Année politique Suisse 1983 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
Energie nucléaire
La question de l'utilisation de l'énergie nucléaire a continué de préoccuper l'opinion publique. Selon un sondage effectué auprès des personnes s'étant prononcées sur l'article constitutionnel, une majorité de citoyens (54%) serait opposée à la construction d'une nouvelle centrale. De son côté, la commission Justice et Paix de la Conférence des évêques catholiques a affirmé la nécessité de suspendre le développement du programme nucléaire aussi longtemps que les problèmes soulevés ne seraient pas résolus. Face à ces réticences, les autorités fédérales se sont à nouveau référées aux contraintes pesant sur le système énergétique suisse, tandis qu'une série de dispositions sont venues maintenir et compléter l'appareil législatif en matière nucléaire
[9].
Le Conseil national a prorogé, par 108 voix et sans opposition, jusqu'en 1990 l'arrêté fédéral concernant la loi sur l'énergie atomique. Ce texte réglemente l'ensemble de la procédure relative à l'implantation d'une centrale (clause du besoin, procédure d'autorisation, élimination des déchets). Sa validité expirait à la fin de l'année 1983 et son renouvellement a permis de prévenir une lacune juridique en attendant la révision de la loi atomique. La proposition des socialistes, visant à réduire la prorogation de sept à cinq ans, n'a pas été retenue et ceux-ci se sont abstenus lors du vote, aux côtés des indépendants et de l'extrême gauche. Celle-ci n'a pu obtenir que l'autorisation générale accordée aux promoteurs d'une usine atomique soit soumise au référendum facultatif. Le Conseil des Etats s'est rallié à cette décision.
L'exécutif fédéral a édicté une ordonnance qui précise les tâches des exploitants, des services fédéraux, des cantons et des communes en matière de sécurité aux abords des centrales. Le démantélement de ces dernières a fait l'objet d'un nouveau texte réglementaire prévoyant la constitution d'un fonds par les responsables des installatiòns pour financer ces futurs travaux nécessaires en raison de la durée de vie limitée des réacteurs. En outre, le gouvernement a fixé au ler janvier 1984 l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la responsabilité civile dans le domaine nucléaire adoptée par le parlement en mlars 1983 au terme d'une procédure d'élimination des divergences. Cette législation instaure la responsabilité illimitée des exploitants d'installation et prévoit l'intervention de la. Confédération en qualité d'assureur pour les dommages non couverts par les assurances privées
[10]. L'ensemble de ces mesures législatives a servi de toile de fond pour la prise de décisions concrètes.
En accordant à une large majorité l'autorisation générale pour la construction de la centrale nucléaire de
Kaiseraugst, le Conseil des Etats a fait progresser un dossier controversé depuis de nombreuses années. S'appuyant sur l'argumentation du Conseil fédéral selon laquelle le pays aura besoin d'une centrale nouvelle dans la première moitié des années nonante, la chambre des cantons a cependant émis le voeu que les installations projetées soient refroidies par le Rhin, contrairement à l'avis du DFTCE. Lors du débat, les réticences des conseillers bâlois, des socialistes et d'une partie des représentants romands ont été motivées par la localisation du complexe, son utilité future et le respect de l'hostilité manifestée localement
[11].
Ces préoccupations furent à nouveau présentes dans les travaux de la commission ad hoc du Conseil national. Le radical genevois G. Petitpierre milita, sans succès, en faveur d'un moratoire devant permettre au gouvernement fédéral d'élaborer un rapport sur la politique énergétique ainsi qu'un nouveau projet d'article constitutionnel. Certains commissaires PDC suggérèrent de renoncer à la centrale en indemnisant ses promoteurs. En dépit d'un désaccord clairement exprimé par le gouvernement bâlois, la commission a finalement donné son accord au projet de la centrale de Kaiseraugst, par 18 voix contre 13, en fondant sa décision sur la notion d'intérêt général. Les commissaires ont toutefois estimé qu'il était préférable d'attendre le verdict populaire concernant les initiatives sur l'énergie avant que le dossier ne soit examiné en séance plénière. Les deux demi-cantons bâlois ont d'ores et déjà décidé de déposer une initiative auprès du parlement fédéral lui enjoignant de renoncer à la construction de l'usine atomique
[12].
Conjointement à l'extension du parc nucléaire helvétique, l'entreposage des
déchets radioactifs a continué d'alimenter des discussions parfois très animées à diffirents niveaux. A la réunion des pays signataires de la convention de Londres pour la prévention de la pollution marine, la Suisse a voté contre une résolution, adoptée par la majorité des participants, qui exigeait un moratoire de deux décennies dans les campagnes d'immersion de déchets faiblement radioactifs en mer. Cependant, la décision du Conseil fédéral de procéder à de nouveaux largages dans l'océan n'a pas eu de suite concrète en raison de l'opposition du syndicat des marins dont relève le bateau britannique chargé du transport des fûts
[13].
Sur le plan intérieur, les citoyens de différents cantons se sont prononcés sur des dispositions traitant de ce domaine. Ainsi le souverain bernois a suivi l'avis du gouvernement et du parlement cantonal, dans le cadre d'une procédure de consultation fédérale, en approuvant l'agrandissement du dépôt de déchets de la centrale de Mühleberg. Ce référendum facultatif avait été lancé par les groupements antinucléaires et les POCH.
Dans le cadre d'une autre procédure de consultation menée par la Confédération auprès des cantons, les électeurs de Vaud et Zurich ont été favorables à l'entreposage de combustible atomique à l'Institut fédéral de recherches en matière de réacteurs de Würenlingen. Ce projet était combattu par l'extrême gauche cantonale et les écologistes. Par contre, à Schaffhouse, l'initiative populaire, soutenue par les socialistes et les Organisations progressistes et s'opposant à tout dépôt de déchets radioactifs dans le canton, a été acceptée par le corps électoral contre l'avis du Grand Conseil et du gouvernement. Dans le canton du Jura, une initiative du Parti chrétien-social indépendant a reçu l'approbation populaire. Elle prévoit la consultation des électeurs en matière d'installations atomiques. En revanche, les citoyens lucernois ont rejeté simultanément l'introduction du référendum facultatif pour les questions atomiques et une initiative «Pour une politique énergétique favorable à l'environnement
[14].
Tout en poursuivant ses recherches en différentes régions du pays en vue de déterminer l'emplacement d'un stockage de déchets hautement radioactifs, la Coopérative pour l'entreposage des déchets radioactifs (
CEDRA) a rendu public en mars les noms des trois sites jugés favorables pour entreprendre des travaux de sondages préliminaires en vue de la construction d'un dépôt de déchets atomiques faiblement et moyennement radioactifs. Les régions
d'Ollon (VD),
Mesocco (GR),
Bauen (UR) ont ainsi été retenues et elles ont fait l'objet de demandes d'autorisation déposées auprès du DFTCE en décembre
[15]. Ces décisions ont entraîné de vives protestations populaires au niveau communal et régional où l'on craint de graves préjudices portés à l'environnement et au secteur touristique. Alors que le Conseil d'Etat vaudois n'arrêtera définitivement sa position en la matière qu'après un scrutin cantonal ayant un caractère consultatif, une pétition dotée de 20 000 signatures a d'ores et déjà été adressée au palais fédéral pour demander l'arrêt de l'étude du site d'Ollon. Dans les Grisons, le Grand Conseil a rejeté une résolution condamnant le projet de dépôt atomique, mais le parti socialiste a lancé une initiative cantonale exigeant que le gouvernement mette en oeuvre tous les moyens politiques et juridiques afin d'empêcher toute installation atomique dans la région. De plus, l'opposition s'est étendue aux vallées tessinoises voisines et le parlement tessinois a voté, à une très large majorité, une résolution hostile aux travaux envisagés par la CEDRA. Dans le canton d'Uri, l'initiative populaire du comité «Atommüll hiä niä» a abouti. Elle prévoit l'organisation d'un scrutin cantonal avant que le Conseil d'Etat ne se prononce sur une construction atomique. En répondant à une interpellation parlementaire, le Conseil fédéral a indiqué que des résistances locales éventuelles ne sauraient être considérées comme décisives dans l'octroi d'autorisation pour des travaux de sondages préparatoires
[16].
Par ailleurs, la section suisse du World Wildlife Fund (WWF), la Société suisse pour l'environnement, divers groupements écologistes ainsi que des communes fribourgeoises et vaudoises, ont déposé des recours auprès du DFTCE pour s'opposer à la construction de la ligne à haute tension Mühleberg-Verbois. Les responsables d'Energie-Ouest-Suisse, promoteurs de l'ouvrage, ont estimé que celui-ci était nécessaire afin de satisfaire la consommation croissante d'électricité de la Suisse romande
[17].
[9] Sondage: Vox, Analyses des votations fédérales, 27.2.83. Justice et Paix: Notre responsabilité dans les problèmes énergétiques, publ. par la Commission nationale suisse Justitia et Pax, Berne 1983; BaZ, 21.5.83.
[10] Prorogation de l'arrêté fédéral: BO CN, 1983, p. 2 ss.; BO CE, 1983, p. 130; cf. APS, 1978, p. 94 ; 1979, p.104; 1982, p. 91 s.; TA, 1.2.83; TLM, 1.2.83. Sécurité: RO, 1983, p. 1877 ss.; BaZ, 29.11.83; TLM, 29.11.83. Démantèlement: RO, 1983, p. 1871 ss.; NZZ, 6.12.83; 24 Heures, 6.12.83. Responsabilité civile: BO CE, 1983, p. 41; BO CN, 1983, p. 263; presse du 6.12.83; cf. également APS, 1982, p. 91. Le parlement a ratifié un accord passé avec la République fédérale allemande et portant sur la sécurité des installations nucléaires situées de part et d'autre de la frontière ; cf. FF, 1982, III, p. 773 ss. ; BO CN, 1983, p. 120; BO CE, 1983, p. 370; Bund, 1.3.83 ; NZZ, 24.6.83.
[11] FF, 1982,1, p. 786 ss. ; BO CE, 1983, p. 6 ss. (plenum favorable par 32 voix contre 10) ; voir aussi APS, 1982, p. 90; TA, 26.1.83; JdG, 27.1.83; presse du 2.2.83, ainsi que BaZ, 4.2.83 (manifestation de protestation à Bâle). La France a réduit sa participation financière au projet de 20 à 7,5%; cf. Bund, 5.2.83.
[12] CN: Commission favorable par 18 voix contre 13; cf. TLM, 15.10.83; presse des 16 et 18.11.83; Vat., 19.11.83 (P. Zbinden, pdc, FR, rapporteur). Opposition des autorités bâloises: NZZ, 26.8.83; BaZ, 24.11.83; 30.11.83; 14.12.83; 23.12.83; 28.12.83; cf. aussi Nordwestschweizer Komitee gegen Atomkraftwerke (NWA) und Gewaltfreie Aktion Kaiseraugst (GAK), Kaiseraugst, kein Bedarf! Bern 1983; H. Kriesi, AKW-Gegner in der Schweiz, Diessenhofen 1982; D. Bridel, Procédure d'autorisation de centrales nucléaires. Etude de droit suisse, allemand, autrichien, Lausanne 1984.
[13] Convention de Londres: BaZ, 19.2.83; 24 Heures, 19.2.83; TA, 14.5.83. Décision fédérale: BO CN, 1983, p. 855; TA, 26.5.83; TLM, 26.5.83. Marins britanniques: BaZ, 27.9.83; Suisse, 27.9.83.
[14] Berne: NZZ, 11.2.83; Bund, 25.2.83; 15.6.83; 5.12.83 (scrutin). Vaud: TLM, 16.1.83; 8.6.83; 24 Heures, 13.6.83 (scrutin). Zurich: NZZ, 22.3.83; 5.9.83 (scrutin); TA, 8.6.83. Schaffhouse: NZZ, 14.6.83; 5.9.83 (scrutin); TA, 29.8.83. Jura: Suisse, 3.6.83; NZZ, 3.12.83; TLM, 5.12.83 (scrutin). Lucerne: LNN, 9.3.83; 23-26.11.83; 5.12.83 (scrutin). Cf. infra, part. II, 4a.
[15] CEDRA (forages à Böttstein AG, Weiach ZH, Riniken AG, Schafisheim AG): cf. CEDRA, Elimination des déchets nucléaires en Suisse, concept et état des travaux, Baden 1983; voir aussi Bund, 10.2.83; JdG, 11.2.83. Sites prioritaires: presse alémanique du 2.3.83; 24 Heures, 3.3.83; Cédra actualité, 3/1983, no 3bis. Demande d'autorisation: presse du 22.12.83.
[16] Vaud: 24 Heures, 12.3.83 ; 22.12.83 (autorités vaudoises) ; L'Hebdo, 12, 24.3.83 (011on) ; presse romande du 2.7.83 (pétition); TLM, 21.9.83; 27.11.83; 8.12.83. Grisons: CdT, 14.3.83; 28.4.83; 24 Heures, 2.10.83; sur l'opposition locale, cf. Ww, 50, 15.12.83; sur l'initiative socialiste, cf. NZZ, 7.10.83; 5.12.83; sur le parlement grison, cf. CdT, 30.9.83 ; TA, 1.10.83 ; sur le parlement tessinois, cf. CdT, 15.11.83 ; NZZ, 16.11.83. Les communes de la région se sont fortement abstenues aux élections fédérales pour protester contre le projet de dépôt; cf. 24 Heures, 27.10.83. Uri: Vat., 28.3.83, ainsi que LNN, 29.3.83 et 1.10.83 (opposition locale); Vat., 20.6.83, ainsi que 11.10.83, et 12.11.83 (initiative); Vat., 23.12.83 (autorités uranaises). Conseil fédéral: BO CN, 1983, p. 1863 (interpellation Humbel, pdc, AG); cf aussi ibid., p. 1862 (interpellation Steinegger, prd, UR).
[17] Ligne Mühleberg-Verbois: 24 Heures, 27.1.83; 9.2.83; 18.3.83; 29.11.83; L'Hebdo, 22.2.83; BaZ, 23.3.83; JdG, 30.3.83; Lib., 1.9.83. Les recours déposés ont un effet suspensif sur les autorisations accordées.
Copyright 2014 by Année politique suisse
Ce texte a été scanné à partir de la version papier et peut par conséquent contenir des erreurs.