Année politique Suisse 1983 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
 
Politique énergétique
En 1983, le bilan énergétique de la Suisse fut marqué par une progression de la consommation globale de 2,9% alors que celle-ci avait baissé de 1,5% en 1982. Les produits pétroliers ont conservé une place prépondérante (67,6 %), mais cette proportion s'est stabilisée (67,7% en 1982). En couvrant 20% des besoins en énergie, l'électricité a augmenté sa part de 1 %. Les centrales hydrauliques ont fourni 69,5% du courant électrique tandis que les installations atomiques en produisaient 28,6% et les usines thermiques 1,9%. Parmi les autres sources d'énergies, l'utilisation du gaz s'est fortement élevée (+ 11,4%) et a assuré 6,5% de l'approvisionnement total. Dans le même temps, le charbon a regressé de 13,8% et ne représente plus que 2,2% du bilan énergétique (2,7% en 1982), soit légèrement plus que le bois (1,6%) [1].
L'année écoulée a marqué le dixième anniversaire de la première crise du pétrole. Durant cette décennie, le débat sur la politique énergétique a occupé une place non négligeable dans la vie nationale et fut relancé en 1978 par les perspectives développées dans la conception globale de l'énergie (CGE). Depuis lors, les aspects politiques, économiques et sociaux de certains projets ont été particulièrement discutés. Ce fut le cas en 1983 pour l'introduction d'un article constitutionnel sur l'énergie, les deux initiatives populaires intervenant dans le domaine énergétique et l'autorisation générale pour la centrale nucléaire de Kaiseraugst [2].
Mis en chantier en 1980, le nouvel article 24 octies de la Constitution devait donner une large compétence aux autorités fédérales en matière de politique énergétique en prévoyant des directives concernant l'utilisation rationnelle de l'énergie, des prescriptions-cadres destinées à inciter l'action cantonale en la matière et le développement de la recherche. Acceptée par le peuple au mois de février, mais n'ayant obtenu une majorité favorable que dans 11 cantons, cette disposition a finalement connu l'échec au terme d'une campagne animée.
Le DFTCE estima qu'un tel article était nécessaire en raison de l'accroissement prévisible de la consommation nationale d'ici la fin du siècle et des incertitudes pesant sur l'évolution du marché des produits pétroliers. De plus, le DFTCE entendait ainsi combattre l'initiative pendante «pour un approvisionnement en énergie sûr, économique et respectueux de l'environnement» qui prévoit notamment l'instauration d'un impôt sur l'énergie [3]. A l'opposé, les milieux économiques et patronaux ont relevé que les directives prévues par la CGE ne nécessitaient pas un tel aménagement de la Constitution, compte tenu du bon fonctionnement du marché de l'énergie et de l'existence, en cas de crise, de la loi fédérale sur l'approvisionnement. Ces mêmes adversaires ont également souligné que le texte proposé allait à l'encontre de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons en centralisant fortement une compétence au niveau fédéral. Pour leur part, les POCH, la Fondation suisse pour l'énergie et de nombreux mouvements écologiques ont repoussé les mesures arrêtées en les jugeant trop peu contraignantes et particulièrement favorables à la promotion de l'énergie nucléaire [4].
A défaut de la mise en place d'un article constitutionnel sur l'énergie, le Conseil fédéral s'est orienté vers une intensification de sa politique énergétique en tenant compte des bases légales existantes pour mettre en place des mesures sectorielles. La Commission fédérale de l'énergie a élaboré un rapport précisant la liste des actions à entreprendre pour rationaliser l'utilisation de l'énergie. Par ailleurs la Confédération entend poursuivre son programme d'impulsion en matière d'économies d'énergie, notamment au niveau de la formation dans l'industrie du bâtiment. Dans le domaine de la recherche, l'énergie atomique a recueilli l'essentiel des moyens attribués par l'Etat fédéral, soit 83 millions, et 17 millions furent consacrés à l'étude des énergies renouvelables (solaire, vent, etc.) [5]. Le DFTCE a tenu à souligner que la stabilisation des prix du pétrole risquait d'entraîner une démobilisation de l'opinion publique, alors que la dépendance de la Suisse à l'égard de l'étranger demeure particulièrement forte et qu'une nouvelle crise ne peut être totalement exclue. Une analyse similaire de la situation helvétique est présentée dans le rapport annuel de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
C'est dans ce contexte que les initiatives en suspens sur l'énergie ont été rejetées par le Conseil fédéral. Celui-ci a en effet désapprouvé l'initiative relative à l'approvisionnement énergétique en estimant que des impératifs écologiques ne sauraient se substituer aux nécessités de l'économie et qu'il n'était pas souhaitable, après le rejet de l'article constitutionnel, d'attribuer de nouvelles prérogatives à la Confédération. De plus, la démarche des initiants comportait, selon les autorités fédérales, une dimension plus vaste que le domaine de l'énergie, susceptible de déboucher sur des changements sociaux non négligeables. L'exécutif fédéral a également écarté l'initiative intitulée «pour un avenir sans nouvelles centrales nucléaires» en lui reprochant essentiellement d'hypothéquer lourdement la production suisse d'électricité dès le siècle prochain sans pour autant offrir de véritables solutions de remplacement. Dans l'attente de la votation populaire, les, deux comités d'initiatives ont fusionné sous la présidence du conseiller national D. Brélaz (écologiste, VD), de Ursula Koch et de M. Pestalozzi [6].
La commission ad hoc du Conseil des Etats rejeta également le texte sur l'approvisionnement le déclarant incompatible avec les besoins futurs du pays. Cet avis fut largement suivi par le plénum de la chambre des cantons, à l'exception des socialistes, de J.-F. Aubert (pl, NE) et de M. Bauer-Lagier (pl, GE). Ceux-ci ont tenu à rappeler la fragilité des prévisions en matière d'énergie et la nécessité d'explorer avec plus de soin les possibilités d'économies à une époque où l'industrie nucléaire marque un temps d'arrêt dans de nombreux pays. Le Conseil des Etats repoussa, le même jour, l'initiative populaire concernant l'énergie nucléaire, se ralliant ainsi à la position du Conseil fédéral dont les principaux arguments furent repris lors du débat. Alors que l'initiative propose de renoncer à la construction de nouvelles centrales après la mise en service de celle de Leibstadt (donc l'abandon de Kaiseraugst), ainsi que le non-renouvellement du parc de centrales existant, la majorité des conseillers d'Etats considéra qu'une telle politique mettrait en danger l'approvisionnement du pays en électricité pour laquelle la demande demeure croissante et menacerait à terme la situation socio-économique helvétique. Par contre, la Fondation suisse pour l'énergie, les comités antinucléaires de la région bâloise et divers groupements écologistes ont remis en cause la notion de besoin avancée par l'exécutif fédéral pour justifier la construction d'une nouvelle centrale, en relevant que la Suisse était exportatrice d'importantes quantités de courant électriques. A ces considérations, les partisans de l'initiative ont ajouté leurs craintes concernant la procédure d'élimination des déchets atomiques [7].
D'une façon générale, les politiques énergétiques au niveau cantonal ont connu une mise en place progressive et variable suivant les régions. Alors qu'une loi sur l'énergie n'est en vigueur que dans quatre cantons (ZH, BE, BL, NE) et à l'étude dans trois autres (BS, AG, GE), diverses prescriptions ont été introduites dans les législations. Parmi celles-ci, l'isolation des bâtiments constitue le terrain privilégié des efforts entrepris, puisque 17 cantons (réunissant 81% de la population helvétique contre 62% en 1982) sont désormais dotés de règles normatives à ce sujet. De leur côté, les responsables cantonaux des départements de l'énergie ont conjointement adopté en mars une série de recommandations afin d'harmoniser et de développer leurs actions : l'amélioration des constructions, la promotion de l'information et de la formation professionnelle, l'utilisation de mesures financières (dégrèvement fiscal ou subvention) sont les principaux moyens préconisés pour parfaire la maîtrise de l'énergie dans les cantons [8].
 
[1] Bilan: NZZ, 24.4.83; 24 Heures, 24.4.83. Electricité: RFS, 8, 21.2.84; 15, 10.4.84. Cf. aussi E. Kiener, «Die Bedeutung der verschiedenen Energieträger», in Documenta, 1983, no 4, p. 33 ss.; Schweizer Energiefachbuch, 1/1983-84.
[2] Evolution 1973-1983: NZZ, 10.2.83; 23.9.83; RFS, 46, 15.11.83; 24 Heures, 16.11.83. Débat: BaZ, 11.2.83; AT, 12.2.83; NZZ, 12.2.83; TA, 18.2.83 (Commission fédérale de l'énergie).
[3] Article constitutionnel: APS, 1980, p. 90 s.; 1981, p. 94 s.; 1982, p. 87 s.; RFS, 7, 15.2.83; TLM, 20.2.83; TA, 21.2.83; Bund, 23.2.83; presse du 24.2.83. Vote: FF, 1983, II, p. 316; presse du 28.4.83. Partisans: L. Schlumpf, «Der Energieartikel, ein massvolles Masskleid», in Documenta, 1983, no 1, p. 18 s.; NZZ, 22.1.83 (Confédération des syndicats chrétiens); 4.2.83 (Commission fédérale de l'énergie); SGT, 24.1.83 (PRD); BaZ, 7.2.83 (PDC).
[4] Adversaires: BaZ, 12.1.83; Suisse, 12.1.83; NZZ, 14.1.83 (comité d'action contre l'article); 15.2.83 (U. Koch); VO, 6, 10.2.83 (PdT); TA, 14.2.83 (AdI); Lib., 23.2.83 (USAM).
[5] Mesures sectorielles: NZZ, 6.6.83 (Commission fédérale de l'énergie) et 8.7.83. Programme d'impulsion: Cahiers de conjoncture, 39/1983, p. 35 ss. ; NZZ, 13.9.83. Recherches: NZZ, 5.11.83. La Suisse entend également poursuivre sa collaboration avec Euratom, dans le domaine de la fusion thermonucléaire; cf. FF, 1983, I, p. 109; BO CE, 1983, p. 361; BO CN, 1983, p. 1096.
[6] TA, 18.2.83 ; 29.6.83 ; TLM, 12.6.83 ; L. Schlumpf, «Der Ernst der Lage wird verkannt », in Ww, 30, 27.7.83 ; NZZ, 1.12.83 (Conférence mondiale sur l'énergie à Delhi). AIE: BaZ, 30.7.83; 24 Heures, 30.7.83. Fusion des comités: NZZ, 4.6.83; 24 Heures, 4.6.83.
[7] Initiative «Pour un avenir sans nouvelles centrales nucléaires»: FF, 1983, I, p. 729 ss.; APS, 1981, p. 99; presse du 27.1.83. Initiative «Pour un approvisionnement en énergie sûr, économique et respectueux de l'environnement»: FF, 1983, II, p. 1447 ss.; APS, 1980, p.93; presse du 2.6.83. Conseil des Etats: BO CE, 1983, p. 497 ss. ; presse du 29.9.83.
[8] Sur l'état des politiques cantonales de l'énergie, cf. FF, 1983, II, p. 1463 s. ; P. Keppeler, «Die Energiepolitik der Kantone», in Schweizer Ingenieur und Architekt, 101/1983, p. 1008 s.