Année politique Suisse 1983 : Eléments du système politique / Structures fédéralistes
Relations entre la Confédération et les cantons et entre les cantons
Dix ans après l'approbation par le parlement de la motion de l'ancien conseiller national Binder (pdc, AG), la réorganisation des rapports entre les différents niveaux institutionnels demeure toujours l'une des réformes majeures en cours concernant nos structures fédéralistes. Les mobiles politiques qui avaient présidé à ce désenchevêtrement des compétences se sont toutefois quelque peu estompés depuis l'émergence d'une situation économique et financière difficile. Les propositions soumises à ce jour sont largement empreintes du souci de réaménager les finances des collectivités publiques, en améliorant notamment l'efficacité allocative des ressources qui leur sont confiées. Il s'agirait en l'espèce de transférer aux échelons inférieurs un certain nombre de responsabilités et les charges financières correspondantes, assumées précédemment par l'institution supérieure. Ce débat relatif à une restructuration des charges à l'intérieur du secteur public s'inscrit dans une réflexion plus générale portant sur une redistribution des tâches entre les partenaires de l'économie et sur une modification du système fiscal fédéral
[1].
Comme tout projet de décentralisation, la
nouvelle répartition des attributions entre la Confédération et les cantons se heurte à des objections contradictoires. Certains milieux témoignent d'une confiance mitigée quant à la volonté et aux moyens des cantons d'endosser effectivement les tâches que l'Etat central entend leur rétrocéder. Inversement, d'autres craignent que, sous le couvert de lois cadres, la Confédération maintienne ses prérogatives tout en se déchargeant financièrement sur les cantons
[2]. Chargée d'examiner la première tranche de mesures, la commission du National propose d'amender certains objets contenus dans le message fédéral de 1981, approuvé en partie par le Conseil des Etats en automne 1982. C'est ainsi qu'elle s'est prononcée contre les dispositions de transfert aux cantons de l'aide fédérale à la construction de logements que la chambre haute à finalement ratifiées lors de sa session extraordinaire de janvier. Cependant, à la différence des Etats, elle suggère de réintégrer dans ce premier paquet la suppression définitive des parts cantonales au droit de timbre et au produit de la Régie fédérale des alcools
[3]. Pour leur part, les gouvernements cantonaux se sont déclarés prêts à faire face à leurs nouvelles obligations, à condition que la Confédération ne les prive pas de leurs ressources traditionnelles. Ils sont bien décidés en revanche à s'opposer à toutes les tentatives de restreindre leur liberté par la promulgation de lois cadres
[4].
Le principe de la collaboration intercantonale s'est à nouveau essentiellement concrétisé dans le cadre des conférences spécialisées des directeurs cantonaux. Réunie à l'occasion de l'inauguration de son nouveau siège central à Berne, la Conférence suisse des directeurs de l'instruction publique (CDIP) s'est penchée à son tour sur les répercussions financières du projet de redistribution des tâches. Elle n'a pas caché que les cantons seront contraints à l'avenir de coopérer plus étroitement et d'appliquer les recommandations qui pourraient être prises. Pour l'heure, la CDIP s'est associée à un vaste programme de recherche sur la situation de l'école primaire et s'efforce de négocier le virage de l'audiovisuel
[5]. De leur côté, les chefs des départements de l'économie publique ont présenté à l'adresse des cantons un rapport destiné à harmoniser leurs politiques en matière de promotion industrielle. Ce document vise pour l'essentiel à empêcher que ces derniers ne se livrent à une surenchère ruineuse pour inciter les industriels à investir chez eux
[6]. Enfin, les tractations relatives aux projets de refonte du concordat régissant l'Office intercantonal du contrôle des médicaments (OICM) et l'accord entre cantons alémaniques pour le financement de leurs maisons de jeunesse n'ont pas abouti
[7].
La tendance à la décentralisation des tâches et des charges financières correspondantes se manifeste également parmi les cantons. Les discussions dans ce domaine portent d'une part sur l'opportunité d'aménager un niveau institutionnel intermédiaire entre le canton et les communes, à savoir la région; d'autre part sur l'idée de réduire le montant des contributions cantonales, en exploitant davantage le potentiel de la péréquation financière intercommunale
[8]. D'aucuns redoutent cependant que, par le biais de la
régionalisation, la Confédération soit tentée de multiplier ses interventions et, partant, d'empiéter dans la sphère réservée aux cantons. Sans pour autant remettre formellement en cause les instruments destinés à promouvoir la politique régionale sur le plan fédéral, ils ont tenu à souligner combien les «relais cantonaux» restaient indispensables à son développement
[9]. A ce propos, le modèle de régionalisation cantonale présenté par une commission extra-parlementaire du canton de Berne pourrait servir d'exemple dans la manière dont celui-ci entend résoudre le problème. Le but de l'exercice consiste à mettre en place un cadre légal pour permettre aux entités locales d'accéder à la «notion de région». Toutefois, pour ne pas imposer aux communes un quelconque projet venu d'en haut, la commission a imaginé diverses formes de collaboration. Parmi les solutions préconisées, l'une prévoit l'affiliation facultative à un organisme de droit privé ou public et une autre l'intégration dans un «Syndicat régional». D'une structure plus rigide, ce dernier pourrait se voir déléguer des tâches communales, voire cantonales
[10].
[1] AT, 28.5.83, ainsi que APS, 1973, p. 22 s. Sur les implications existant entre aspects institutionnels et économiques, cf. E. Tanner, ökonomisch optimale Aufgabenteilung zwischen den staatlichen Ebenen, Riehen 1982; L. Weber, «Le financement des collectivités publiques» dans ASSP, 1983, p. 251 ss. et infra, part. I, 5 (Finanzpolitik).
[2] LNN, 12.11.83; J.-F. Leuba, «Répartition des tâches entre la Confédération et les cantons», in Bulletin/Nouvelle Société Helvétique, 1983, no 4, p. 3 ss.
[3] BO CE, 1983, p. 2 ss. ; presse du 1.2.83 ; NZZ, 11.11.83 et AT, 12.12.83 (commission du CN). Voir aussi APS, 1981, p. 25 s.; 1982, p. 18. Pour ce qui est de l'adoption par les Chambres du renforcement de l'aide fédérale en faveur de la culture et de la langue dans les cantons du TI et des GR, voir infra, part. I, 8b (Sprache).
[4] Cf. les résultats d'une enquête réalisée auprès de l'ensemble des cantons sur les répercussions financières résultant de la nouvelle répartition des tâches: Fondation pour la collaboration confédérale, Les Cantons et la nouvelle répartition des tâches, Soleure 1983. Voir en outre les nouvelles propositions faites par les chefs des départements des finances pour le maintien de certaines ressources traditionnelles dont bénéficient les cantons (TA, 16.11.83; NZZ, 30.11.83).
[5] BaZ, 28.10.83; TLM, 1.11.83; NZZ, 2.11.83, ainsi que infra, part. I, 8a (Primar- und Mittelschulen).
[7] Maisons de jeunesse: TA, 4.3.83 ; 13.9.83.OICM : cf. APS, 1982, p. 127. Les négociations relatives au partage des biens entre le canton de Berne et la République et Canton du Jura se sont poursuivies selon le calendrier arrêté. Six nouvelles conventions ont été signées dans le courant de l'année (Bund, 23.9.83; TLM, 23.9.83).
[8] Voir à cet égard les projets de nouvelle répartition des tâches et de renforcement de la péréquation financière horizontale présentés par les gouvernements de ZH (NZZ,10.3.83 ; 31.3.83; 19.5.83) et de SH (NZZ, 9.11.83). Voir aussi infra, part. II, 2c.
[9] BO CN, 1983, p. 1854 s. (interpellation Keller, pdc, AG); Vat., 2.5.83 (réflexions du PDC) ; presse du 20.6.83 (Congrès du PLS sur le thème « Fédéralisme et politique régionale »). Voir aussi infra, part. I, 4a (Strukturpolitik) et III a (Parti libéral).
[10] Kanton Bern, Regionalkommission, Schlussbericht, 1983 («abrégé» publié également en français); Bund, 12.8.83; BZ, 12.8.83; Journal du Jura, 12.8.83; NZZ, 18.8.83. Voir en outre H. Muralt, Region — Utopie oder Realität, Bern 1983, ainsi que APS, 1977, p. 25.
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