Année politique Suisse 1982 : Politique sociale / Assurances sociales
 
Prévoyance professionnelle
Après son deuxième passage devant le Conseil national, en 1981, la loi sur la prévoyance professionnelle devait retourner devant le Conseil des Etats. L'élimination des divergences a finalement nécessité deux navettes supplémentaires entre les Chambres, si bien que la loi mise au point n'a pu être votée que le 25 juin. La version finale, acquise au terme de six ans de délibérations, est fort éloignée du projet du Conseil fédéral, et plus encore de l'esprit qui prévalait en 1972, lorsque le principe constitutionnel des «trois piliers» a été ratifié par le peuple [22].
L'essentiel des désaccords subsistant au début de l'année résidait dans la question des avantages attribués à la génération d'entrée. De plus, l'étendue de la compensation obligatoire du renchérissement, abandonnée pour les rentes de vieillesse, n'était pas encore fixée pour celles d'invalide et de survivant. La commission du Conseil des Etats, présidée par M. Kündig (pdc, ZG), a veillé à restreindre au maximum les conséquences de la LPP pour les institutions de prévoyance existantes [23]. Les représentants des cantons ont ainsi résisté jusqu'à la session de juin avant d'admettre le bien-fondé de prestations minimales garanties dans les cas d'assurance qui surviendraient au cours des neuf années suivant l'entrée en vigueur de la loi. Dans un même ordre d'idées, le Conseil des Etats a obtenu une diminution des bonifications de vieillesse — dont l'addition détermine la rente — pendant les deux premières années du régime obligatoire [24]. Les représentants du peuple, de leur côté, avaient déjà parcouru beaucoup de chemin en se ralliant, en 1981, à la solution du «primat des cotisations» et de la réalisation par étapes, lancée par le Conseil des Etats. En se remettant à l'ouvrage, cette année, les membres du National tenaient à ce que le projet conservât l'empreinte de leur contribution. Ils n'ont cependant pas suivi en tous points leur commission, présidée par A. Muheim (ps, LU). Abstraction faite des prestations minimales, le Conseil national a obtenu gain de cause en ce qui concerne le calcul (les bonifications de vieillesse (fourchette plus étroite) et le maintien d'un rythme trisannuel pour l'adaptation au renchérissement des rentes d'invalide et de survivant. Pour le reste les groupes parlementaires de gauche n'ont pas réussi à convaincre la majorité des députés de se montrer plus fermes. L'article premier de la LPP, qui en établit le but, a, en particulier, été édulcoré de telle sorte que le délai dans lequel sera entreprise la révision ouvrant la deuxième étape n'est plus fixé de façon certaine [25].
Au vote final, le compromis a été largement accepté: unanimité des 33 voix aux Etats, 159 oui au National, contre lesquels se sont dressés 6 membres du groupe PdT/PSA/POCH, ulcérés par le terrain perdu. Dans les partis bourgeois, l'aboutissement du «deuxième pilier» a été considéré comme une victoire de la raison. Chez les socialistes, la tournure finale de la LPP n'a pas surpris. Sans cacher son amertume face au sort réservé à la plupart des amendements, lesquels ne faisaient souvent que reprendre des positions précédemment acceptées par la majorité du Conseil national, la députation socialiste a voulu faire en sorte que la loi développe malgré tout le plus rapidement possible ses effets bénéfiques [26].
Théoriquement, la LPP comptait beaucoup d'adversaires à l'extérieur du parlement. Les syndicats s'étaient plaints de la solution minimale qui allait leur être livrée. Les responsables des caisses de pension avaient fait pression contre le surcroît de bureaucratie et les frais supplémentaires dont ils estimaient que le projet les menaçait. Le moment venu, ces milieux ont renoncé à mettre en branle la procédure référendaire. Pour l'USS, la LPP, même amoindrie, est un acquis nécessaire et perfectible [27]. Quant aux institutions de prévoyance, elles ont avoué leur satisfaction. La future loi leur permet de garder leur place dans le processus de capitalisation: la crainte de devoir partager les caisses, quant au financement, en un secteur obligatoire et un secteur libre, serait notamment devenue injustifiée. Les petites institutions, qui, en janvier, avaient créé leur propre groupement, l'Association pour une prévoyance professionnelle libre, ont également pu se rassurer [28].
La date d'entrée en vigueur de la LPP est demeurée un enjeu disputé. Le temps mis par le parlement à aplanir les divergences a interdit de la situer avant 1984. L'Union centrale des Associations patronales (UCAP) et les assureurs privés, non contents d'être associés à l'élaboration des ordonnances d'application, ont demandé qu'elles suivent le chemin de la consultation. L'entrée en vigueur rapide souhaitée par la gauche et par l'USS était loin d'être obtenue, malgré l'engagement pris par le conseiller fédéral Hürlimann [29].
 
[22] Texte de la LPP: FF, 1982, II, p. 405 ss.; cf. SAZ, 28/29, 15.7.82 et Bulletin d'informations sociales (BiT, Genève), 1982, p. 436 ss. Constitution: voir APS, 1972, p. 122 s. Problèmes actuariels et financiers de la prévoyance professionnelle: H. Haller, Hrsg., Zur Verwirklichung der 2. Säule, St.-Gallen 1982; NZZ, 46, 25.2.82 et 43, 1.3.82 (A. C. Brunner); 125, 3.6.82 (P. Binswanger). Développement et lacunes de cette prévoyance: BaZ, 31-49, 6-27.2.82; TA, 104-120, 7-27.5.82; Domaine public, 650, 9.9.82 et 652, 23.9.82 (P. Gilliand). Pour la gestation de la LPP, retourner à APS, dont 1976, p. 132 et 1978, p. 129. Voir aussi, supra, part. I, 6c (Construction de logements).
[23] Bund, 9, 13.1.82; 34, 11.2.82; cf. APS, 1981, p. 136.
[24] Session extraordinaire de janvier: BO CE, 1982, p. Iss.; presse du 27.1.82. Juin: BaZ, 119, 25.5.82; BO CE; 1982, p. 187 s.; presse du 8.6.82.
[25] BO CN, 1982, p. 197 ss. et 768; NZZ, 33, 10.2.82; presse du 4.3.82 et du 17.6.82.
[26] BO CE, 1982, p. 330 et BO CN, 1982, p. 1011. Divers bilans : RFS, 25, 22.6.82 ;NZZ, 157, 10.7.82 ; SGB, 23, 22.7.82 (CN A. Muheim). PdT: VO, 7, 18.2.82; intervention Daflon (GE) lors du vote final au CN.
[27] USS: F. Leuthy, « Le deuxième pilier. Ce qu'il devient — ce qu'il devrait être », in Revue syndicale, 74/1982, p. 25 ss.; TW, 30, 6.2.82; USS, 22, 30.6.82.
[28] Association suisse de prévoyance professionnelle privée: presse du 1.7.82. Association pour une prévoyance professionnelle libre: Bund, 14, 19.1.82; NZZ, 57, 10.3.82 (W. Gysin): Suisse, 184, 3.7.82.
[29] SAZ, 30/31, 29.7.82; BaZ, 271, 19.11.82 ; NZZ, 275, 25.11.82; BO CN, 1982, p. 1582. Depuis lors, après de longues hésitations, le Conseil fédéral a finalement fixé l'entrée en vigueur à janvier 1985.