Année politique Suisse 1982 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
 
Principes directeurs
Dans la perspective de la votation populaire qui décidera de la candidature de notre pays à l'ONU, cette image de désordres et de déséquilibres a provoqué des réactions contrastées; l'accumulation, à travers le monde, des violations des droits de l'homme et des atteintes à la souveraineté des Etats a contraint le gouvernement à préciser en diverses occasions les principes qui régissent nos relations extérieures [2].
Le mouvement pour la paix inspiré par la menace atomique qui pèse sur l'Europe s'est aussi fait entendre à l'encontre d'autres formes de violence. En janvier, une grande manifestation a eu lieu à Genève pour montrer aux ministres des affaires étrangères des deux grandes puissances, attendus dans cette ville, que les Européens et les peuples opprimés étaient déterminés à abolir les armes nucléaires et à résister à toute intervention de leur part. A Pâques, les pacifistes ont organisé une semaine d'action à travers le pays et une vaste marche symbolique dans la région bâloise. Derrière ces rassemblements, de nombreuses organisations — mouvements chrétiens, syndicats, PS, petits partis de gauche, groupes féministes et tiers-mondistes ainsi que diverses associations locales — ont affirmé leur appartenance au courant d'opposition. Par contre, le Parti du Travail (PdT) n'a pas admis que la paix et l'autodétermination des peuples soient mises sur le même pied, raison pour laquelle, à Genève, il s'est distancé des organisateurs du collège [3].
Vis-à-vis de la Suisse elle-même, le mouvement a soulevé des questions diverses, comme l'obligation du service armé, les conceptions traditionnelles en matière de sécurité internationale et l'apport de la politique étrangère helvétique au progrès de la paix. Tandis que les milieux d'officiers, le PRD et des représentants de l'UDC répondaient avec assurance en faveur des principes en vigueur, les milieux socialistes et démocrates-chrétiens participaient à l'approfondissement des interrogations pacifistes. Au cours de séminaire de cadres et au travers des programmes formulés par les organisations de jeunesse du PS et du PDC, certaines aspirations se sont faites jour en faveur d'une politique étrangère encore plus active, spécialement sur le plan multilatéral et envers les non-alignés. Les thèses publiées par le PRD ont également proposé de mieux exploiter la marge de manoeuvre internationale de la Suisse en faveur de la paix. Toutefois, les radicaux analysent la situation de notre pays en termes stratégiques et leur première conclusion est que la politique de sécurité doit rester l'essentiel de l'apport de la Suisse à la prévention des conflits armés. C'est précisément cette façon de penser que les socialistes — partagés entre le neutralisme représenté en République fédérale allemande (RFA) par l'aile gauche des sociaux-démocrates et la doctrine de dissuasion, que n'a d'ailleurs pas reniée le gouvernement français — ont voulu éviter d'emprunter. Dans un discours à l'adresse du bureau de l'Internationale socialiste réuni à Bâle pour y commémorer le congrès pacifiste de 1912, le conseiller fédéral W. Ritschard a relevé la signification de la proclamation de défiance envers la politique officielle émise par les manifestants pour la paix [4].
Au Conseil national, le chef du DFAE, P. Aubert, a déclaré, en réponse à une interpellation de son parti, que le mouvement pacifiste serait inutile aussi longtemps que ses adhérents ne pourraient pas s'exprimer également à l'Est. Quant au désarmement, le responsable des affaires étrangères a souligné que le rétablissement du dialogue politique entre l'Est et l'Ouest ainsi qu'un certain degré de confiance constituaient le préalable pour que des négociations aient quelque chance d'aboutir. A cet égard, le Conseil fédéral a salué les efforts entrepris à Genève par les Américains et les Soviétiques, et il s'est prononcé en faveur du rétablissement de l'équilibre militaire en Europe «au niveau le plus bas possible» [5].
Plusieurs parlementaires ont demandé que l'engagement helvétique en faveur de la paix soit renforcé par l'intermédiaire des bons offices. Ainsi, le gouvernement s'est vu invité à examiner la façon dont la Suisse pourrait assumer la surveillance d'un éventuel accord de réduction des armements entre les deux Grands. Par contre, il n'a pas admis l'idée que des mesures devraient être prises, notamment dans le domaine du personnel, pour rendre le recours à nos missions traditionnelles plus attractif aux yeux de l'étranger; si les nations ont moins recours à nos bons offices, a-t-il précisé, c'est parce que la polarisation croissante des rapports entre le Tiers-monde et les pays développés a créé de nouveaux problèmes pour la politique de neutralité, et surtout que les organisations internationales fournissent de plus en plus souvent elles-mêmes ce genre de services. Loin d'entraver nos activités en matière de règlement pacifique des différends, a ajouté ailleurs l'exécutif fédéral, l'adhésion de la Suisse à l'ONU donnerait des occasions de mieux les mettre en valeur [6].
Dans le courant de l'année, le gouvernement a accepté deux nouvelles missions. A la demande de Londres, il a pris en charge les intérêts britanniques en Argentine depuis le début du conflit des Malouines. Une autre opération, d'apparence classique, s'est avérée inédite et délicate : par l'intermédiaire du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), sept soldats soviétiques capturés par les combattants afghans ont été transférés en Suisse pour y être internés pendant deux ans. Outre diverses difficultés avec ces pensionnaires d'un genre particulier, la question s'est posée de savoir si ces militaires — n'étant pas, de l'avis même de leur gouvernement, des prisonniers de guerre au sens juridique du terme — pourraient requérir l'asile politique au bout de leur période d'internement s'ils venaient à le souhaiter [7].
La protection des droits de l'homme fait également partie des réponses éprouvées que la Suisse a coutume d'apporter aux troubles du monde. Dans un rapport établi à la suite d'un postulat Nanchen (ps, VS), le Conseil fédéral a dressé le bilan de sa pratique et le tableau des possibilités dans ce domaine. Le chef du DFAE a par ailleurs réagi aux allégations d'un hebdomadaire qui prétendait que les protestations publiques émises à Berne manquaient d'impartialité. Le Conseil fédéral a aussi mentionné qu'il est favorable aux pactes internationaux entrés en vigueur sous l'égide de l'ONU [8]. Dans son ordre juridique interne la Suisse n'est pas exempte de faiblesses; le rejet par le peuple du projet de loi fédérale sur les étrangers a retardé l'aménagement des conditions requises pour la ratification de la Charte sociale européenne, et l'impatience de la gauche a encore augmenté [9].
 
[2] Au sujet de ces principes, consulter «La politique étrangère de la Suisse », in Relations internationales, 1982, no 30, p. 125 ss.; A. Weitnauer, Rechenscham, Zürich 1981; R. Probst, «Bewährung in unsicherer Zeit», in Schweizer Monatshefte, 62/1982, p. 221 ss. Approche de l’« interdépendance » avec M. Sieber, Die Entwicklung der schweizerischen Aussenbeziehungen in der Nachkriegszeit 1948-1978, Zürich 1982.
[3] Suisse, 24, 24.1.82; Tout Va Bien, 139, 29.1.82 (Genève); 148, 2.4.82; BaZ, 79, 3.4.82; 85, 13.4.82; Vr, 67, 6.4.82; USS, 13, 7.4.82; TA, 84, 13.4.82 (Bâle). PdT: 24 Heures, 5. 8.1.82; VO, 2, 14.1.82; 4, 28.1.82. Voir aussi NZZ, 18, 23.1.82 ; 116, 22.5.82 ; Bund, 37, 15.2.82 ; Lib., 222-226, 28.6-2.7.82 ainsi que Friedenszeitung, hrsg. vom Schweiz. Friedensrat, no 1, 17.2.82 et suivants. Cf. APS, 1981, p. 36 et 46 et infra, part. I, 3 (Landesverteidigung).
[4] Officiers: cf. infra, part. I, 3 (Image in der Öffentlichkeit). PRD: interpellation en rapport avec la manifestation pacifiste du 5.12.81 (cf. APS, 1981, p. 36) in BO CN, 1982, p. 543; NZZ, 31, 8.2.82; 122, 29.5.82; «Contributions à la discussion pour la paix», in Revue politique, 61/1982, p. 17 ss. UDC: P. Sager, Aussenpolitik in Wandel, Schriftenreihe der SVP, Bern 1982. PDC: Vat., 37, 15.2.82; 118, 24.5.82 (jeunes pdc): BaZ, 175, 30.7.82. PSS: H. Hubacher, «Frieden kennt keine Parteigrenzen», in Rote Revue, 61/1982, no 1, p. 1; Suisse, 80, 21.3.82; TA, 67, 22.3.82; TW, 83, 10.4.82 (E. Eppler); Vr, 150, 5.8.82 (Jusos). Internationale: BaZ, 258, 4.11.82; Bund, 260, 6.11.82; CF Ritschard in Documenta, 1982, no 4, p. 6 s. Cf. encore L'Hebdo, 6, 12.2.82 et infra, part. III a.
[5] BO CN, 1982, p. 257 ss. Remarquer le rejet (83 voix contre 18) d'un postulat du CN Braunschweig (ps, ZH) concernant de « nouveaux accents» en politique étrangère : BO CN, 1982, p. 262 ss. Voir aussi NZZ, 145, 26.6.82 (R. Bindschedler) et SGT, 176, 31.7.82.
[6] Réduction des armements: BO CE, 1982, p. 159 s. (postulat Bauer, pl, GE, transmis); BO CN, 1982, p. 533 (postulat Ott, ps, BL, transmis). Mesures: BO CN, 1982, p. 267 (postulat Roy, cs, JU, rejeté); p. 1799 (interpellation , Roy).
[7] Grande-Bretagne: Suisse, 94, 4.4.82; NZZ, 86, 15.4.82; Rapp. gest., 1982, p. 18. Soviétiques: TLM, 148, 149, 28-29.5.82; NZZ, 208, 8.9.82; 24 Heures, 263, 11.11.82 ; 275, 25.11.82; BO CN, 1982, p. 713 (question Butty, pdc, FR).
[8] Rapport sur la politique de la Suisse en faveur des droits de l'homme», FF, 1982, II, p. 753 ss. ; presse du 17.7.82; BO CN, 1982, p. 1265 ss. et 1390 s.; BO CE, 1982, p. 577; voir NZZ, 259, 6.11.82 (W. Hofer); E. Hofer, «Menschenrechte und schweizerische Aussenpolitik», in Schweizer Monatshefte, 62/1982, p. 931 ss; cf. aussi supra, part. I, 1b (Grundrechte). Relations économiques et droits de l'homme: BO CN, 1982, p. 580 s. (questions Hubacher, ps, BS, Ziegler, ps, GE et Carobbio, psa, TI, concernant la visite d'une délégation commerciale suisse en Argentine en 1981) ; cf. APS, 1981, p. 72. Hebdomadaire: L'Hebdo, 7, 19.2.82 ; BO CN, 1982, p. 279 (réponse du CF Aubert).
[9] Voir infra, part. I, 7d (Politique à l'égard des étrangers); USS 25, 1.9.82; 40, 22.12.82; TLM, 274, 1.10.82. Noter aussi les doléances du gouvernement espagnol à propos des discriminations que ses ressortissants auraient subies à la frontière suisse (24 Heures, 75, 31.3.82; Bund, 77, 2.4.82).