, 21.5.81; postulat Miville (ps, BS) in BO CE, 1981, p. 328 s. Zurich: Bund, 162, 15.7.81; NZZ, 192, 21.8.81; 196, 26.8.81; 198, 28.8.81; 201, 1.9.81; 243, 20.10.81; TA, 296, 21.12.81. Lucerne : LNN, 130,6.6.8l;203, 3.9.81; Vat., 190, 19.8.82
[11] Caisses: NZZ, 78, 3.4.81; 131, 10.6.81; 137, 17.6.81; TA, 123, 30.5.81; BaZ, 125, 1.6.81; 140, 19.6.81; 150, 1.7.81; Schweiz. Krankenkassen-Zeitung, 12,16.6.81; 14/15, 16.7.81. Psychiatres et psychothérapeutes: NZZ, 151, 3.7.81; 154, 7.7.81; 160, 14.7.81; 172, 28.7.81.
[12] Maladies psychiques: TA, 183 et 184, 11-12.8.81. Maladies chroniques: cf. motion Günter (adi, BE) in BO CN, 1981 p. 1307 s.
[13] Adl: presse du 18.2.81; BaZ, 205, 3.9.81. HMO: Bund, 123, 29.5.81; Bulletin des médecins suisses, 34, 26.8.81. Voir aussi les propositions du prof. S. Borner in Ww, 36, 2.9.81. Cf. APS, 1979, p. 141.
[14] TLM, 80, 21.3.81; Suisse, 147, 27.5.81; JdG, 127 et 128, 3-4.6.81; NZZ, 238-240, 14-16.10.81; 294, 18.12.81. Voir, par ailleurs, le message du CF concernant l'octroi de subventions aux écoles de personnel soignant (FF, 1981, III, p. 1085 ss.).
[15] FF, 1981, I, p. 127 ss.; BO CN, 1981, p. 1609 ss.; BO CE, 1981, p. 421 ss. et 540; presse du 20.1.81, du 9.10.81 et du 15.12.81. Appréciations critiques: BaZ, 48, 26.2.81; 214, 14.9.81; 24 Heures, 48, 27.2.81; LNN, 211, 12.9.81; NZZ, 213, 15.9.81; cf. Bulletin des médecins suisses, 5, 4.2.81. Cf. infra, part. I, 8a (Hochschulen).
[16] FF, 1981, II, p. 1094. En AG, la médecine préventive reçoit un poids accru dans Das Gesundheitswesen als umfassendes System. Thesen zum Aargauischen Gesundheitswesen, Aarau 1981. Voir aussi l'expérience de prévention cardio-vasculaire à grande échelle, menée sur plusieurs années, à Nyon et Aarau (L'Hebdo, 16/17, 25.12.81). Cf. APS, 1980, p. 126.
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