Année politique Suisse 1984 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie / Politique énergétique
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Initiatives populaires, antiatomique et énergétique
La question de doter la Confédération d'une base constitutionnelle lui permettant de promouvoir une politique globale de l'énergie a ressurgi à l'occasion du scrutin fédéral sur les deux initiatives populaires, antiatomique et énergétique, déposées en 1981 par les principales organisations écologistes du pays. Le premier projet prônait de renoncer progressivement à l'option du nucléaire, après la mise en service de la centrale de Leibstadt, et de soumettre au référendum facultatif les autorisations générales délivrées pour le dépôt des déchets radioactifs produits en Suisse. Le second se proposait de compenser cette réduction de la production électronucléaire par des mesures de conservation, la décentralisation de l'approvisionnement et le recours à des énergies indigènes et renouvelables. Pour financer l'application de ces dispositions, les initiants préconisaient de donner à l'Etat la compétence de prélever un impôt sur les agents énergétiques non renouvelables (combustibles fossiles) et l'électricité d'origine nucléaire et hydraulique. Le Conseil des Etats s'était rallié en 1983 à la proposition du gouvernement central de recommander au souverain le rejet, sans contreprojet, des deux initiatives. Soumises en mai à l'appréciation du National, elles ont connu un sort identique au terme d'un débat animé au cours duquel le spectre de Kaiseraugst et le dépérissement des forêts se sont profilés en filigrane derrière les délibérations du plénum. Lors du vote par appel nominal, les députés ont repoussé par 124 voix contre 48 l'initiative antinucléaire. C'est par un écart plus restreint en revanche (107 voix contre 62) qu'ils ont décliné le texte relatif à l'approvisionnement en énergie. Les partis bourgeois se sont prononcés pratiquement à l'unanimité contre ces deux objets. Seuls les radicaux Petitpierre (GE) et Salvioni (TI), ainsi que le démocrate-chrétien Wick (BS) se sont déterminés en leur faveur. Les deux projets ont obtenu par contre l'assentiment de l'ensemble de la gauche, des indépendants et de l'Action nationale, le Parti évangéliste populaire (PEP) n'approuvant pour sa part que l'initiative énergétique. Toutefois, au sein du groupe socialiste, pas moins de quatorze députés se sont soit abstenus soit exprimés contre l'initiative antiatomique. Plusieurs propositions de renvoi du dossier à la commission parlementaire, émanant notamment des rangs socialistes et indépendants, pour l'élaboration d'un contreprojet éventuel à la lumière des données présentées par la Commission fédérale de l'énergie (CFE) dans l'hypothèse d'une ratification du texte sur l'approvisionnement énergétique ont été rejetées, comme nous le verrons, par la majorité de la Chambre. Une requête subsidiaire du représentant POCH de Zurich, A. Herczog, qui exigeait une utilisation plus rationnelle de l'énergie et la renonciation à la centrale atomique de Kaiseraugst a également été écartée [5].
A l'approche de la consultation populaire, partisans et adversaires ont fourbi leurs armes. Les premiers ont tenté de défier leurs détracteurs sur leur propre terrain, celui de la rentabilité économique du nucléaire, de son incidence sur l'environnement et l'emploi, et ont mis l'accent sur les moyens de renoncer à l'avenir à cet agent énergétique. Les seconds, groupés autour des producteurs d'électricité, ont insisté sur la «pénurie endémique» qui résulterait de l'acceptation des deux initiatives et dénoncé le caractère «dirigiste» et «centralisateur» des mesures de conservation d'énergie prévues. Le problème de la sécurité des réacteurs atomiques a par contre été quelque peu éclipsé au cours de la campagne [6]. Malgré les prises de position sans équivoque des grandes formations politiques, la plupart d'entre elles ont enregistré des défections à la base [7]. En outre, l'intervention directe dans la campagne de certains services industriels, contrôlés par les pouvoirs publics et de communes a suscité des réactions contradictoires. C'est ainsi qu'à Zurich, la conseillère nationale Weber (adi) a introduit un recours auprès du Tribunal fédéral contre la municipalité et les Forces motrices pour mettre un terme à la propagande de la régie à l'encontre des initiatives. De son côté, l'exécutif argovien a rejeté une requête de la commune de Kaiseraugst d'accorder un crédit aux initiants pour le financement d'encarts publicitaires et ce, en dépit du vote favorable émis par les électeurs de la localité à la suite d'un référendum [8]. Les deux projets énergétiques ont finalement été repoussés à de faibles majorités. L'initiative antiatomique n'a recueilli que 45% des suffrages exprimés et celle relative à l'approvisionnement en énergie 45,8%, la participation électorale s'élevant pour sa part à 41,7%. Si, à l'exception des deux Bâles et du Tessin, la pression antinucléaire semble s'être légèrement relachée dans l'ensemble des cantons par rapport à février 1979, date du scrutin fédéral sur la première initiative dite «atomique», sur le plan politique en revanche le traditionnel clivage gauche-droite s'est raffermi. Il est vrai que l'initiative de 1979 ne fermait pas définitivement la porte au nucléaire, mais se bornait tout au plus à octroyer aux régions concernées par l'implantation d'une centrale le droit d'être consulté [9].
A l'issue de la votation, nombre d'observateurs ont été frappés par le sort à peu près identique que le souverain a réservé aux deux projets. D'aucuns s'attendaient en effet à ce que l'initiative énergétique soit davantage plébiscitée que le texte préconisant un moratoire nucléaire dans la mesure où bien des citoyens, par ailleurs favorables à l'utilisation pacifique de l'atome, admettent le principe de réaliser des économies et de soutenir plus activement la recherche dans le secteur des énergies alternatives. C'est du moins ce qui ressort des résultats d'un sondage effectué après la consultation. L'exécution de ces mesures se heurte toutefois à des obstacles de nature politique et juridique, la plupart d'entre elles nécessitant une intervention plus marquée des pouvoirs publics et notamment de la Confédération [10].
Pour briser le dynamisme de la polarisation qui s'est instaurée au cours de la campagne, certains ont proposé la mise sur pied d'une solution de compromis se situant à mi-chemin de la politique officielle et de celle fondée sur les initiatives. Il s'agirait en l'espèce de geler provisoirement notre programme nucléaire et d'infléchir la consommation d'électricité vers des usages plus rationnels; de promouvoir ensuite de «véritables» mesures d'économie sur la base de la législation existante et financée par une contribution causale sur l'énergie, qui elle en revanche nécessiterait une révision constitutionnelle. Cette voie médiane, exposée en particulier par le président de la CFE, F. Caccia, avait déjà fait l'objet en 1983 de deux interventions au sein de la commission du National chargée de statuer sur le dossier de Kaiseraugst. L'une de ces propositions, formulée par le radical genevois Petitpierre, avait été rejetée et la seconde retirée, avant d'être déposée à nouveau sous forme de motions par le démocrate-chrétien bâlois Wick. Examiné par le plénum lors de son débat sur les initiatives, ce projet de compromis a été largement repoussé [11]. Le Conseil fédéral a fait néanmoins un pas en direction de ses promoteurs dans les grandes lignes de son futur programme énergétique qu'il a esquissé au terme de l'année. C'est ainsi que, mis à part les mesures de conservation d'énergie qu'il entend développer en collaboration étroite avec les cantons, le gouvernement va s'atteler à la confection d'un projet de loi visant à économiser l'électricité. Destiné à compléter les dispositions prévues dans la législation sur la protection de l'environnement, celui-ci devrait contenir un certain nombre de prescriptions sur les installations de chauffage, les tarifs et les conditions de raccordement. Il encouragerait en outre le recours à la pompe à chaleur et fixerait les normes pour l'étiquetage et la consommation des ustensiles électriques. Si d'aventure les cantons faisaient preuve d'un manque de célérité dans l'élaboration de leur politique énergétique, les autorités fédérales n'excluent pas de remettre sur le métier un article constitutionnel sur l'énergie [12].
 
[5] BO CN, 1984, p. 514 ss.; NZZ, 25.2.84 (commission du CN); CFE L'initiative populaire pour un approvisionnement en énergie sûr, économique et respectueux de l'environnement, Berne 1984. Voir en outre SGT, 13 et 14.8.84; NZZ, 17.8.84; 4.9.84; BaZ, 4, 5, 8, 12, 14, 18, 19 et 20.9.84 (dossier); JdG, 11.9.84; APS, 1981, p. 96 ss. et 1983, p. 102 s.
[6] Partisans: Domaine public, 714,19.1.84; 739, 9.8.84; Suisse, 8.8.84; NZZ, 28.8.84 (U. Koch); 7.9.84 (comité d'obédience bourgeoise); R. Schleicher, Atomenergie - die grosse Pleite. Die wirtschaftlichen Aspekte der Atomenergie und ihrer Alternativen, Zürich 1984; Schweizerische Energie-Stiftung, Energie für oder gegen den Menschen? Zürich 1984. Adversaires: NZZ, 29.8.84; 12.9.84; P. Borgeaud, «Quelle est l'importance de l'énergie pour l'économie suisse», in Bulletin de la SDES, 39/1984, no 3; B. Schmid, Wirtschaftliche Auswirkungen der Energieproduktion, Zürich 1984. Voir en outre 24 Heures, 18 et 19.8.84 ; NZZ, 25 et 28.8.84 ; CdT, 18, 19 et 20.9.84; SZ, 15.10.84 (rapport de la SHSN sur «la sécurité de la production d'énergie nucléaire»).
[7] Favorables aux deux projets: PSS, extrême-gauche, AdI, AN, organisations écologistes (FPE, Fondation suisse pour l'énergie, Coordination nationale des comités antinucléaires...), ainsi que JDC, PDC de BS, PEP de BS et SH, le comité de soutien bourgeois présidé par la CE Bauer-Lagier (pl., GE). Favorables à l'initiative énergétique seulement: PEP et UDC du TI; la gauche et les syndicats, divisés sur l'initiative antiatomique, soutiennent largement le second projet. Opposés aux deux projets: PRD, PDC, UDC, PLS, Républicains, groupes pronucléaires (Forum suisse de l'énergie, Association suisse pour l'énergie...), ainsi que Vigilance, Demokratisch-Soziale Partei de BS, PEP de BE, AG et TG, AdI de SH et AG. Liberté de vote: UDC de FR. Cf. NZZ, 19.9.84; TA, 21.9.84.
[8] ZH: TA, 31.8.84; 12.9.84; 12 et 20.11.84. Kaiseraugst: BaZ, 16.7.84; AT, 25.7.84; 21.8.84. Les parlements des deux Bâles ont rejetés également une contribution au financement de la propagande en faveur des deux initiatives. Plusieurs communes ont toutefois été autorisées à allouer des sommes substantielles (BaZ, 2.5.84; 7.6.84; 19.9.84). Voir aussi Délib. Ass. féd., 1984, IV, p. 59 (postulat Hubacher, ps, BS sur propagande électorale); TA, 30.7.84; 19.9.84; L'Hebdo, 35, 30.8.84.
[9] Votation: FF, 1984, III, p. 910 ss. ; presse du 24.9.84. Voir également BaZ, 1.10.84; R. Nef / M. Rosenmund, «Das energiepolitische Plebiszit vom 23. September 1984 zwischen Entwicklungserwartung und Wachstumskritik», in Revue suisse de sociologie, 10/1984, p. 689 ss.
[10] Sondage: Vox, Analyses de la votation fédérale du 23.9.84, Zurich 1984. Mesures d'économie: NZZ, 15.2.84; Ww, 7, 16.2.84; Vr, 14.3.84; AT, 16.7.84; Fonds national de la recherche scientifique, Les résultats de vingt-sept projets de recherche, Saint-Saphorin 1984.
[11] Cette solution médiane, rejetée au vote par appel nominal par 111 voix contre 68, n'a été approuvée que par la gauche, les écologistes, l'AdI, le PEP, l'AN et certains députés bourgeois, tels que les PRD Petitpierre (GE), Salvioni (TI) et Kopp (ZH), ainsi que le PDC Wick (BS) (BO CN, 1984, p. 568; BaZ, 4.5.84). Voir en outre Délib. Ass. féd., 1984, I, p. 77 (motions Wick); NZZ, 24.2.84; 28.4.84; 3.5.84; 13.10.84; TA, 28.8.84; 26.9.84; Ww, 43, 25.10.84; F. Caccia, «La politique énergétique suisse», in Revue suisse d'économie politique et de statistique, 120/1984, p. 249 ss., ainsi que APS, 1983, p. 104.
[12] Presse du 8.11.84. Deux motions ont du reste été déposées au CN invitant le CF à élaborer un nouveau projet d'article constitutionnel. Cf. Délib. Ass. féd., 1984, II/III, p. 67 (motion Nebiker, udc, BL) et IV, p. 78 s. (motion Schmidhalter, pdc, VS).