Année politique Suisse 1983 : Eléments du système politique / Elections / Elections fédérales
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Campagne électorale
La campagne électorale a débuté après les vacances d'été et a atteint son point culminant dans les trois premières semaines d'octobre. Elle fut pourtant marquée par la mort subite du conseiller fédéral Willi Ritschard peu avant le scrutin [16]. La campagne a entraîné de grandes dépenses, mais se déroula de façon plutôt feutrée. Lors de la pré-campagne, les grands partis avaient déjà publié leurs principales options sous forme de manifestes électoraux sans toutefois y intégrer la question nouvelle du dépérissement des forêts [17]. Le problème n'a été introduit que tardivement dans la campagne électorale par les formations politiques, alors qu'il avait été longuement développé par les médias. Une innovation se produisit toutefois dans le canton de Zurich, puisque une série d'associations de protection de l'environnement ont recommandé une liste informelle interpartis, composée de candidats qui s'étaient engagés positivement dans ce domaine [18].
Les partis gouvernementaux ont avant tout mis l'accent sur leurs choix fondamentaux: dans leurs publications, les radicaux ont fait l'apologie de l'épargne et de la responsabilité individuelle au sein de l'Etat social, largement développé; ils ont aussi engagé une polémique contre la gauche revendicatrice [19]. De leur côté, les socialistes ont dénoncé, derrière la formule radicale, la volonté de réduire les prestations sociales et ils ont engagé la controverse sur la nécessité de maintenir l'influence de l'Etat; ils ont, de surcroît, diagnostiqué d'autres problèmes d'actualité: la sécurité de l'emploi dans un environnement favorable a dominé le programme des objectifs à la fois rouges et verts [20]. En insistant sur la famille, le PDC a prôné le maintien des valeurs traditionnelles et s'est déclaré partisan d'une péréquation entre les extrêmes [21]. Enfin, l'UDC a demandé au gouvernement d'agir concrètement plutôt que de se perdre dans des théories complexes [22]. Dans les groupements d'opposition, on a remarqué des développements classiques et d'autres plus inédits. En effet, la droite nationaliste mit une fois de plus l'accent sur son combat contre la politique gouvernementale à l'égard des étrangers et des réfugiés, tandis que l'AdI a dénoncé, par la voix de ses ténors, l'arbitraire de certaines grandes structures. Chez les partis verts, les idées non conformistes ont prévalu dans maints domaines, alors que les POCH ont tenté de jouer un rôle de leader parmi les mouvements alternatifs avec une initiative visant à suspendre la construction des autoroutes [23].
L'importance croissante de la publicité politique dans les moyens de communication de masse s'est confirmée [24]. L'efficacité des supports publicitaires, tels que les affiches et les annonces dans les journaux, a été peu étudiée en Suisse. Cependant des exemples étrangers attestent du lien important entre le budget disponible et le succès électoral obtenu [25]. Pour la première fois, on a publié après les élections des estimations détaillées sur les dépenses de chaque formation pour ses annonces; une partie des intéressés les ont contestées. La somme des dépenses brutes indiquées s'élevait finalement à 7,4 millions de francs [26]. Il est probable que les dépenses en rapport avec les élections ont été supérieures en 1983 à leur niveau de 1979 [27]. Dans les commentaires qui ont suivi les élections, les critiques relevant l'enjeu politique de ces efforts publicitaires accrus ne purent passer inaperçues [28]. De même, les sondages effectués selon des méthodes utilisées à l'étranger ont ouvert de nouvelles perspectives sur la formation de l'opinion. Sur la base d'une enquête, le «Blick» a estimé, semaine après semaine, les forces respectives des partis en présence [29]. Les importantes variations publiées sont restées dans la marge d'erreur propre à une analyse élémentaire [30]. Le fléchissement massif prédit auparavant pour le PS [31] ainsi que les gains électoraux du PRD et des écologistes furent finalement moins spectaculaires que prévu [32]. Ce quotidien de boulevard a su habilement attribuer au décès fortuit du conseiller fédéral W. Ritschard les erreurs contenues dans l'interprétation des projections qu'il a publiées. Celui-ci aurait eu un large effet mobilisateur en faveur du PS [33].
La polarisation de la vie politique suisse est apparue dans les apparentements de listes beaucoup plus nettement que dans la campagne électorale proprement dite. Dans sept arrondissements électoraux ayant le système proportionnel, aucune entente interpartis n'a vu le jour [34]. Trois partis gouvernementaux ont conclu, dans six cantons, la traditionnelle entente bourgeoise [35]. Dans les cantons de Berne, de Thurgovie, de Vaud et du Jura [36], le PDC est allé seul au combat, ce qui a limité l'alliance au PRD et à l'UDC. A Neuchâtel une tentative de collaboration bourgeoise entre libéraux et radicaux n'a pu être menée à bien [37]. En revanche, la réunion des petits partis du centre s'est opérée partout [38]. Du côté de la gauche, on trouve également des structures typiques puisque, dans aucun des cantons de la Suisse alémanique, le PS n'a préconisé une entente avec un autre parti [39]. Des coalitions se sont pourtant formées sous le vocable de «Bunte Koalition» à Zurich, Berne, Bâle-Ville, Soleure, Schaffhouse et Tessin [40]. Par contre, en Suisse romande, la gauche a présenté un front uni dans les cantons de Genève et de Vaud ou une combinaison socialiste/chrétienne-sociale dans le canton du Jura [41]. Partout on a pu constater la nette volonté des écologistes de se distancer des forces progressistes.
 
[16] Cf. supra, part. I, 1c (Regierung).
[17] Cf. infra, part. I, 4c (Forstpolitik).
[18] Pour les résultats cf. presse du 26.10.83.
[19] PRD, Nos convictions. Les principes du radicalisme moderne, Berne 1983; cf. NZZ, 28.7.83. Sur la polémique: Schweizer Monatshefte, 63/1983, p. 878 ss. Sur l'analyse de la situation politique à l'approche des élections : NZZ, 29.1.83.
[20] Sur la polémique: Dossier SPS/PSS: Moins d’Etat ou Etat-providence? Une analyse de l’idéologie du « Moins d’Etat», Berne 1983. Programme d'action: PSS, Objectifs 1983-87. Elections fédérales 1983, Berne 1983; cf. TA, 6.7.83. Sur l'analyse politique à l'approche des élections: Rote Revue, 62/1983, no 69, 10; SP-Information, 149, 12.10.83.
[21] PDC suisse, Famille, emploi, qualité de vie. Programme des points forts 1983-87, Berne 1983. Complément actuel: PDC suisse, L'exploitation familiale — modèle de la politique agricole, Berne 1983; PDC suisse, Une politique de la paix et de la sécurité d'inspiration chrétienne, Berne 1983. Sur l'analyse politique à l'approche des élections: NZZ, 16.6.83.
[22] UDC, Programme d'action '83. Documentation sur le programme de l'UDC, Berne 1983; UDC, Moins de théories, plus d'actions. Profession de foi, 1983.
[23] Cf. infra, part. III a (Alliance des indépendants, Partis nationalistes, Extrême gauche, Partis écologistes).
[24] J. Havlicek / M. Steinmann, Die Publikumsresonanz der Wahlsendungen des Schweizer Fernsehens und des Schweizer Radios 1983, Zusammenfassung der Forschungsergebnisse, Bern 1983.
[25] Pour l'étranger: W. W. Pommerehne / J. D. Lafay, « Okonometrische Untersuchungen von Wahlkampfausgaben», in Jahrbuch für Sozialwissenschaft, 34/1983, p. 20 ss. Pour la Suisse: H. P. Hertig, Analyse der Nationalratswahlen 1979, Vox-Sondernummer, Zürich 1980; C. Longchamp, Analyse der Nationalratswahlen 1983, Vox-Sondernummer, Zürich 1984; E. Gruner / H. P. Hertig, Der Stimmbürger und die « neue» Politik, Bern 1983.
[26] Argus der Presse, Inseratenauswertung bei den Nationalratswahlen 1983, Zürich 1983. A l'origine, les dépenses globales furent chiffrées à 8,6 mios de ff. (BaZ, 25.10.83). L'UDC zurichoise fut particulièrement critique sur la méthode employée. L'Argus indiqua des marges d'erreurs allant jusqu'à 10%, ce qui ne modifiait cependant pas la proportion des partis (NZZ, 19.11.83). Sur la critique renouvelée par l'UDC zurichoise: NZZ, 9.12.83. Chiffres définitifs, répartis entre les principales formations: PRD 33,9%; UDC 21,2%; PDC 14,4%; PSS 7,6%; divers 22,9% (communication écrite de l'Argus, 17.1.83).
[27] Dépenses globales estimées en 1983: 20 mios de fr. (24 Heures, 10.1.83); estimations vérifiées en 1979: 14 mios de fr.; en 1975: 9 mios de fr. (E. Gruner); cf. APS, 1979, p. 37.
[28] Le PRD zurichois par exemple critiqua, non la qualité, mais le budget de publicité des candidats, jugé décisif pour l'entrée au parlement; cf. NZZ, 26.10.83; TA, 12.11.83.
[29] Cf. Blick, 17.9.83; 26.9.83; 3.10.83; 10.10.83; 17.10.83; 24.10.83; aspect critique: Vr, 7.10.83. Pronostics électoraux, une année avant les élections: TA, 10.1.83; aspect critique: TLM, 15.1.83. Analyse de tendance sur la base des élections cantonales du printemps 1983: TA, 4.5.83; 27.10.83. Pronostics cantonaux: Scope, Vor den Nationalratswahlen im Kanton Bern, Luzern 1983; Vat., 4.7.83 (AG); Suisse, 25.10.83 (NE).
[30] Le nombre des personnes interrogées chaque semaine par l'institut Isopublic de Zurich ne s'élevait qu'à 330. Les erreurs statistiques elles mêmes représentent +/– 4,5%. De plus, dans le cas helvétique, des fautes typiques correspondent au nombre important d'électeurs qui n'a pas de préférence pour un parti plusieurs semaines avant le vote.
[31] Cf. Blick, 26.9.83 (« Der SP laufen die Wähler davon»); le principal motif indiqué fut le soutien du PS aux 100 km/h sur les autoroutes. Pour une autre évaluation de l'état d'esprit dans la population sur la limitation de vitesse, cf. ACS, Tempolimiten 80/100, Lausanne 1983. Cf. infra, part. I, 6b (Strassenverkehr).
[32] Les écarts finaux s'élevaient, en moyenne, à plus de 1% du total des électeurs, malgré l'intégration de facteurs de pondération; les différences les plus importantes: PS 3,8% trop bas; écologistes 2,1 % trop haut!
[33] Un sondage postérieur a indiqué que le décès du CF W. Ritschard avait touché une majorité de personnes, au-delà des clivages partisans. Cependant un mouvement correspondant n'a pas été enregistré sur le plan politique ; cf. Isopublic, Nationalratswahlen unter dem Eindruck des Todes von Bundesrat Ritschard, Zürich 1983. Malgré cela, le Blick parla d'un «effet Ritschard» favorable au PS lors des élections, élément qui fut souligné par d'autres mass media: Blick, 2.11.83; cf. aussi NZZ, 25.10.83; Suisse, 3.11.83.
[34] ZG, AR, SG, GR, NE; apparentement entre des listes du même parti seulement: LU, VS.
[35] ZH (incl. une liste écologiste), BS (incl. PL), BL, SH, AG, GE (incl. PL).
[36] Au canton de VD alliance bourgeoise Incl. PL.
[37] Cf. Suisse, 26:6.83.
[38] Composée de l'AdI et du PEP; à ZH, BE et AG renforcée par le parti social-libéral.
[39] Le PS a décliné l'offre du POCH (LU) et du PSO (ZG); cf. LNN, 4.7.83 ; Vat., 9.7.83. Le PS de SZ envisagea tardivement une alliance avec I'UDC (Vat., 25.10.83).
[40] Alliance du PdT, du PSO et des verts alternatifs sous la direction des POCH. Sur le concept idéologique de la « Bunte Koalition », succédant à celui de « Pol links der SP» de 1979, cf. Positionen, 45/46, juin 1983. A Bâle, le PSO et les verts alternatifs suivirent leur propre voie et l'apparentement de listes se limita aux POCH et au PdT.
[41] A Neuchâtel, le PS refusa une alliance avec le PdT comme il l'avait fait en 1979; cf. APS, 1979, p. 36.