Année politique Suisse 1983 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Principes directeurs
Les principes directeurs de la politique étrangère helvétique ont été confrontés à un climat international particulièrement tendu. Les multiples crises qui se sont succédé tout au long de l'année ont fourni l'occasion aux autorités fédérales de réaffirmer leurs options fondamentales en matière de neutralité, de sauvegarde de la paix et de sanctions envers un Etat tiers.
Dans le cadre du débat sur les euromissiles, le Conseil fédéral déplora l'échec des négociations de Genève entre les Etats-Unis et l'Union soviétique, tout en exprimant l'espoir d'une reprise très prochaine des discussions et «d'une solution garantissant l'équilibre des forces en Europe». Cette question entretint un vaste mouvement pacifiste dans les pays européens, concrétisé par d'importantes manifestations. A Berne, quelque 50 000 personnes se réunirent à l'appel de nombreuses organisations pour exiger le démantèlement des blocs militaires, le retrait de tous les missiles, ainsi qu'une politique plus accentuée en faveur de la paix et des pays en voie de développement
[1].
Les
thèmes de la paix et du désarmement ont également rencontré un écho au niveau parlementaire. Le Conseil national a adopté un postulat Ott (ps, BL) visant à activer et à coordonner la recherche en matière de paix et d'étude des conflits, tandis que la rupture des négociations entre les deux grandes puissances suscita une motion de l'écologiste genevois Laurent Rebeaud pour proposer une action concertée des pays neutres afin de relancer le dialogue sur le désarmement. A cet égard, il faut rappeler que la Suisse a refusé de s'associer à la proposition suédoise portant sur la création d'une zone dénucléarisée en Europe centrale, en renouvelant son souhait d'un désarmement effectué au plus bas niveau possible et contrôlable
[2].
Après avoir vivement condamné la destruction en vol d'un appareil civil coréen par la chasse soviétique, le Conseil fédéral fut confronté au problème des sanctions préconisées par la communauté internationale à l'encontre de l'URSS. En soulignant qu'il n'était pas dans la tradition helvétique d'appliquer des sanctions contre un autre Etat, les autorités fédérales décidèrent de suspendre les liaisons aériennes avec ce pays pour une durée de deux semaines
[3]. L'intervention de l'armée américaine sur l'île de la Grenade engendra une nouvelle prise de position publique de l'exécutif pour condamner «les actes de violence qui ont conduit au renversement et à l'assassinat du Premier ministre Maurice Bishop aussi bien que toutes les interventions étrangères dans ce pays». Les Organisations progressistes (POCH) et le PSS ont stigmatisé les termes et la publication tardive de cette déclaration, non dépourvue d'ambiguïtés à leurs yeux
[4].
Cette
dégradation des relations Est-Ouest fut perceptible lors de la phase finale de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), au cours de laquelle les pays neutres et le groupe des non-alignés jouèrent un rôle actif. En collaboration avec ceux-ci, la diplomatie helvétique a mis en évidence sa capacité de médiation lors de l'élaboration du document final. L'ambassadeur E. Brunner, chef de la délégation suisse, a affirmé la nécessité de parvenir à l'élaboration d'un texte substantiel reflétant les points de vue de chacun, tout en représentant un progrès par rapport aux réunions antérieures. Pour sa part, le chef du DFAE a plaidé pour une réduction de la dimension idéologique du processus de la détente au profit de ses aspects humains
[5]. En dépit des références à la lutte contre le terrorisme et à l'organisation ultérieure d'une conférence sur le désarmement, certains milieux politiques (PDC) ont vivement critiqué le bilan de la CSCE et le texte adopté, jugé trop évasif et peu contraignant pour les pays de l'Est. Cependant, la Suisse s'associa aux pays neutres et non-alignés réunis en octobre à Genève pour une conférence préparatoire sur les mesures de confiance et de sécurité et sur le désarmement en Europe
[6].
L'état des relations internationales n'a pas affecté le déroulement des
missions traditionnelles de la Confédération qui a accueilli, sur le sol genevois, deux réunions internationales importantes concernant le conflit du Proche-Orient. Ouverte le 29 août sous l'égide du comité ad hoc des Nations Unies, la «Conférence internationale sur la question de la Palestine» a rassemblé les délégations d'une centaine de nations pour débattre de l'avenir du peuple palestinien. Devant l'absence des pays européens occidentaux, des Etats-Unis et d'Israël, le Conseil fédéral exprima son scepticisme sur l'efficacité d'une telle rencontre, mais décida en même temps d'y déléguer un observateur. En recevant le secrétaire de la Ligue arabe Chadli Klibi, P. Aubert, président de la Confédération et. chef du DFAE, a rappelé que la Suisse ne saurait dissocier le droit à l'autodétermination du peuple palestinien du droit à l'existence pour Israël dans des frontières reconnues
[7].
Deux mois plus tard, la «Conférence du dialogue au Liban» réunissait les principales factions rivales de ce pays dans la cité de Calvin tandis que les affrontements se poursuivaient sur le terrain. A l'ouverture des travaux, les participants ont accueilli favorablement la proposition du chef de notre diplomatie consistant à offrir les bons offices de la Suisse pour explorer une perspective fédéraliste applicable à la crise libanaise. Ces questions ont également fait l'objet d'entretiens bilatéraux entre le président libanais et le président de la Confédération
[8].
Sur le plan intérieur, la poursuite des missions traditionnelles helvétiques fut' étroitement liée à la politique de l'asile. L'action en faveur des soldats soviétiques, capturés par la résistance afghane et internés en Suisse sous l'autorité du CICR, a connu des développements avec l'arrivée d'un nouveau prisonnier en octobre. Durant l'été, l'un des membres du groupe a réussi à gagner clandestinement la République fédérale allemande pour y demander l'asile politique. La Société suisse pour la Convention européenne des droits de l'homme s'est interrogée sur la base légale de ces internements, en raison de leur caractère transitoire
[9].
[1] Euromissiles: BO CN, 1983, p. 1735 s. (question ordinaire Butty, pdc, FR); TLM,13.13.83. Berne: cf infra, part. I, 3 (Friedenserhaltung). Sur le pacifisme en Suisse, cf. Suisse, 5.4.83; NZZ, 5.11.83.
[2] BO CN, 1983, p. 142 s. (postulat transmis); 24 Heures, 6.10.83. De son côté, le PDC a élaboré une étude demandant aux autorités d'adopter une politique plus active en matière de paix et de sécurité; cf. BaZ, 22.4.83; TLM, 22.4.83. Proposition suédoise : BO CN, 1983, p. 575 s. (question ordinaire Braunschweig, ps, ZH); Délib. Ass. féd., 1983, V, p. 68 (motion Rebeaud, écologiste, GE).
[3] Le CF a condamné avec «indignation» «cet acte barbare» : presse du 8.9.83. Lors de son intervention à la CSCE à Madrid, P. Aubert condamna l'incident en termes très vifs: TA, 8.9.83. Critique de la position officielle: VO, 38, 22.9.83. Problème des sanctions: 24 Heures, 9.9.83 ; TA, 14.9.83 ;19.9.83 ; Suisse 15.9.83. La Suisse a exigé l'indemnisation des victimes lors de l'assemblée générale de l'Organisation internationale de l'aviation civile (TLM, 1.10.83).
[4] Attitude réservée du CF: NZZ, 27.10.83. Position du PS: TA, 28.10.83; 29.10.83; 24 Heures, 31.10.83. Condamnation officielle: presse du 3.11.83. Commentaires: BaZ, 3.11.83; 24 Heures, 8.11.83.
[5] Le point sur la conférence: Europa, 50/1983, no 1, p. 14 et 20; Ww, 14, 6.4.83. Position suisse: Ww, 33, 17.8.83 (E. Brunner); cf. également NZZ, 16.4.83; TA, 18.4.83. Médiation helvétique: JdG, 9.7.83. Fin de la conférence: Documenta, 1983, no 3, p. 20 (P. Aubert); FF, 1983, IV, p. 261; presse du 8.9.83. Pays neutres: TA, 16.3.83; 19.3.83; NZZ, 21.3.83; L'Hebdo, 28, 14.7.83. Cf. APS, 1982, p. 36s.
[6] Commentaires sur le document final: BaZ, 7.5.83. Position du PDC: NZZ, 22.7.83; Bund, 25.7.83. Bilan jugé favorable : VO, 30, 28.7.83. Suites de la conférence : TA, 12.10.83 ; presse du 22.10.83. Sur un autre terrain, une médiation helvétique a permis le règlement d'un différend opposant le Kenya, l'Ouganda, la Tanzanie (BaZ, 18.11.83).
[7] La Suisse fut d'abord réticente à l'organisation de la conférence à Genève; cf. TLM, 14.6.83; Bund, 16.6.83; BO CN, 1983, p. 694 (question ordinaire Soldini, vigilant, GE). Sur les enjeux de la conférence, cf. JdG, 27-29.8.83 ; Suisse, 27.8.83; Bund, 28.8.83. Sur l'opportunité de la présence suisse, cf. Suisse, 24.8.83; NZZ, 25.8.83; CdT, 28.8.83. Visite de C. Klibi: TdG, 1.9.83. La position helvétique sur le problème du Proche-Orient fut également soulignée lors de la visite du président égyptien, H. Moubarak, effectuée en juin; cf. presse du 9.6.83. Le CICR organisa l'échange de 4300 prisonniers palestiniens contre 6 soldats israéliens ; cf. presse du 25.11.83.
[8] Des observateurs syrien et américain assistèrent à la réunion. Sur la préparation de la conférence, cf. NZZ, 22.10.83. Intervention de P. Aubert au début de la réunion : presse du 1.11.83. Le président libanais, A. Gemayel, a rencontré le président de la Confédération, P. Aubert, à deux reprises; cf. Suisse, 30.10.83; 31.10.83 et presse du 31.10.83.
[9] Arrivée des nouveaux internés au camp de Zugerberg: BaZ, 15.I.83; 24 Heures, 29.10.83. Position du DFAE: TLM, 6.1.83 ; 26.1.83; BaZ, 28.1.83. Dossier: TA, 5.7.83; cf aussi BO CN, 1983, p. 560 (question ordinaire Oehen, an, BE). Cf. APS, 1982, p. 34.
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