Année politique Suisse 1982 : Infrastructure, aménagement, environnement / Sol et logement
 
Logement
Sous ses aspects les plus divers — encouragement à la construction, incidence des variations du taux hypothécaire sur les loyers et protection des locataires — la question du logement est désormais régulièrement inscrite à l'ordre du jour des Chambres fédérales. Le resserrement du marché immobilier n'est pas étranger à cette recrudescence d'interventions parlementaires. En 1982, l'activité dans le secteur de la construction de logements a continué de stagner. Au cours du premier semestre, 15 869 logements (1981: 14 086) ont certes été construits dans les communes de plus de 2000 habitants, soit une progression de 8% par rapport à la période correspondante de 1981. Mais, si l'on se réfère au nombre de logements en cours de construction, force est de constater qu'il a régressé de quelque 4,3%. D'autre part, les autorisations délivrées ont été de 6,6% inférieures à celles octroyées une année auparavant, affectant avant tout les grandes agglomérations (–15,1 %) et les communes rurales (–10%) [17]. Les causes de cette réduction du volume des constructions sont évidemment multiples. La rareté du terrain à bâtir disponible, la hausse des coûts de la construction et des intérêts hypothécaires ou encore l'incertitude face à l'avenir économique sont autant d'éléments qui contribuent au resserrement du marché. A ces données économiques, il faut ajouter des facteurs sociologiques, tels que l'éclatement des ménages, l'arrivée sur le marché de classes d'âge à forte natalité et plus généralement le vieillissement de la population. La crise qui sévit est toutefois largement sectorielle. Elle frappe des régions bien délimitées et certaines couches sociales: personnes âgées et jeunes ménages avec enfants. Les plus touchées sont les zones urbaines où le taux moyen d'appartements vacants n'excède souvent pas 0,5% [18]. La pénurie de logements aidant, les appartements à loyers modérés diminuant, la vogue des occupations illicites d'immeubles destinés à la rénovation ou à la démolition s'est intensifiée; elle n'a épargné pratiquement aucune de nos grandes cités [19]. Cependant, c'est à Genève que le mouvement des «squatters» a pris le plus d'ampleur. Il s'est doté d'un «Comité de relocation forcée», chargé de planifier les occupations et bénéficie du soutien d'une Fédération des associations de quartiers et d'habitants (FAQH) [20].
Sur le plan parlementaire, un débat animé s'est engagé entre les tenants d'une politique du logement accordant une place prépondérante à l'initiative privée et les partisans d'une intervention plus marquée de l'Etat. La perspective de démanteler l'aide fédérale à la construction de logements a plané sur les discussions. Les premiers, libéraux et milieux immobiliers, ont insisté sur la nécessité d'éviter tout «excès législatif» dans ce domaine. Les pouvoirs publics ne sauraient se substituer à l'économie privée; celle-ci possède le dynamisme nécessaire pour jouer un rôle prioritaire, à condition que l'Etat l'encourage au lieu de la freiner. Si ce dernier doit intervenir, c'est au niveau cantonal qu'il doit déployer son action, en faveur des couches sociales qui rencontrent des difficultés particulières à se loger [21]. Les seconds, regroupés dans une «Communauté d'action pour un encouragement efficace à la construction de logements» ont souligné qu'une politique cohérente en la matière n'est pas envisageable sans le concours de la Confédération [22]. Ils s'en sont pris au projet gouvernemental de transférer en partie aux cantons l'aide fédérale à la construction dans le cadre d'une redistribution des tâches. Accepté dans le courant de l'année par le Conseil des Etats, ce principe pourrait par ailleurs ne pas trouver grâce devant le National. Moins de dix ans après l'adoption par le souverain de l'article 34 sex'°s de la Constitution sur lequel se fonde le soutien fédéral au logement, l'exécutif entend donc faire un pas en arrière. A une époque où le secteur immobilier est déjà passablement perturbé, le retrait de la Confédération risque d'aggraver encore la situation, d'autant plus que peu de cantons sont actuellement pourvus d'une législation offrant des possibilités d'action étendues [23].
Les Chambres ont, malgré tout, ratifié un crédit additionnel de 200 millions de francs destiné à des cautionnements et à la couverture des avances faites par les banques [24]. Comme celui octroyé en 1975, ce montant aurait dû suffire jusqu'à fin 1983, date prévue pour l'entrée en vigueur de la nouvelle répartition des tâches entre l'Etat central et les cantons. Mais, cet argent sera vraisemblablement absorbé avant. C'est pourquoi le Conseil fédéral sollicite du parlement un crédit-programme complémentaire de 1,143 milliard de francs qui se répartit comme suit: 920 millions pour des cautions et engagements, 180 millions pour des contributions non remboursables, 42 millions pour des participations, avances et prêts remboursables. Il devrait couvrir les besoins prévisibles jusqu'en 1987, assurant ainsi à l'aide au logement un délai transitoire et permettant aux cantons d'adapter leur législation [25]. En prévision de la nouvelle répartition, le Grand Conseil tessinois a approuvé une initiative parlementaire du Parti socialiste autonome (PSA), demandant au canton de prendre en charge les subsides versés jusque-là par la Confédération en faveur de la construction de logements à loyers modérés. Pour sa part, le corps électoral zurichois a décliné une initiative populaire socialiste, réclamant que les autorités cantonales soient autorisées d'une part à réglementer les démolitions et changements d'affectation et d'autre part à instaurer un contrôle sur les loyers [26]. Enfin, deux initiatives pour le droit au logement et l'encouragement à la construction ont été déposées respectivement dans les cantons de Genève et de Berne [27].
Des propositions ont été faites pour favoriser davantage l'accession des particuliers à la propriété immobilière. La loi fédérale sur la prévoyance professionnelle (LPP), qui devrait entrer en vigueur en 1985, contient du reste des dispositions dans ce domaine. Elles prévoient la possibilité d'utiliser les fonds récoltés par les institutions de prévoyance pour aider les assurés à acquérir une maison familiale ou un appartement. Ces prescriptions seront toutefois réglées de manière plus précise dans le cadre de l'ordonnance fédérale sur la LPP [28]. Par ailleurs, certains parlementaires sont intervenus en faveur de la promotion de la propriété par des mesures d'allégement des charges fiscales. Ils ont dénoncé les pressions exercées sur les cantons par l'Office fédéral de taxation afin que ceux-ci augmentent l'imposition de la valeur locative. Le Conseil fédéral a répondu que la taxation de la valeur locative au titre de l'impôt fédéral direct doit correspondre au prix de location sur le marché et qu'un contrôle auprès des offices cantonaux de taxation s'avère indispensable pour assurer une application uniforme de cette règle [29]. Plusieurs cantons ont néanmoins modifié leur législation fiscale dans le sens d'une réduction des charges grevant les propriétaires de résidences principales. Ainsi les électeurs du canton de Schwyz ont adopté une nouvelle loi, permettant aux propriétaires de logements de déduire une part équivalant à 30% de leur revenu locatif imposable [30]. De son côté, le souverain vaudois a ratifié un décret du Conseil d'Etat relatif à l'imposition sur la valeur locative affectée au domicile principal du contribuable. Ce projet est le résultat d'un compromis négocié par le gouvernement avec les libéraux qui, en 1979, avaient déposé une initiative en faveur de la suppression de l'impôt locatif. Il a fait l'objet d'un référendum lancé par les milieux proches de l'Association vaudoise des locataires (AVLOCA). La solution retenue se traduira notamment par un abattement de 80 000 francs servant à la fixation de la valeur locative brute [31]. Une autre initiative populaire, des milieux radicaux cette fois, pour l'accession à la propriété a été rejetée par les citoyens du canton de Zurich. Cependant, la révision partielle de la législation fiscale, approuvée par le corps électoral, prévoit des allégements substantiels sur la valeur locative d'un logement principal occupé par son propriétaire [32].
 
[17] La Vie économique, 55/1982, p. 724 ss.; NZZ, 128, 7.6.82; 255, 2.11.82.
[18] La Vie économique, 55/1982, p. 248 ss. ; LNN, 10, 14.1.82 ; BaZ, 15, 19.1.82 ; 55, 6.3.82: 179, 4.8.82 ; NZZ, 68, 69,'23-24.3.82; 134, 14.6.82 (CF. Honegger). Cf. aussi Office fédéral de la statistique, Indicateurs sociaux pour la Suisse, vol. 7: Logement, Berne 1982; Burkhard H.-P., Egger B. und Welti J., Gemeinschaftliches Eigentum in Wohnüberbauungen (Schriftenreihe Wohnungswesen, Nr. 19), Berne 1981; Mexrat-Schlee E. und Willimann P., Gemeinsamens Planen und Bauen. Handbuch für Bewohnermitwirkung bei Gruppenüberbauungen (Schriftenreihe Wohnungswesen, Nr. 22), Bern 1981.
[19] Occupations, évacuations ou manifestations en faveur du droit au logement ont eu lieu dans les villes de Bâle (BaZ, 63, 16.3.82), Berne (Bund, 14, 19.1.82; 23, 29.1.82; 52, 4.3.82; 143, 23.6.82; TW, 291, 13.12.82), Lausanne (24 Heures, 97, 28.4.82; 216,16.9.82; 304, 30.12.82; TLM, 132, 12.5.82 ;154, 3.6.82), Lucerne (LNN, 95, 96, 26-27.4.82 ; 99, 30.4.82 ;102, 4.5.82) et de Zurich (Vr, 50,12.3.82 ; TA, 59,12.3.82 ; 64,18.3.82 ; 68, 23.3.82). Cf aussi APS, 1981, p. 115 ainsi que infra, part. I, 7d (Politique de la jeunesse).
[20] Occupations et évacuations: JdG, 64, 18.3.82; 102, 4.5.82; 118, 24.5.82; 180, 5.8.82; 280, 1.12.82. Manifestations: JdG, 123, 29.5.82; 284, 4.12.82. Mouvement des «squatters»: JdG, 31, 8.2.82; VO, 8, 25.2.82; L'Hebdo, 22, 4.6.82; 45, 11.11.82.
[21] JdG, 31, 8.2.82; 37, 15.2.82; BaZ, 32, 8.2.82; Le logement. Résumé des rapports présentés au Congrès du Parti libéral suisse à Montreux, février 1982. Voir aussi Service libre d'information, 9, 14.3.82 (CN Frey, prd, NE).
[22] Une trentaine de partis et associations, représentant des milieux très divers, ont adhéré à cette Communauté d'action qui est présidée par le CN Flubacher (prd, BL): PS, AdI, PeP, députés PRD et PDC, USS, syndicats chrétiens, organisations des locataires, Fédération des architectes, Pro Infirmis etc. Cf. presse du 26.3.82.
[23] Seuls 4 cantons — GE, NE, VD, BE— posséderaient une législation appropriée en matière d'encouragement à la construction de logements. Les autres seraient en partie ou totalement désarmés (24 Heures, 71, 26.3.82). Cf. BO CN, 1982, p. 180 ss. (motion Meizoz, ps, VD; interpellation Müller, ps, BE; interpellation Keller, pdc, AG); Woche, 1, 8.1.82; 12, 26.3.82; Ww, 3, 20.1.82; Vr, 22, 2.2.82; Vat., 51, 3.3.82; USS, 12, 31.3.82. Voir également APS, 1972, P. 104 s.; 1975, p. 117 s.; 1981, p. 115 s. ainsi que supra, part. I, 1d (Confédération et cantons).
[24] FF, 1982, II, p. 500; BO CN, 1982, p.168 ss.; BO CE, 1982, p. 303 ss. ainsi que APS, 1981, p. 116.
[25] FF, 1983, I, p. 152 ss. ; presse du 14.12.82.
[26] TI: CdT, 253, 4.11.82; 260, 12.11.82. ZH: TA, 90, 20.4.82; 214, 15.9.82; 216, 17.9.82; 218, 20.9.82; 255, 28.9.82.
[27] Dans le canton de Genève, l'initiative a été déposée par la FAQH; elle propose d'inscrire dans la Constitution genevoise la garantie du droit au logement (JdG, 35, 12.2.82; VO, 7, 18.2.82). Dans le canton de Berne, l'initiative socialiste, appuyée par les organisations de locataires, invite les autorités à prendre des mesures pour lutter contre la spéculation foncière et la pénurie de logements (Bund, 75, 31.3.82; 246, 21.10.82).
[28] Welti J., Wohneigentumsförderung durch Personalvorsorgeeinrichtungen (Schriftenreihe Wohnungswesen Nr. 20), Bern 1981 ; Service libred'information, 7,18.2.82 (CN Rohr, prd, AG). Voir aussi RFS, 3, 19.1.82 (politique de financement et d'investissement des fonds de prévoyance); NZZ, 15, 20.1.82 (réserves exprimées par Walser, directeur de l'Association suisse de prévoyance sociale privée); 23, 29.1.82 (propriétaires) ainsi que APS, 1981, p. 133 et infra, part. I, 7c (Prévoyance professionnelle).
[29] BO CN, 1982, p. 1028 (question ordinaire Augsburger, udc, BE); BO CN, 1982, p.1475 s. (interpellation Humbel, pdc, AG); BaZ, 164, 17.7.82; LNN, 165, 20.7.82; Bund, 179, 4.8.82; NZZ, 240, 15.10.82.
[30] LNN, 35,12.2.82; 108, 11.5.82 ; 122, 28.5.82; 136, 16.6.82; 224, 27.9.82. Dans le canton de Schaffhouse, une initiative radicale, proposant une déduction de 20% sur le revenu imposable, a été rejetée en votation populaire (SGT, 58, 11.3.82; Bund, 192, 19.8.82; NZZ, 203, 2.9.82).
[31] Heures, 20, 23.1.82 (initiative); 24, 30.1.82; 113, 17.5.82; 125, 2.6.82 (décret gouvernemental); 118, 15.8.82 (référendum); 278, 29.11.82 (votation). Voir aussi APS, 1979, p. 184.
[32] Initiative: NZZ, 118, 25.5.82; 201, 31.8.82; 224, 27.9.82 (votation). Législation fiscale: TA, 123, 1.6.82; 125, 3.6.82; 128, 7.6.82 (votation).