Année politique Suisse 1982 : Politique sociale / Groupes sociaux
Population étrangère
Dans le domaine de la politique à l'égard des étrangers, l'essentiel du débat a porté sur le projet de nouvelle loi soumis en juin au verdict populaire. Ce scrutin s'est déroulé sur un fond de récession économique, propre à raviver bien des tensions. Malgré le tassement de la conjoncture et la détérioration du marché du travail, l'effectif global de la main-d'oeuvre étrangère s'est encore légèrement accru de 1,8% pour atteindre 647 946 personnes à la fin décembre 1982. La tendance amorcée en 1978 s'est donc maintenue
[1].
Après le rejet massif, en 1981, de l'initiative populaire «Etre solidaires»
le souverain a donc été invité à se prononcer sur un projet de loi relatif au séjour et à l'établissement des étrangers. Cette loi était conçue comme un contreprojet indirect à l'initiative de la communauté de travail «Etre solidaires», mais aussi aux diverses initiatives contre l'emprise étrangère émanant de milieux nationalistes. C'est en effet à l'issue des débats parlementaires de 1974 sur la troisième initiative contre la «surpopulation étrangère», que les Chambres avaient chargé le Conseil fédéral d'entamer une révision de la législation datant de 1931. Publié en 1978, le projet de loi gouvernemental avait fait l'objet au parlement de discussions particulièrement longues et controversées. Ce projet répondait au mandat de stabiliser le nombre d'étrangers séjournant dans notre pays et réunissait en un instrument juridique unique une législation dispersée dans de multiples ordonnances. Il définissait également le statut juridique des étrangers, en apportant notamment certaines améliorations à celui des saisonniers et des annuels. Il prévoyait en outre diverses mesures propres à faciliter l'intégration sociale des immigrés autorisés à résider en Suisse. Enfin, il précisait les conditions auxquelles devaient être soumis les étrangers s'ils entendaient exercer une activité politique dans notre pays. Jugeant que la loi adoptée par les Chambres n'était pas assez restrictive pour limiter l'immigration étrangère, l'Action nationale (AN) lançait victorieusement un référendum, ébranlant ainsi une «oeuvre» élaborée patiemment
[2].
Cette nouvelle loi s'est heurtée à une
double opposition de droite et de gauche. La plus importante est venue de l'AN et du Mouvement républicain. Ils ont reproché à ce texte de ne pas protéger suffisamment les travailleurs indigènes, de rendre l'immigration plus attractive par le biais des dispositions raccourcissant les délais pour la transforrnation d'un permis en un autre et surtout de ne viser qu'une stabilisation «relative» de la population étrangère autorisée à séjourner dans notre pays. A l'autre bout de l'échiquier politique, une frange des partisans d'«Etre solidaires» n'a pu se résigner à soutenir un projet qui maintenait le statut discriminatoire du saisonnier et la division des travailleurs immigrés en catégories
[3]. Excepté ces milieux, le Parti socialiste ouvrier (PSO) et certains syndicats chrétiens qui ont appelé leurs adhérents à voter «blanc», toutes les autres formations politiques, économiques, syndicales ou confessionnelles ont recommandé d'approuver la loi
[4].
C'est de justesse,
par 690 268 voix contre 680 404 et avec un taux de participation de 35,2%, que l'ensemble du corps électoral a décliné le projet de loi. Les résultats des cantons montrent, qu'à l'exception de Genève, tous les cantons romands se sont rangés dans le camp de oui, tandis qu'en Suisse alémanique, seuls Saint-Gall, Zurich, les deux Bâles et les Grisons ont dégagé une majorité acceptante. Réflexe de peur face à la trop forte emprise étrangère, au chômage ou «xénophobie rampante», ce scrutin démontre une fois de plus combien demeure vivace la méfiance, voire l'hostilité à l'égard des immigrés. Un sondage effectué peu après le vote confirme cette impression. Parmi les raisons diffuses invoquées par ceux qui ont rejeté la loi, bon nombre d'entre elles tournaient en effet autour de la notion de «surpopulation étrangère»
[5].
Les
réactions au rejet de la loi n'ont pas manqué. Les organisations qui militent en faveur d'une meilleure intégration des immigrés dans la communauté suisse ont décidé d'entamer une campagne de sensibilisation sur le plan national, afin de réduire progressivement les tensions entre autochtones et allogènes. Réunis en un forum à Berne, les représentants de syndicats, d'Eglises, de divers centres de contact et autres groupements n'ont pas caché que ce travail en commun exigera un engagement de longue haleine. Une plate-forme d'action a été adoptée dans les domaines où les problèmes sont les plus aigus, comme l'école, la formation professionnelle, la condition des femmes, le logement, l'activité politique et syndicale
[6]. Pour leur part, les syndicats chrétiens ont discuté de l'opportunité de lancer une initiative populaire visant à mieux intégrer les étrangers
[7]. La menace du lancement d'une nouvelle initiative a aussi été brandie par le conseiller national Oehen (an, BE). Auteur d'une motion, il exige une réglementation plus stricte de la politique d'immigration et propose notamment que les réfugiés susceptibles d'exercer une activité lucrative soient comptés dans le contingent de la main-d'oeuvre étrangère
[8]. Le groupe parlementaire socialiste réclame, par voie de motion également, une stabilisation plus rigoureuse de l'effectif de la population étrangère, en particulier par le biais d'un abaissement progressif du plafond des saisonniers, d'une limitation de l'admission des frontaliers et d'une répression plus sévère du travail illicite. Parallèlement, les socialistes préconisent une amélioration de l'intégration des immigrés et de leur protection juridique. Le tout devrait figurer à court terme dans les ordonnances en vigueur et à moyen terme dans une nouvelle législation sur les étrangers
[9]. La question épineuse des travailleurs clandestins et des «faux réfugiés» et de son incidence sur la politique de stabilisation menée par les autorités fédérales ont fait l'objet d'un certain nombre d'interventions au Conseil national. C'est ainsi que le député Zehnder (ps, AG) a demandé que la Confédération fasse pression sur les cantons afin qu'ils s'emploient à combattre avec plus d'énergie le travail clandestin
[10]. De son côté, le Conseil fédéral a pris un certain nombre de mesures. Il a introduit pour les ressortissants turcs l'obligation du visa, donné des instructions pour un renforcement du contrôle aux frontières et invité les gouvernements cantonaux à réprimer plus sévèrement les employeurs engageant des travailleurs au noir
[11].
Compte tenu de l'incertitude de l'évolution du marché du travail et du rejet de la nouvelle loi sur les étrangers, le Conseil fédéral a décidé de ne libérer que partiellement les contingents fédéraux et cantonaux pour la période s'étendant de novembre 1982 à octobre 1983: à raison de 50% pour les autorisations de séjour à l'année et de 90% pour les saisonniers. Si le principe de reconduire les dispositions matérielles contenues dans l'ordonnance de 1980 n'a, en général, pas été contesté par les milieux consultés, en revanche, la décision de geler provisoirement les contingents a été critiquée par les cantons de Fribourg, Berne, Thurgovie, Vaud, ainsi que par l'Union suisse des arts et métiers (USAM) et la Société suisse des hôteliers (SSH). Pour sa part, l'Union syndicale suisse (USS) a jugé ces mesures insuffisantes; elle aurait souhaité une réduction plus sensible de l'effectif des saisonniers et des frontaliers
[12]. Par ailleurs, le gouvernement a édicté une nouvelle ordonnance sur le Registre central des étrangers (RCE). Elle institue d'une part de nouvelles dispositions sur la protection et la sécurité des données personnelles et règle d'autre part les compétences des autorités en matière de communication d'informations sur les étrangers. Pour le reste, elle adapte les prescriptions en vigueur depuis 1972 aux conditions actuelles
[13].
[1] Le nombre de saisonniers et de frontaliers a évolué difreremment dans le courant de l'année. A la fin août, on comptabilisait 116 012 saisonniers (août 1981: 119 821) soit 3,2% de moins que l'année précédente, alors que les frontaliers étaient au nombre de 111 509 (août 1981: 108 988). A la fin de l'année le nombre des saisonniers s'élevait à 13 393 (fin 1981: 11 445) et celui des frontaliers à 108 350 (fin 1981: 110 112). Quant à la population étrangère résidante (sans les fonctionnaires internationaux et les saisonniers), elle s'élevait à fin 1982 à 925 826 personnes (1981: 909 906) dont 707 924 (76%) établis et 217 902 (24%) titulaires d'une autorisation de séjour. Cf. La Vie économique, 55/1982, p. 490 ss. et 715 ss.; 56/1983, p. 203 ss. ainsi que supra (Données démographiques).
[2] NZZ, 99, 30.4.82; Vat., 112, 15.5.82; Lib., 190, 191, 18-19.5.82; Bund, 117, 22.5.82; 24 Heures, 120, 26.5.82; Ww, 21, 26.5.82. Voir aussi APS, 1974, p. 115 ss.; 1978, p. 117 ss. ; 1981, p. 142 s. ainsi que Hoffmann-Nowotny H.-J. / Hondrich K.-O., Ausländer in der Bundesrepublik Deutschland und in der Schweiz, Frankfurt/Main 1982.
[3] AN: BaZ, 61, 13.3.82; 90, 19.4.82; Lib., 192, 21.5.82 (CN Oehen, an, BE). Mouvement républicain: Suisse, 123, 3.5.82. Dissidents «Etre solidaires»: TLM, 120, 30.4.82; Tout Va Bien, 152, 30.4.82; 156, 28.5.82. Cf. également BaZ, 45, 23.2.82; NZZ, 115, 21.5.82. Une opposition non négligeable s'est également manifestée dans certains milieux des arts et métiers (TLM, 1 11, 21.4.82).
[4] Rejet et liberté de vote recommandés respectivement par l'UDC des cantons de SH et ZH. PSO et syndicats chrétiens (TLM, 128, 8.5.82 ; JdG, 111, 15.5.82), PRD (NZZ, 44, 23.2.82), PDC (Vat., 95, 26.4.82), UDC (NZZ, 94, 26.4.82), PS (TW, 122, 28.5.82), Vorort, UCAP et USAM (RFS, 18, 4.5.82; Lib., 195, 29.5.82), Eglises (Vat., 85, 14.4.82; Lib., 199, 28.5.82). «Etre solidaires» (24 Heures, 124, 1.6.82). Pour les autres formations politiques et partis cantonaux, cf. SGT, 124, 1.6.82; NZZ, 126, 4.6.82.
[5] FF, 1982, II, p. 985 ss.; presse du 7.6.82; Vox, Analyses des votations fédérales, 6.6.82.
[6] Bund, 208, 7.9.82; Vr, 178, 14.9.82; presse du 27.9.82; TA, 227, 30.9.82.
[7] Suisse, 158, 7.6.82. Par ailleurs, le CN a refusé une motion Jaeger (adi, SG) qui demandait à terme la suppression du statut du saisonnier (BO CN, 1982, p. 710 s.).
[8] Délib. Ass. féd., 1982, III, p. 65 s. ; Suisse, 160, 9.6.82. Une motion en faveur d'une plus stricte limitation de l'immigration étrangère a également été déposée par le CN Meier (an, ZH). Cf. Délib. Ass. féd., 1982, V, p. 60.
[9] Délib. Ass. féd., 1982, III, p. 32 s.; TLM, 167, 16.6.82; Suisse, 168, 17.6.82; USS 21, 23.6.82; 40, 22.12.82.
[10] BO CN, 1982, p. 558 ss. et 706 ss. Voir également BO CN, 1982, p. 378 s. (question Oehen, an, BE), 575 s. (question Ziegler, pdc, SO) et 1584 s. (question Deneys, ps, NE).
[11] Rapp. gest., 182, p. 132; Suisse, 1982, 1.7.82; 210, 29.7.82 ainsi que supra, part. I, 2 (Turquie et Aide humanitaire).
[12] RO, 1982, p. 1884 ss.; presse des 26.8.82 et 26.10.82.
[13] RO, 1982, p. 1906 ss.; NZZ, 245, 22.10.82.
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