Année politique Suisse 1981 : Politique sociale / Assurances sociales
 
Prévoyance professionnelle
Sans être spectaculaire, le développement de la prévoyance professionnelle reste malgré tout constant. De 1970 à 1978 le nombre des assurés a progressé de 11 %. Néanmoins l'effort à fournir reste considérable, près de 800 000 salariés n'étant pas encore affiliés à une institution de prévoyance. L'achèvement de la loi sur le deuxième pilier s'avère donc urgent [24].
Après avoir subi le verdict du Conseil des Etats, la loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) a été réexaminée par la chambre du peuple. Devant les importantes différences de conception, et sur proposition du Conseil fédéral, c'est le texte de la chambre des cantons qui a servi de base à la procédure d'élimination des divergences. Sans créer véritablement de surprise, la commission du National a entériné les principales options du Conseil des Etats. Lors des débats, le Conseil national s'est, pour l'essentiel, rallié aux propositions de sa commission.
Il est peut-être exagéré de parler de nouvelle conception de la prévoyance professionnelle, cependant il faut reconnaître que les modifications fondamentales apportées au projet adopté par le Conseil des Etats, et confirmées par le National, ne permettent pas de remplir le mandat constitutionnel dans l'immédiat. Le but fixé, garantir à chaque rentier au minimum 40% du salaire moyen coordonné des trois dernières années, sera donc atteint en plusieurs étapes [25]. A l'origine de ces bouleversements, la substitution du concept de primauté des cotisations à celui de primauté des prestations. En fait, c'est le principe de solidarité qui a été en grande partie sacrifié sur l'autel de ce revirement.
Toutefois, une entorse au principe de la prééminence des cotisations a été risquée par le National au bénéfice de la génération d'entrée. Ainsi des prestations minimales devraient être garanties aux personnes n'ayant cotisé qu'entre un et neuf ans lors de leur mise à la retraite. Ce sont essentiellement des personnes de condition modeste qui seraient touchées par cette mesure. Pour faire face à ces dépenses, chaque institution de prévoyance aurait l'obligation d'opérer une ponction d'un pour cent sur l'ensemble de la masse des salaires assurés [26]. Lors des délibérations au National une autre divergence est apparue. Elle avait trait au calcul des bonifications de vieillesse. Dans leur majorité, les conseillers nationaux ont désiré rétrécir et modifier la fourchette calculée en pour cent du salaire coordonné. Ainsi, au lieu de sept paliers s'étendant de 6 à 22%, la chambré du peuple a préféré quatre niveaux de 7 à 18%. On s'est donc gardé de trop pénaliser, sur le marché de l'emploi, les classes plus âgées des travailleurs [27].
En matière d'indexation au renchérissement, par contre, le National a entériné la décision du Conseil des Etats. Garantie pour les invalides et les survivants, la compensation de la hausse du coût de la vie ne devrait se faire que dans la mesure des possibilités financières des caisses de pension pour ce qui est des rentes vieillesse. C'est là une des conséquences de l'abandon du fameux «pool» de péréquation des charges. Dans cette hypothèse les rentes ne seraient guère protégées contre l'érosion due à l'inflation et au renchérissement [28]. L'impression dominante de ces dix-sept heures de débats d'une complexité déroutante aura été celle du consensus autour d'une première étape. Certes, de nombreux affrontements ont émaillé l'examen des différents articles de la loi. C'est ainsi que les socialistes se sont déclarés conscients que le modèle discuté ne répondait pas au mandat constitutionnel. A leurs yeux, cependant, la mise en vigueur de la loi ne pouvait plus être différée sans causer d'importants préjudices aux classes de rentiers à la veille de la retraite [29]. Les groupes parlementaires de gauche ont tout de même proposé une série d'amendements. Ainsi, dans l'idée de venir en aide aux infirmes et aux femmes travaillant à mi-temps, les socialistes, appuyés par une importante fraction du PDC, ont demandé un abaissement des limites du revenu minimal pris en compte pour le calcul du deuxième pilier. Les porte-parole du patronat, les radicaux U. Ammann (BE) et H. Allenspach (ZH), ont pour leur part estimé qu'il s'agissait là d'une surassurance pour les bas salaires, l'AVS couvrant correctement cette catégorie de revenus. Le Conseil national leur a donné raison [30].
Les syndicats, comme les partis progressistes, se sont montrés déçus par les choix du Conseil national. Ils ont relevé l'étiolement de la solidarité dans le nouveau système et se sont offusqués devant le peu de considération relative aux promesses faites lors de l'acceptation de l'article constitutionnel. Sur ce point toutes les parties sont tombées d'accord. Certaines voix patronales ont en effet reconnu que la formulation de l'article 34quater avait éveillé des espoirs excessifs. Le côté par trop progressiste s'expliquait par la nécessité de contrer l'initiative «pour de véritables retraites populaires». Les partis bourgeois ont relevé le côté réaliste et réalisable du projet adopté par la chambre du peuple. Selon eux, il eût été insupportable pour les entreprises d'appliquer l'article constitutionnel. Pudiquement il a été déclaré que la loi respectait le mandat constitutionnel, mais dans le souci de son impact économique [31].
 
[24] Enquête sur l'état de la prévoyance professionnelle en 1978: cf. RCC, 1981, p. 14 ss.; Bulletin patronal vaudois, févr. 1981, p. 5; NZZ, 302, 30.12.81.
[25] Ces 40%, concourant avec les prestations de l'ANS, auraient dû permettre aux personnes âgées de maintenir de façon appropriée leur niveau de vie antérieur, comme le prévoit l'article 344uaterde la Constitution. Cet objectif devrait être atteint dans un délai de 10 à 20 ans. Pour la genèse de la loi se rapporter à APS, 1978, p. 129 s.; 1979, p. 146 s.; 1980, p. 131; Suisse, 14, 14.1.81; J.J. Pfitzmann, «Le futur régime obligatoire de la prévoyance professionnelle», in Revue suisse des assurances sociales, 1981, no 2, p. 81 ss.
[26] BO CN, 1981, p. 1006 ss. et p. 1083 ss. La réserve ainsi créée par chaque caisse pourrait également servir à d'autres mesures spéciales. En dernier lieu, elle pourrait atténuer quelque peu les méfaits du renchérissement. Pour la version du CE: APS, 1980, p. 131s.
[27] Les quatre niveaux étant respectivement pour les hommes et les femmes: 25-34, 35-44, 45-54, 55-65 et 25-31, 32-41, 42-51, 52-62 ans, avec des pourcentages successifs de 7, 10, 15 et 18. Cf. BO CN, 1981, p.1044 ss. et presse du 25.9.81; Bund, 225, 26.9.81; JdG, 225, 26.9.81.
[28] BO CN, 1981, p. 1112 ss. et presse du 30.9.81. Toutefois, la révision, programmée dix ans après la mise en vigueur de l'actuelle loi, devrait corriger quelque peu ces effets.
[29] PSS: 24 Heures, 213, 14.9.81; 221, 24.9.81; NZZ, 216, 18.9.81; CdT, 218, 24.9.81; TW, 223, 24.9.81; Vr, 197, 12.10.81 (CN Zehnder, ps, AG); Bund, 243, 17.10.81 (ancien CF Tschudi). Les socialistes comptent sur les prochaines révisions législatives (10e révision de l'AVS, etc.) pour améliorer la situation.
[30] La fourchette salariale entrant en considération pour le calcul des cotisations/prestations de la LPP s'établit entre 14 880 et 44 640 francs. Pour les propositions socialistes voir BO CN, 1981, p. 1033 ss. Allenspach et Ammann: BO CN, 1981, p. 1035 s. Voir aussi presse du 25.9.81.
[31] USS: TW, 232, 5.10.81; USS, 30, 7.10.81. PdT: TLM, 274, 1.10.81; VO, 39, 1.10.81; 40, 8.10.81. PRD: 24 Heures, 213, 14.9.81; Service libre d'information, 35, 24.9.81; 36, 1.10.81 (P.-F. Barchi); BaZ, 247, 22.10.81; SHZ, 50, 10.12.81. PL: JdG, 223, 25.9.81; 225, 28.9.81. La loi après l'élimination des divergences au CN: RCC, 1981, p. 379 ss.