Année politique Suisse 1984 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
 
Organisation des Nations Unies
Le débat sur la Charte sociale européenne préludait en quelque sorte celui relatif à l'adhésion de la Suisse à l'Organisation des Nations Unies. Les objections formulées au parlement par les adversaires du projet d'arrêté, présenté en 1981 par le Conseil fédéral, se rattachaient toutes à notre politique de neutralité [31]. Estimant en substance que notre présence à l'ONU serait incompatible avec le maintien de notre statut de neutralité permanente et armée; ils ont demandé en vain aux' Chambres de se prononcer contre l'entrée en matière. Lors de l'examen de détail du projet, le Conseil national a rejeté deux propositions tendant à garantir davantage notre neutralité. La première, émanant des rangs radicaux, entendait renvoyer le dossier au gouvernement en lui demandant de consulter les membres influents de l'organisation sur le point de savoir si la neutralité de la Suisse serait effectivement garantie. La seconde, développée par le démocrate-chrétien Iten (NW), souhaitait introduire une réserve plus formelle à ce sujet dans la demande d'admission. Le parlement a toutefois accepté un postulat de la commission du National, chargeant notamment les autorités d'étudier les voies et moyens d'associer les Chambres aux travaux de l'Assemblée générale de l'ONU. Le projet d'admission a finalement été adopté, au vote par appel nominal, par 112 voix contre 78 au Conseil national et par 24 voix contre 18 au Conseil des Etats. A l'exception des partis de gauche et de l'AN, le clivage entre partisans et adversaires a largement passé à travers l'ensemble des formations politiques, les groupes parlementaires ayant été presque tous divisés sur cette question [32]. Le dossier devra encore passer le cap de la consultation populaire, fixée au printemps 1986. A ce sujet, les prévisions ne sont guère optimistes. La plupart des sondages réalisés depuis 1980 indiquent en effet qu'une majorité de citoyens serait défavorable à l'entrée de la Suisse à l'ONU [33].
La décision prise par l'administration américaine de se retirer au terme de l'année de l'UNESCO a provoqué la plus grave crise que cette institution ait jamais connue depuis sa création en 1946. Les griefs formulés à l'endroit de celle-ci par les Etats-Unis, qui assuraient à eux seuls le quart de son budget, portent essentiellement sur sa dérive idéologique et financière. Il n'est du reste pas exclu que la sanction qui frappe l'UNESCO touche bientôt d'autres organisations, telles que la FAO. Plusieurs députés sont intervenus au National pour suggérer au chef du DFAE de se retirer également de cette institution spécialisée si d'importantes réformes n'étaient pas entreprises. Tout en admettant la nécessité de procéder à certaines réformes et soulignant que nôtre pays avait fait des propositions concrètes dans ce sens [34], P. Aubert a déclaré que la Suisse n'avait pas l'intention de quitter l'UNESCO, mais qu'elle s'efforcerait, en collaboration avec d'autres Etats membres, de la réformer de l'intérieur. La nomination d'un représentant helvétique au poste d'adjoint du directeur général devrait contribuer à accélérer ce processus [35].
Afin de lutter plus activement contre le terrorisme international, les Chambres ont ratifié deux conventions internationales relatives à la prise d'otages et à la répression des infractions commises contre les personnes jouissant de l'immunité diplomatique. Ces instruments permettront notamment l'extradition des auteurs de tels actes ou, à défaut, leur poursuite et leur condamnation éventuelle par le pays qui a procédé à leur arrestation. D'autre part, le parlement a adopté la nouvelle Convention internationale des télécommunications ainsi que le Protocole additionnel facultatif concernant le règlement obligatoire des différends adoptés en novembre 1982 par la conférence des plénipotentiaires de l'Union internationale des télécommunications, siégeant à Nairobi. Ce texte met l'accent notamment sur la nécessité d'accroître dans ce domaine l'assistance technique aux pays en développement. Il prévoit en outre de fixer un programme de conférences administratives sur les services de radiodiffusion et l'utilisation rationnelle des fréquences [36].
 
[31] Voir à ce sujet A. de Muralt, «La neutralité suisse et la Chartre de l'ONU» et J. Monnier, «La neutralité suisse et l'ONU», in Schweizer Monatshefte, 64/1984. p. 489 ss. et 891 ss. ; J. Späni-Schleidt, Die Interpretation der dauernden Neutralität durch das schweizerische und das österreichische Parlament, Bern 1983; H. Schmid, Dauernd neutrale Staaten im Sicherheitsrat der Vereinten Nationen, Diss. St. Gallen 1984; D. Schindler, Dokumente zur schweizerischen Neutralität seit 1945, Bern 1984, ainsi que APS, 1981, p. 40 s.
[32] Débat au CN: BO CN, 1984, p. 173 ss. et p. 1957; presse des 15 et 16.3.84. Débat au CE: BO CE, 1984, p. 697 ss. et p. 739 ; NZZ, 24.10.84 (commission élargie du CE qui s'est prononcée en faveur de l'adhésion par 10 voix contre 4); presse des 13 et 14.12.84. Cf. en outre FF, 1984, III, p. 149 (décision finale); TA, 17.1.84 (F. Pometta, observateur permanent helvétique auprès de l'ONU); NZZ, 2.3.84; 10.3.84 (F. Honegger, ancien CF); BaZ; 12.3.84; 24 Heures, 12.3.84 (positions des principaux groupes parlementaires); Bund, 14.3.84; L. Schlumpf, «Die Schweiz auf dem Weg in die UNO? », in Documenta, 1984, no 4, p. 2 s. ; R. Friedrich, «Der UNO-Beitritt ist jetzt fällig!», in Europa, 51/1984, no 1/2, p. 9, ainsi que APS, 1983, p. 50 s.
[33] Selon un sondage réalisé en avril pour le compte de l'hebdomadaire Die Weltwoche, 57% des personnes interrogées étaient défavorables à l'adhésion. Cf. Ww, 24, 14.6.84, ainsi que APS, 1981, p. 41; 1982, p. 36; 1983, p. 51.
[34] Le DFAE serait ainsi favorable à une concentration des activités dans des domaines où un consensus est possible (éducation) et l'abandon temporaire de certains programmes controversés, comme l'aménagement d'un nouvel ordre mondial de l'information et de la communication (TA, 28.9.84).
[35] Interventions parlementaires: BO CN, 1984, p. 801 ss. (interpellations Sager, udc, BE et Hegg, an, ZH). Crise de l'UNESCO: TA, 9.1.84; JdG, 24, 25, 26.1.84 (P. de Senarclens, ancien directeur de la Division des droits de l'homme et de la paix de l'UNESCO); Lib. 9.5.84; 24 Heures, 6.6.84; NZZ, 25.6.84; 7.7.84; Bund, 23.11.84 ; BaZ, 24.11.84 ; L'Hebdo, 52, 28.12.84. D'autres bailleurs de fonds, comme la Grande-Bretagne et l'Allemagne, menacent également de se retirer si des réformes budgétaires ne sont pas réalisées (NZZ, 30.5.84). Voir aussi APS, 1983, p. 50.
[36] Protection des diplomates et prise d'otages: FF, 1984, I, p. 629 ss. ; BO CN, 1984, p. 1070 ss. ; BO CE, 1984, p. 625 ss. Télécommunications: FF, 1984, II, p. 1033 ss.: BO CE, 1984, p. 599; BO CN, 1984, p. 1112 s. Le gouvernement recommande en outre au parlement de poursuivre l'aide financière de la Confédération au Fonds des Nations Unies pour lutter contre l'abus de drogue (FF, 1984, III. p. 1017 ss.).