Année politique Suisse 1981 : Politique sociale / Assurances sociales
Système de sécurité sociale
Hétéroclite, disparate, lacunaire, manquant parfois singulièrement de coordination entre ses différentes composantes, notre système de sécurité sociale cristallise en son sein l'état endémique des rapports de force qui l'ont progressivement constitué. Les années d'abondance (1960—74) avaient certes laissé entrevoir les fondations d'un ensemble cohérent de prévoyance sociale. L'euphorie économique une fois évanouie, les assurances sociales ont directement pâti du retournement de la conjoncture. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le développement des prestations ne semble possible qu'en période de croissance économique, alors que c'est en phase de récession qu'elles s'avèrent le plus nécessaires
[1]. Au cours de ces six dernières années, l'enjeu financier a en effet étouffé toute velléité de réforme substantielle. Certes
les montants consacrés aux assurances sociales sont considérables; ils auraient dépassé les 32 milliards au cours de la seule année 1979. La sécurité sociale représente donc une charge importante pour l'ensemble de la collectivité
[2]. Et pourtant, simultanément, de par son caractère d'épargne collective forcée, la sécurité sociale constitue également un facteur économique «dynamisant». Au terme de 1980, on estimait que l'ensemble des caisses de prévoyance avaient investi quelque 80 milliards, répartis en différentes formes de placements. Dès lors, bien qu'onéreux pour la collectivité, notre système de protection sociale tend à devenir un secteur décisif de l'économie en raison de l'importance des capitaux susceptibles d'être investis
[3].
Si les intérêts engagés sont considérables et expliquent partiellement un certain attentisme politique, des voix toujours plus nombreuses s'en prennent à la structure de notre système de sécurité sociale. En 1981,
trois études — de S. Borner, W. Schweizer et P. Gilliand —
ont remis en cause ses fondements, partiellement ou en totalité. Dans son exposé, le professeur S. Borner de l'Université de Bâle a jugé notre système de sécurité sociale mal adapté et a estimé que des réformes spécifiques devaient être entreprises pour lui donner un caractère plus conforme aux besoins
[4]. A la suite de cette prise de position, une question a été posée au Conseil fédéral, lui demandant de s'exprimer sur la pertinence de ces accusations. Ce dernier a contesté l'allégation selon laquelle notre système de prévoyance était inadéquat. Il a précisé que des améliorations pourraient encore être apportées, mais dans une mesure compatible avec les contraintes financières, économiques, sociales et politiques
[5]. D'autre part, dans le prolongement de deux autres recherches — menées sur la situation des rentiers en Suisse — trois interventions parlementaires ont été enregistrées.
Cette fébrilité dans la chrysalide parlementaire trahit l'inquiétude et l'exaspération grandissante — non seulement du monde politique — face aux critiques réitérées de certains chercheurs contre les institutions sociales helvétiques. Peut-être est-ce là également le signe tangible des difficultés que rencontrent bon nombre de parlementaires à saisir la portée de certains projets par trop «techniques»
[6].
Les questions soulevées par ces deux analyses sont certes fort complexes. Les polémiques auxquelles ont donné lieu les résultats en sont la preuve. Ainsi en va-t-il de l'étude menée par W. Schweizer sur les données de la prévoyance-vieillesse professionnelle. Cette dernière a abouti aux déductions suivantes: le principe des trois piliers, adopté en votation populaire en 1972 (art. 34quater de la Constitution), ne correspond pas à la réalité sociale. Le substrat de la critique touche l'axiome selon lequel le rentier aurait besoin de 60% de son dernier salaire afin de maintenir son niveau de vie antérieur. D'après l'auteur, ce ne sont pas moins de 77% qui seraient en moyenne nécessaires, les revenus les plus bas (au-dessous de 18 000 francs par an) requérant même 82%
[7]. Dans son interpellation au Conseil national, A. Muheim (ps, LU) s'est vigoureusement élevé contre des conclusions qu'il a qualifiées de contestables, partiales, erronées. En réponse à cette prise de position le Conseil fédéral a réaffirmé que le système des trois piliers était viable, même si, en raison du retard pris dans les travaux parlementaires, la prévoyance professionnelle était moins développée que les deux autres piliers
[8].
Les deux autres interpellations parlementaires étaient l'oeuvre des socialistes fribourgeois J. Riesen (Conseil national) et O. Piller (Conseil des Etats)
[9]. Toutes deux se référaient à une recherche menée par le professeur lausannois P. Gilliand, qui a mis en lumière les profondes disparités existant entre les diverses catégories de rentiers compte tenu du sexe, de l'âge, de la profession ou encore du lieu de résidence. Ces révélations, quoique partielles, ont sérieusement remis en cause les résultats publiés deux ans auparavant par W. Schweizer, dont on avait hâtivement déduit que les rentiers, en moyenne, vivaient dans l'aisance
[10].
[1] Sur la genèse des assurances sociales en Suisse, cf. A. Maurer, « Landesbericht Schweiz», in Ein Jahrhundert Sozialversicherung in der Bundesrepublik Deutschland, Frankreich, Grossbritannien, Österreich und der Schweiz, Berlin 1981, p. 731 ss. Voir aussi les propositions de réforme de la Fédération des sociétés de secours mutuels de la Suisse romande (Lib., 184, 12.5.81).
[2] B. Horber, «La politique sociale dans l'optique des arts et métiers», in La Vie économique, 55/1982, p. 45 s. ; cf. Domaine public, 611, 29.10.81; H. P. Tschudi, «Der Sozialstaat als Aufgabe», in Rote Revue, 60/1981, no 12, p. 19 ss. Cf. également «Programme de travail de l'USS pour les années 80», VI, Politique sociale, in Revue syndicale suisse, 73/1981, p. 93 ss. Voir enfin APS, 1980, p.128 s.
[3] Cf. APS, 1978, p. 127. Institutions de prévoyance: RCC, 1980, p.110 ss. ; JdG, 11, 15.1.81. Sur la question du placement des fonds, cf. Suisse, 275, 2.10.81; «Wohnbau statt Volkspension», in Rote Revue, 60/1981, no 11, p. 16 ss.
[4] S. Borner, «Hat die soziale Sicherheit vor der Zukunft Bestand?», in SAZ, 23, 11.6.81. (conférence prononcée devant les délégués de l'Union centrale des associations patronales). Voir à ce propos: BaZ, 117, 21.5.81; NZZ, 116, 21.5.81; SGT, 118, 22.5.81; TW, 118, 22.5.81; 130, 6.6.81; USS, 20, 3.6.81; Ldb, 128, 6.6.81.
[5] Intervention du CN H. Oester (pep. ZH) et réponse du CF: BO CN, 1981, p. 1760.
[6] Cf. à ce propos exposé du prof. B. Zanetti, devant l'Association suisse de politique sociale en juin 1981, cité in Caisse-maladie et accidents chrétienne sociale, 32/1981, no 8, p. 5.
[7] W. Schweizer, Probleme der beruflichen Altersvorsorge aus der Sicht empirischer Untersuchungsergebnisse, Zürich 1981. Voir à ce propos BaZ, 130, 6.6.81; Bund, 130, 6.6.81; Lib., 205, 6.6.81; 24 Heures, 130, 6.6.81. Sur la votation populaire de 1972, cf. APS, 1972, p. 122 s.; sur l'axiome des 60%, voir APS, 1976, p. 132.
[8] Interpellation Muheim et réponse du CF in BO CN, 1981, p. 1758 ss.; RCC, 1981, p. 310 s. et 484 s. Cf. également la critique du CN Muheim in TW, 151, 2.7.81.
[9] Interpellations: Délib. Ass. féd., 1981, III, p. 67 et IV, p. 77.
[10] P. Gilliand, «Revenu et fortune des rentiers AVS, un dossier explosif», in Le Monde du travail, no 94, nov. 1981. Voir également presse du 18.11.81 ainsi que Domaine public, 611-614, 29.10-19.11.81 et réactions à cette publication in Freie Schweizer Presseinformation, 26.11.81; SAZ, 48, 3.12.81; USS, 36, 18.11.81. Pour les résultats et controverses relatives à la première étude de W. Schweizer cf. APS, 1979, p. 143 s.; 1980, p. 129, note 3.
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